POLITIQUELes drag-queens refusent d’être les boucs émissaires de l’extrême droite

Les drag-queens refusent d’être les boucs émissaires de l’extrême droite

POLITIQUENombre de drag-queens se mobilisent ces dernières semaines en France contre l'extrême droite. Elles redoutent, en cas d'accession du Rassemblement national au pouvoir, les conséquences sur les droits des personnes LGBT+ et sur l'exercice de leur art
Fabien Randanne

Fabien Randanne

L'essentiel

  • Depuis plusieurs années, les drag queens sont ciblées par les militants d'extrême droite. « Les drags dérangent parce qu’on bouscule tous les codes et pas seulement ceux du genre », avance La Big Bertha.
  • « Depuis la victoire du Rassemblement national aux européennes, les gens sont complètement décomplexés par rapport à leurs LGBT-phobies », déclare Victoria Sucrette, une drag queen parisienne. « Evidemment qu’il y a une inquiétude, nous affirme La Déliche. On a vu qu’aux Etats-Unis, dès qu’ils ont pris le pouvoir, les conservateurs ont cherché à criminaliser les drags. »
  • Plusieurs artistes drag passent à l'action. Récemment, un collectif strasbourgeois a lancé un appel à la mobilisation « contre l’extrême droite en votant pour le Nouveau Front populaire ». D'autres sensibilisent leurs communautés sur les réseaux sociaux.

Bonnet phrygien écarlate trônant sur une abondante perruque rousse, ceinture tricolore enserrant la taille de sa robe blanche, Victoria Sucrette a défilé en brandissant le drapeau de la communauté LGBTI. Ce 15 juin, elle était aux côtés d’autres artistes drag pour protester, à Paris, contre la potentielle arrivée de l’extrême droite au pouvoir après l’annonce de la dissolution.

« Pendant la manifestation, des gens ont pris des vidéos, qui ont terminé sur les réseaux sociaux où des gens d’extrême droite disaient tout et n’importe quoi. Une tradwife aux 300.000 abonnés a fait une story en disant que la lutte pour la cause homosexuelle au XXe siècle visait à normaliser la pédophilie et que c’était ce qu’on était en train de faire. Vous voyez ce qu’ils sont capables d’inventer ?, s’agace-t-elle auprès de 20 Minutes. J’avais sorti un [faux] sein du décolleté et des internautes ont dit que je m’exhibais devant des enfants. Pas un n’a compris que j’incarnais Marianne et que La Liberté guidant le peuple était, avec son sein nu, dans tous les manuels scolaires. »

LGBT-phobies « décomplexées »

Victoria Sucrette a depuis subi une avalanche de commentaire haineux. « Jusque-là, quand j’apparaissais en drag, par exemple sur des comptes Instagram mainstream, il n’y avait que rarement des messages violents. Mais ces dernières semaines, ça s’est intensifié. Depuis la victoire du Rassemblement national aux européennes, les gens sont complètement décomplexés par rapport à leurs LGBT-phobies. »

Minima Gesté, figure de la scène drag de la capitale, a, elle, essuyé « une déferlante de haine sur tous [ses] réseaux sociaux » après que Marion Maréchal s’est indignée qu’elle ait été choisie pour porter la flamme olympique, le 14 juillet, à Paris. « On était juste avant les élections européennes, donc elle avait besoin de faire buzz sur buzz. Cette semaine-là, c’était moi, celle d’avant, elle s’en prenait à Jacquemus au sujet de la GPA », analyse l’artiste.

Les attaques émanant de l’extrême droite envers les artistes drag ne sont pas tout à fait récentes. L’an dernier, des militants de Reconquête s’en étaient pris à des lectures drag destinées au jeune public. Leurs coups de pression ont parfois fonctionné, comme à Toulouse où la Mairie a fini par en interdire l'accès aux mineurs. « Ces militants sont chauffés à blanc. "Touche pas à mon poste" sur C8 et "L’Heure des Pros" sur CNews, les médias de Bolloré en font des tonnes sur les drags », avance La Déliche qui, avec son collectif, Les Contes à paillettes, a été ciblée par l’extrême droite en 2023.

« Elle est où, ma perversion ? »

« Notre spectacle sert toute une médiation pour enclencher la conversation entre les lieux qui nous sollicitent et leurs publics. Notre public est très mélangé. On ne fait pas de discrimination, on veut que tout le monde se sente bien, explique la drag-queen. A travers nos lectures, on cherche à faire comprendre que l’acceptation des différences fait la richesse de tout le monde. »

« Les antis m’accusaient de vouloir pervertir les enfants alors que je lisais Petit ours brun. Ma question c’est : elle est où ma perversion ? Quand je fais une lecture, je suis juste un clown qui divertit les enfants », témoigne la Big Bertha. Révélée au grand public via sa participation à la première saison de « Drag Race France » sur France 2 il y a deux ans, l'artiste affirme qu’il est « forcément difficile d’être drag-queen dans ce climat politique. On se rend compte que des gens qui ne nous acceptent pas vont peut-être accéder au pouvoir et ça, c’est quelque chose qui est juste pas envisageable. »

Et de poursuivre : « Dans le sud de la France où vit ma famille, l’extrême droite est à 60 % [aux européennes 2024]. Ce qui veut dire que, parmi mes proches, il y a des gens qui ne m’acceptent pas. C’est terrifiant ».

Ces derniers jours, un collectif drag de Strasbourg a lancé un appel à la mobilisation « contre l’extrême droite en votant pour le Nouveau Front populaire ». « Si vous aimez nous voir nous produire sur scène, alors vous devez nous défendre dans les urnes », enjoint le texte redoutant que, avec l’extrême droite aux fonctions, « chaque drag show présente un risque de descente de groupuscules fascistes ».

Le collectif inverti.e.s, lui, a relayé mardi le message d'alarme de la journaliste Appoline Bazin sur « le plus grand scandale de la saison 3 de "Drag Race France" », « plus terrifiant que les queens démaquillées » : « nos queens préférées, "Drag Race France" et toute la communauté drag sont en danger avec la possible arrivée du RN au pouvoir ». « C'est ça la réalité de la bataille politique actuelle pour de nombreuses personnes, dont les LGBT : une peur viscérale du déchaînement de violence qui suivrait une victoire du RN », écrit-elle, appellant à « agir en votant Front populaire ».

Mercredi, le drag king Miroslav Toi Les Mains a à son tour posté une vidéo sur ses réseaux en s'adressant aux « queens qui n'ont pas l'air de saisir le danger imminent qui [les] guette » et en les appelant à se mobiliser. Plusieurs queens médiatisées, notamment après leurs participation à « Drag Race France », telles que Soa de Muse, La Big Bertha, La Kahena, La Briochée, Paloma, Kitty Space, Lula Strega et Ruby On The Nail y apparaissent pour « approuver » le message.

« La crainte qu'il soit davantage dangereux de pratiquer l'art drag »

« Evidemment qu’il y a une inquiétude, nous affirme de son côté La Déliche. On a vu qu’aux Etats-Unis, dès qu’ils ont pris le pouvoir, les conservateurs ont cherché à criminaliser les drags. » En 2003, dans plusieurs Etats, les Républicains ont en effet introduit une centaine de lois anti-LGBT, comme le rappelle le Guardian, dont l’interdiction des drags shows – une partie d’entre elles ayant fini par être retoquées par les tribunaux locaux.

« L’art drag ne disparaîtra pas. Mais la crainte est que ce soit davantage dangereux de le pratiquer », souligne Victoria Sucrette, rappelant que les artistes font déjà régulièrement l’expérience des LGBTphobies dans l’espace public. « Il y a aussi le risque de pertes financières importantes, certaines vivent seulement de ça. Des drag shows sont déjà annulés dans certains lieux qui se disent alliés – et dont certains gardent le silence sur les dangers qui nous guettent. On peut aussi craindre que les entreprises qui font appel à nous pour animer leurs événements et soirées deviennent plus frileuses à l’avenir. »

« Les drags dérangent parce qu’on bouscule tous les codes et pas seulement ceux du genre. On déstabilise les repères de ces personnes-là et, quand elles sont dans l’ignorance, elles tombent dans une insécurité. Elles n’ont aucun repère, aucune connaissance, donc elles vont être anti », estime La Big Bertha.

« Je leur dis d'aller au-delà de la politique TikTok »

« Cette panique morale, j’ai l’impression que c’est le bis repetita de 2013 avec la loi "mariage pour tous" où les homos étaient mis au pilori par, entre autres, la manif pour tous. Ce sont les mêmes faux arguments qu’il y a dix ans, par exemple cette idée que l’on voudrait pervertir les enfants, sauf qu’ils sont dirigés vers d’autres personnes, résume Minima Gesté. La nouvelle cible, ce sont nous, les drags, et aussi les personnes trans. » Mais ce n’est pas pour autant qu’elle baisse les bras : « On ne va pas se laisser faire. Nous, les drags, on va continuer, en tant que porte-parole de la communauté LGBTQIA +, à se montrer pour nos droits et à revendiquer pourquoi on fait ce qu’on fait. »

La Big Bertha, elle, cherche à dialoguer avec une partie de ses haters : « Cela fait partie de mon métier de faire bouger les codes et de provoquer les gens sur certains sujets tels que les droits LGBT+. Dans mes stories Instagram, j’explique pourquoi l’extrême droite ne nous considère pas et veut juste notre disparition, supprimer nos libertés, les subventions aux associations LGBT+ en Europe… Ces personnes qui votent extrême droite sont parfois membres de la communauté. Les gens se tirent une balle dans le pied. Je leur dis d’aller au-delà de cette politique TikTok. Je me dis que, peut-être, si je leur parle, elles comprendront. Je préfère avoir passé du temps à expliquer deux trois choses à quelqu’un plutôt que de me dire je n’ai rien fait et que l’extrême droite est passée. »