Japan Expo 2024 : Pourquoi les « weebs » sont mal-aimés ?
nippomania (3/4)•Les fans de pop culture japonaise ont parfois une image négative ou intense. Mais leurs centres d’intérêt sont malgré tout de plus en plus mainstreamQuentin Meunier
L'essentiel
- La Japan Expo se déroule du 11 au 14 juillet 2024, au Parc des expositions de Paris Nord Villepinte. A cette occasion, 20 Minutes vous propose une série d’articles sur le Japon.
- La culture pop japonaise est particulièrement implantée en France, deuxième pays le plus consommateur de manga après le Japon.
- Cette passion commune et intense est propice à générer du lien social, mais certains fans craignent d’être associés à des stéréotypes négatifs.
Quel meilleur signe que la Japan Expo a commencé que de voir une foule habillée en personnage de manga ou avec des katanas factices sur les quais du RER B, qui dessert Paris Nord Villepinte où se déroule l’événement. Malgré la forte affluence pour le salon chaque année, les fans de pop culture nipponne s’attirent parfois en public des regards plus ou moins amusés.
Célia, 30 ans, a fait partie de ces fans hardcore de culture japonaise. « J’adore les mangas, je regarde un peu d’anime, raconte-t-elle. Au lycée, j’ai fait du japonais et j’étais fan de musique J-pop ou d’acteurs. » Dans un lycée avec de nombreuses options de niche, cette passion parfois exubérante ne dérange pas grand monde. Une attitude qui s’estompe avec le temps. « A partir de l’université, j’ai voulu lire des mangas plus sérieux, avoir des discussions qui paraissaient plus intéressantes, poursuit-elle. Il y avait un côté : "Maintenant tu es grande, tu es une adulte, ça, c’était pour les enfants." Même si, pendant la pandémie, j’ai renoué avec ce côté innocent, d’apprécier quelque chose parce que c’est beau, de relâcher la pression. »
Une passion intense et partagée
La France a un rapport particulier avec la culture pop japonaise. Dès les années 1980, pour des raisons économiques et des facilités à remplir l’antenne, de nombreux dessins animés japonais débarquent en France. Pour prendre l’exemple du manga, l’Hexagone est depuis 2006 le deuxième consommateur de ce type de BD (avec 40 millions d’exemplaires vendus en 2023, contre 28,4 millions aux Etats-Unis, selon l’institut Gfk).
L’engouement est propice à générer du lien. « Cette passion m’a permis de garder un lien avec mes connaissances du lycée, reprend Célia. Et je pense qu’on la vit à fond. One Piece, j’ai regardé tout l’anime, puis lu le manga, puis revu l’anime, puis revu avec une amie. Je suis allé voir le film Haikyu au Grand Rex, pendant la séance tout le monde parle, échange, participe. Ce sentiment, on peut le cultiver et le partager parce que la communauté l’encourage. »
Fanatiques repoussoirs
Francis*, lui, vit cette passion différemment. « Pour moi, c’est arrivé avec Yu Gi-Oh, Naruto, puis l’émission "La Case" sur Canal+, décrit-il. Au lycée, c’était vu de manière assez négative, pas trop accepté et l’objet de moqueries. » Malgré ses centres d’intérêt, il tient à distance les fans intenses, qu’on qualifie parfois d’otaku, de weeabos ou de weebs. « Ils en font un peu trop, partent un peu dans tous les sens, regrette-t-il. On a l’impression que leur vie sociale ne tourne qu’autour de ça, que c’est leur seul référentiel et donc que c’est compliqué d’interagir avec eux. Je vivais ma passion de manière moins intense, moins ostentatoire. Ça ne m’a pas empêché d’avoir des liens très forts, j’ai encore des amis dans ces cercles. Mais aller dans des manifestations comme la Japan Expo, c’est pas possible. »
« Est-ce que vous trouvez aussi les fans de Johnny Hallyday les plus investis gênants ?, interroge Clothilde Sabre, docteur en anthropologie qui a travaillé sur les liens entre pop culture et tourisme au Japon. Il y a l’idée que le fan serait forcément un stéréotype gênant ou dérangeant. C’est la caricature de quelqu’un qui serait toujours dans l’émotion, dans l’extrême. » Par ailleurs, « les fans eux-mêmes vont avoir tendance à minimiser leur propre intérêt et à créer cette figure repoussoir du fanatique ».
« Dois-je en avoir honte ? »
« Quelqu’un qui pleure à l’opéra, ça ne va choquer personne, reprend la chercheuse. Mais quand ce sont des jeunes de 15 ans, on va faire l’association avec le stéréotype du fan. Il y a des restes de panique morale des années 1990 autour des dessins animés japonais [que Ségolène Royal, par exemple, avait qualifiés de violents], ainsi que des préjugés comme "ça ne se fait pas de se costumer quand on est un homme, de crier quand on est une jeune fille". » « Je viens d’une famille qui aime beaucoup la BD, mais le manga, ce n’est pas la même chose, confirme Célia. On me disait que c’était mal dessiné, qu’il n’y avait pas d’histoire. Et ça m’interrogeait : dois-je en avoir honte ? »
Consolation : les fans de cette culture populaire se sentent moins jugés qu’auparavant. « C’est carrément mainstream maintenant, s’exclame Francis. C’est compliqué de trouver des gens qui n’ont pas lu de manga, pas vu d’anime, pas écouté de J-pop. » Même David Guiraud, député LFI du Nord, utilise par exemple de nombreuses références à One Piece dans sa communication sur Twitter.
« Quand j’ai commencé à aimer les mangas, c’était aussi pour les bourges, se rappelle Célia. Alors qu’aujourd’hui, c’est plus répandu. Une ado de banlieue m’a déjà dit "trop cool" en me voyant en chemise Demon Slayer. Je pense que c’est devenu une culture populaire au sens propre. » Quitte à remplacer un stéréotype par un autre. « Avec certains débordements, il y a une image associée au fan de shonen (manga ou anime pour jeune garçon, relevant généralement de l’action ou du sport) : gars de banlieue, débile, qui n’a pas d’autre accès à la culture. Ça me désolé pas mal, alors qu’on pourrait voir cela comme un marchepied vers d’autres formes de cultures. »
* Le prénom a été changé
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