« J’adore les cagoles, elles sont des féministes qu’on ignore un peu », affirme la drag-queen Paloma
INTERVIEW•Hugo Bardin, en tant que Paloma, a remporté « Drag Race France » l’an passé. L’artiste tourne dans toute la France avec son spectacle « Paloma au pluriElles ». « 20 Minutes » l’a rencontré pour parler humour, plans de carrière et militantismePropos recueillis par Fabien Randanne
L'essentiel
- Hugo Bardin incarne la drag-queen Paloma qui a remporté la saison 1 de « Drag Race France » en août 2022. Depuis la rentrée, il joue sur scène plusieurs personnages féminins dans Paloma au PluriElles. Du 10 au 14 octobre 2023, le spectacle fait une halte à La Scala (Paris 10e).
- « J’ai des projets en Paloma et d’autres en Hugo, en tant que réalisateur, scénariste et comédien. Je ne ressens toutefois pas d’urgence à me séparer de Paloma. Avec elle, je me permets des choses que je ne pourrais pas faire - et que je n’aurais pas forcément envie de faire - en tant qu’Hugo », confie l’artiste à 20 Minutes.
- « Quand je faisais mes chroniques dans “Quotidien”, j’ai reçu des centaines de messages d’insultes et de menaces de mort. D’un coup, on me parlait de ''lobby LGBT'', de ''propagande'', comme si je voulais rendre les gens queers ou trans. On n’accepte pas l’idée que je sois juste un artiste qui joue des personnages féminins », déplore-t-il.
Hugo Bardin joue avec les codes et la syntaxe. L’artiste joue depuis la mi-septembre Paloma au pluriElles, un seul(e) en scène où il incarne, en drag, une éclectique galerie de figures féminines. Parmi elles, une actrice césarisée, une bourgeoise perchée, une guide de musée au bord de la crise de nerfs et même une ancienne reine de France. Le succès est au rendez-vous : « On rajoute des dates partout. On envisage d’aller dans de plus grandes salles et je pense intégrer de nouveaux personnages », nous glisse-t-il lorsqu’on le rencontre, fin septembre, à la terrasse de son QG à Bastille. 20 Minutes en a profité pour lui demander ce que sa victoire à « Drag Race France », il y a un an, a changé pour lui. Cela a aussi été l’occasion d’évoquer ses sources d’inspiration, ses engagements pour la communauté LGBTQ+ et de savoir ce qu’il pensait des déclarations de Muriel Robin, l’une de ses idoles, concernant les homos dans le cinéma français…
Plutôt que de faire du stand up, vous jouez des sketches. C’est peu courant chez les artistes de votre génération…
Dans le public, il y a pas mal de fans de Muriel Robin, de Valérie Lemercier, d’Elie Kakou qui me disent que ça leur fait plaisir de retrouver ça. En tant que spectateur, j’apprécie un certain type de stand-up, comme celui de Blanche Gardin, des gens qui amènent un truc hyperdark. Mais le côté « Je raconte ma vie », ça m’intéresse jusqu’à un certain point et j’en suis complètement incapable, je ne sais pas si ce serait très captivant. J’ai davantage à dire, en tant qu’auteur, avec des personnages fictionnels.
Vous faites vous-même deux ou trois incursions dans l’humour « dark », notamment à travers une réplique faisant référence au Bataclan…
J’aime l’humour noir. C’est le plus difficile à faire et c’est le plus intéressant. J’ai conscience que ce n’est pas trop dans la culture française. C’est très anglais, eux n’ont pas peur d’aller sur ce terrain-là. La réplique sur le Bataclan est venue en impro en répétition. Dans l’équipe, tout le monde m’a dit : « Tu ne peux pas faire ça ». J’ai répondu : « Vous verrez. » Tous les soirs, quand je la fais, il y a un « oooh » et ensuite les gens rient. Je ne suis pas en train de me moquer des victimes, je me permets juste de décompresser sur un truc qui n’est pas facile. En même temps, j’ai l’impression d’avoir grandi avec un humour qui était hypertrash mais déguisé en humour franchouillard : c’est-à-dire, qu’il s’agissait de se moquer des pédés, des noirs, des Arabes, des Asiatiques, des femmes et ça, ça ne choquait personne. Je n’ai pas envie d’aller là-dedans. En revanche, faire de l’humour noir sur des choses qui concernent à peu près tout le monde et ne sont pas une question de classe sociale, ça me plaît.
Comment vous ont été inspirés les personnages féminins que vous incarnez sur scène ?
Fanny Ardant, je l’imite depuis que j’ai 9 ans, les gens n’auraient pas compris que je ne la joue pas. Lolashiva, Anne-Cyprine et Néfertiti sont les personnages qui m’ont fait démarrer le drag. Avant de créer Paloma, j’avais une chaîne sur YouTube, « Gourmandes ! », où je les incarnais tout en réalisant des recettes de cuisine. Je les fais revivre maintenant car j’ai bon espoir de reprendre cette série un jour. Anne-Cyprine, c’est une déclaration d’amour à Lemercier et à ces bourgeoises autour desquelles j’ai grandi, qui m’insupportent et me fascinent. Lola est pour moi le pire personnage du spectacle, mais c’est aussi celui avec lequel je m’amuse le plus. On en a tous une dans notre entourage. A travers elle, je me moque des trucs de ma génération. Néfertiti est celle que j’aime le plus. J’adore les cagoles, pour moi, elles sont les vraies féministes que l’on ignore un peu : elles ne se laissent pas faire, elles se font respecter par les mecs, elles sont très rentre-dedans et authentiques.
Vous avez rodé votre spectacle à Clermont-Ferrand, d’où vous êtes originaire. Comment est perçue votre notoriété là-bas ?
L’ironie de l’histoire, c’est qu’avant « Drag Race France », je n’avais jamais fait de drag à Clermont. Paloma n’existait pas quand j’en suis parti… La Mairie m’a donné la médaille de la ville, j’avoue que ça m’a fait rire. Je suis marraine de la branche locale de SOS homophobie et beaucoup de jeunes drag-queens et drag-queers me remercient d’avoir mis en lumière la ville et sa scène drag. Il y a la House of Morning Star, notamment, qui est très engagée. C’est une scène assez queer, pas conventionnelle, très militante et j’en suis fier. Culturellement, Clermont-Ferrand est très ambitieuse, il y a une forte envie d’être désignée « Capitale européenne de la culture » pour 2028, donc ils font beaucoup de choses là-bas… Il manquait une scène queer, ils sont en train de l’aider à se développer, c’est bien.
Depuis votre victoire à « Drag Race France », vous avez veillé à ne pas vous effacer, en tant qu’Hugo Bardin, derrière Paloma. C’est important de ne pas disparaître derrière le personnage ?
Marianne James m’a dit, après l’épisode de « Drag Race » auquel elle a participé : « Tu verras, le personnage que tu as créé, à un moment, tu auras envie de le tuer. Moi j’ai mis sept ans à sortir de Ulrika von Glott ». Sur le moment, j’ai pensé : « Oh la la, pourquoi elle me dit ça ? » J’ai compris après. Est-ce que j’ai envie d’être Paloma à 75 ans ? Je ne sais pas. Ni même à 50. Je commence à préparer le terrain. J’ai des projets en Paloma et d’autres en Hugo, en tant que réalisateur, scénariste et comédien. Je ne ressens toutefois pas d’urgence à me séparer de Paloma. Avec elle, je me permets des choses que je ne pourrais pas faire - et que je n’aurais pas forcément envie de faire - en tant qu’Hugo. Là, j’enregistre un album, je viens de bosser sur une chanson avec Rebeka Warrior. Même aujourd’hui, je ne sais pas si j’assumerais de dire que c’est Hugo qui chante. Paloma, est un peu ma Lady Gaga, ma David Bowie, ma Mylène Farmer : je peux lui prêter des névroses, des lignes esthétiques qui ne sont pas forcément les miennes.
Votre notoriété en tant que drag-queen dissuade-t-elle les directeurs et directrices de casting de penser à vous pour des personnages non-drag ?
Pour l’instant, l’agent qui s’occupe de ma carrière de comédien m’envoie beaucoup sur des trucs en drag, que je refuse souvent, parce que ce ne sont pas des rôles, sur le scénario, il y a juste écrit « la drag-queen ». Ça, je l’ai déjà fait. Maintenant, je veux que mes personnages aient un nom et qu’ils soient décrits, c’est le minimum. J’aime jouer en Hugo, mais je ne prends pas le même plaisir que quand je suis en Paloma. En revanche j’aime réaliser en Hugo. J’écris une série d’humour et je bosse sur un long-métrage dramatique. J’ai beaucoup de chance, j’avais peur que « Drag Race » m’enferme dans un format très télé, or, j’arrive à faire le grand écart. On me propose autant de faire des trucs hyperintellos à France Culture que des trucs hypercomiques plus grand public.
Quand Muriel Robin dit qu’un acteur gay ou une actrice lesbienne ne peut pas faire une grande carrière au cinéma en France, vous en pensez quoi ?
Elle a une manière de dire les choses qui sonne un peu comme de la colère, parce qu’elle est en colère depuis toujours, mais elle a raison. C’est très difficile aujourd’hui de dire les choses sans être estampillé par la suite. En faisant « Drag Race », j’ai décidé de dire « Je suis un garçon homosexuel ». J’aurais très bien pu être un artiste dont on ne parle pas de la vie privée. A chaque interview, on m’en parle, on évoque le fait d’être homo, un personnage militant… Je ne peux plus, et je ne veux pas, faire marche arrière. Ma génération est consciente et n’a plus peur, je pense. Mais il y a une génération qui a dû fermer sa gueule. Surtout les femmes. Très peu ont brisé le tabou. Il y a eu Catherine Lara et, à partir du moment où elle l’a dit, sa carrière a changé. Même chez les présentateurs télé, des gens très connus, ils ne disent rien, sinon ça devient le sujet. Je l’ai vu aussi avec des projets qu’on m’a proposé. Des chaînes ont dit « Non, c’est trop tôt, on n’est pas prêts ». D’autres ont pris le risque et ça a marché.
Etre ouvertement homosexuel n’a pas grand-chose à voir avec la vie privée. Dire « Je suis gay » n’informe pas, par exemple, sur ce que vous faites ou non dans votre chambre à coucher…
Oui mais ça change quand même beaucoup de choses. Avant de commencer Quotidien, [il est apparu dans l’émission de TMC régulièrement de mars à juin 2023], je me suis refait tous les sketches de De Caunes et Garcia [pour « Nulle Part Ailleurs »], Alex Lutz et Bruno Sanchez [« Catherine et Liliane »]… c’est-à-dire les comiques masculins qui ont incarné des personnages féminins. Dans la tête des gens, c’est cultissime, tout le monde adore. Il y avait des trucs brillants et d’autres franchement pas drôles. Mais c’étaient deux mecs hétérosexuels qui mettaient des perruques, donc, ça va, ça restait acceptable. Moi, si je mets une perruque et que je vais à la télé jouer un personnage féminin, pour certains, c’est « pervers ». Quand je faisais mes chroniques dans Quotidien, j’ai reçu des centaines de messages d’insultes et de menaces de mort. D’un coup, on me parle de « lobby LGBT », de « propagande », comme si je voulais rendre les gens queers ou trans. On n’accepte pas l’idée que je sois juste un artiste qui joue des personnages féminins. Il y a un moment où je me suis freiné sur les blagues en dessous de la ceinture.
C’est-à-dire ?
Sur l’une de mes premières chroniques dans Quotidien, mon personnage de Lolashiva draguait, pour rire, un invité. Les réactions sur les réseaux, ça a été « ces drag-queens, qu’est-ce qu’elles sont vulgaires ! Elles se sentent obligées de tout sexualiser. » Quand José Garcia faisait Sandrine Tropforte [une parodie de Cindy Crawford], avec ses gros seins, c’était mille fois plus vulgaire que ce que je faisais et personne ne s’offusquait. C’est fou qu’on me diabolise juste parce que je suis pédé.
Dès votre victoire à « Drag Race France » vous avez utilisé votre visibilité médiatique pour faire passer des messages, contre l’homophobie ou la transphobie, par exemple. C’est un rôle que vous avez assumé volontiers, ou un peu malgré vous ?
Quand j’ai gagné, j’ai pris conscience que le phénomène allait bien au-delà de la communauté LGBTQ+. A ce moment-là, je ne pouvais pas me contenter d’être une vedette queer, il fallait que je sois un porte-parole. Personne ne me l’a demandé mais je me souviens qu’en tournant la finale, Soa de Muse m’avait dit : « Attention, on va avoir une responsabilité. » Quand, le soir du sacre officiel, Daphné [Bürki] m’a mis la couronne et qu’on m’a placé un micro et une caméra devant la tête, j’ai pensé : « Je suis une personne queer. Certes, je suis un mec blanc, privilégié, qui fait partie des gens qui ont de la chance mais, justement, cela va être plus facile pour moi. Je vais être invité en télé, on va plus aisément me donner un micro, il faut que je parle pour tout le monde. » Il y a une telle invisibilisation des discours queers à la télévision… Le fait de savoir parler, d’avoir une éducation, d’être rassurant pour un certain public me permet d’être entendu plus facilement. Cela n’a jamais été une corvée ou quelque chose que j’ai subi, en revanche, ça a été une pression. Il y a des moments où j’aurais aimé être juste Paloma artiste.
Paloma au pluriElles est à l’affiche de La Scala (Paris 10e) du 10 au 14 octobre. L’artiste se produira également, entre autres, à Strasbourg le 9 novembre, à Marseille le 14 novembre, etc.