« 20 Minutes » avec« J’ai quasiment eu la même adolescence que ma fille », confie Nadia Daam

« J’ai quasiment eu la même adolescence que ma fille, c'est démoralisant », confie Nadia Daam

« 20 Minutes » avecDans son livre, « La Gosse », paru chez Grasset fin mars, Nadia Daam décortique la relation mère-fille dans ce qu’elle a de plus doux et de plus cruel à la fois
Laure Beaudonnet

Propos recueillis par Laure Beaudonnet

«Tous les parents rescapés de l’adolescence de leur progéniture vous le diront ainsi ou presque : ils ont "fait" l’adolescence. Comme on a fait l’Asie du Sud-Est, New York ou l’Algarve hors saison ». Dans La Gosse, paru le 27 mars chez Grasset, la journaliste Nadia Daam décortique la relation mère-fille dans ce qu’elle a de plus doux et de plus cruel à la fois.

Sous forme de fragments à mourir de rire, elle met en lumière ses contradictions de mère féministe et analyse le douloureux chemin initiatique que représente l’adolescence pour une jeunesse éduquée à la nouvelle sémantique post-MeToo. Nadia Daam chronique avec une honnêteté irrésistible ses défaillances éducatives, ses conflits intérieurs et ses petites habitudes un peu honteuses. Rencontre avec une mère parfaitement imparfaite.

Pourquoi écrire ce livre ? Qu’est-ce qui vous a manqué en tant que mère pour éduquer une adolescente ?

J’ai commencé à écrire ces textes à un moment où ma relation avec ma fille était très compliquée. J’aime bien documenter ma vie et, plutôt que de me plaindre sur Instagram, j’ai préféré écrire pour prendre du recul. Au début, ce n’était pas destiné à être publié et quand j’ai commencé à en parler autour de moi, je me suis rendu compte que mes textes pouvaient résonner auprès d’autres gens. Notamment sur cette question de l’éducation féministe de la part d’une féministe. Il y a énormément de ressources sur la manière dont on peut élever les garçons dans un environnement non sexiste ; comment les déconstruire dès le plus jeune âge. C’est super. Mais moi je ne me sens pas du tout accompagnée dans cette démarche. Dans l’imaginaire collectif, on se dit qu’une femme sait, qu’elle se débrouille bien. Et a fortiori, une femme féministe n’a qu’à calquer ses valeurs politiques sur son éducation. Il n’y a évidemment rien de plus compliqué que cela.

Vous parlez de l’angoisse d’élever une fille qui peut se faire agresser à la différence d’un garçon qu’il suffit d’éduquer. A quoi ressemble l’expérience d’une fille adolescente aujourd’hui par rapport aux générations précédentes ?

Voir que des choses ne changent pas, c’est le plus démoralisant. Toutes les femmes ont un souvenir précis de la première fois où elles se sont fait harceler ou agresser dans la rue. Quand j’étais jeune, un exhibitionniste venait devant le collège. On était habitués à voir son sexe tous les matins en allant en cours, cela faisait partie du paysage. Je me souviens très bien de la première fois où un homme s’est masturbé devant moi dans le bus, j’avais 11 ans. Et il se trouve que la première fois où c’est arrivé à ma fille dans le métro, elle avait 11 ans aussi. On n’arrête pas de dire qu’il s’est passé plein de choses depuis MeToo. En réalité, j’ai eu quasiment la même adolescence que ma fille. Après, des choses ont changé. Le rapport des filles entre elles est très différent. Les filles de notre génération étaient encouragées à se mesurer les unes aux autres, à se marcher les unes sur les autres pour obtenir les bonnes grâces des hommes. Les filles d’aujourd’hui ont complètement refusé ce principe, et, en les observant, je me dis que la sororité n’est pas un vain mot. Elles ne le théorisent pas, mais il ne leur viendrait pas à l’esprit de se jeter sous le bus pour obtenir les grâces des garçons. Leur slogan, c’est « Sistas before mistas » [sur le modèle de « Bro before hoes », les sœurs devant les mecs]. C’est l’inversion du stigmate.

Avoir une fille fait-il de vous une meilleure féministe ?

Au contraire, mon féminisme a été mis à l’épreuve. J’avais mon petit cahier des charges d’une mère féministe : je m’étais interdit de l’appeler « princesse », j’ai évité le rose, je l’ai inscrite au foot plutôt qu’à la danse. Je pensais être dans les clous et je me suis rendu compte que j’ai, moi aussi, diffusé des stéréotypes auprès de ma fille sans m’en rendre compte. Par exemple, lui dire très souvent que je la trouve belle. Si j’avais eu un garçon, est-ce que je lui aurais dit : « Tes cheveux sont incroyables aujourd’hui » ? Ce n’est pas agréable de le dire, mais j’ai fait de ma fille une sorte de support narcissique, notamment parce que je n’étais pas une gamine très jolie, ni très coquette. J’en ai fait une extension de ma féminité. Quand on la complimente, je me sens flattée.

Vous abordez la question des complexes, les vôtres et ceux de votre fille. Est-il impossible de sortir des injonctions à la beauté ?

J’ai l’impression. Avec Instagram, les modèles qui sont proposés aujourd’hui sont encore plus cruels qu’à mon époque. Adolescente, je me mesurais aux célébrités. J’avais envie d’être Brenda dans Beverly Hills et je savais que je ne serais jamais cette fille parce que j’étais Nadia de Strasbourg. Au plus fort de son adolescence, elle me montrait des filles sur Internet, en sachant qu’elles utilisaient des filtres, mais ça lui renvoyait une image déplorable d’elle-même. Les filles qui la faisaient rêver étaient des filles d’un autre lycée qu’elle ne connaissait pas mais qu’elle suivait sur Instagram. Ces modèles sont davantage à leur portée. Je ne peux pas être une star, mais pourquoi je ne peux pas être la fille qui habite à deux rues de chez moi ?

Quand on pense à l’adolescence, on pense à l’entrée dans la sexualité. Or, vous n’évoquez pas du tout de cette question. Pourquoi l’avoir laissée sous silence ?

C’est le terrain de l’intime. Je ne voulais pas que ma fille puisse être dérangée pendant la lecture du livre. Je note que l’imaginaire de la première fois est moins présent chez les adolescents. Perdre sa virginité n’existe pas dans leur tête. Je me souviens d’une discussion où je lui parlais de mes premières fois et elle m’a répondu : « J’ai deux amies lesbiennes en couple. Elles ne coucheront jamais avec un garçon, ça veut dire qu’elles n’auront jamais de première fois parce qu’elles n’ont jamais été pénétrées ? » Elles ont déconstruit ce mythe de la virginité. La formulation n’est pas anodine : tu perds quelque chose en cours de route alors que les garçons gagnent quelque chose dans le premier acte sexuel. Ce qui les fascine, c’est le fait de partager une intimité. Elles sont plus évoluées que nous sur ces questions de sexualité pénétrative.

Vous abordez le réchauffement climatique sous l’angle de la ménopause. Cette partie est très drôle. Pour vous, était-ce important de vous attaquer à tous les endroits de la féminité qui restent tabous ?

Quand on a une quarantaine d’années, comme moi, et une adolescente, les trajectoires par rapport au féminin et au corps se séparent. L’adolescence, c’est l’âge des premières règles, l’âge où vous endossez votre féminité. Je me rapproche dangereusement de la ménopause et il est important de le dire. C’est un mot que je n’ai pas entendu pendant très longtemps. Quand vous entamez la ménopause, c’est comme une adolescence. Vous n’êtes pas en maîtrise de vos émotions, votre corps fait des trucs bizarres. Quand on est adolescent, on n’aime pas être ramené à sa puberté et à sa physiologie. Quand on est ménopausée, j’imagine qu’on n’a pas envie d’entendre : « Elle est chiante, elle est ménopausée », après avoir entendu pendant trente ans : « Elle est chiante, elle a ses règles ». C’est comme si vous viviez parallèlement les mêmes bouleversements. A rebours.

Vous avez vécu un cyberharcèlement extrêmement violent après une chronique sur Europe 1 au sujet du forum 18-25 de jeuxvideo.com. Comment votre fille a-t-elle vécu cette menace ?

J’ai été cyberharcelée en 2017, 2018 et 2019, on a déménagé trois fois. Elle l’a vécu très concrètement et j’ai beaucoup culpabilisé. Elle ne pouvait pas sortir et entrer au collège en même temps que ses camarades, elle devait être exfiltrée, parce qu’ils ont trouvé son collège. Les menaces étaient prises au sérieux par la police. Ils ont défoncé ma porte et saccagé mon appartement qui était à deux rues. Ils ont piétiné sa chambre, ses peluches. On était tellement terrorisées qu’on a dormi à l’hôtel pendant trois semaines. Aussi jeune, elle a essayé de me protéger en disant qu’elle allait bien alors qu’elle était terrifiée. Ils ont retrouvé l’adresse de son père et le nom du café où il allait tous les matins. Il était encore en vie, il est mort quelques mois après. Tout est arrivé en même temps. C’était très dur.