RENCONTREComment Riad Sattouf est devenu une star de TikTok grâce à Esther

Comment Riad Sattouf est devenu une star de TikTok grâce aux « Cahiers d’Esther »

RENCONTREL’auteur de bande dessinée à succès à constater que l’adaptation animée des « Cahiers d’Esther » était très populaire sur TikTok
Benjamin Chapon

Benjamin Chapon

L'essentiel

  • Riad Sattouf publie un nouveau tome des Cahiers d’Esther : histoires de mes 16 ans.
  • L’auteur de BD à succès y poursuit son observation obsessionnelle de l’enfance et de l’adolescence.
  • L’adaptation en série animée des Cahiers d’Esther est un véritable phénomène sur TikTok et Riad Sattouf a décidé de se créer un compte sur le réseau social pour y dialoguer avec ses nouveaux lecteurs.

Riad Sattouf arrive un peu en retard à l’interview qu’il accorde à 20 Minutes pour la sortie du nouvel album des Cahiers d’Esther. Oh pas beaucoup, quelques minutes à peine. Mais la raison du retard vaut le détour : « J’étais sur TikTok, je viens de me créer un compte, explique le dessinateur à succès. J’étais déjà accro à Instagram mais là je sens que je vais y passer un temps fou. »

Riad Sattouf
Riad Sattouf - M.Rouge-Allary Editions

Se lancer sur la plateforme la plus populaire chez les moins de 16 ans ? Rien de plus normal pour Riad Sattouf, certes (un peu) plus âgé que l’utilisateur moyen mais observateur privilégié de l’adolescence depuis ses débuts de dessinateur. Avant même le succès des Cahiers d’Esther (la vraie vie d’une vraie jeune fille qu’il suit depuis ses 9 ans) ou de L’Arabe du futur (récit de sa propre enfance et adolescence entre la Libye, la Syrie et la Bretagne), Riad Sattouf s’était fait remarquer avec Retour au collège, un documentaire dessiné embeded dans un collège parisien, puis avec La vie secrète des jeunes, déjà un carnet de saynètes prises sur le vif, dans la rue, mettant en scène des adolescents croisés au hasard.

« Je suis un indic dans le milieu des ados »

« Je suis passionné par l’adolescence depuis toujours. Mais plus je m’en éloigne, en vieillissant, plus j’ai besoin de comprendre les différences entre la nouvelle génération et la mienne. Qu’est-ce qui a changé ? Qu’est-ce que les jeunes peuvent vivre qui soit fondamentalement intemporel ? » Voilà comment est né l’envie de raconter, à raison d’une planche par semaine, la vie d’Esther, jeune fille rencontrée par hasard par des amis communs, quand elle avait 9 ans. « Je connaissais ses parents, et elle me semblait la candidate idéale à ce projet. Elle est très volubile, ce qui est rare chez les jeunes, et très équilibrée. » Aujourd’hui, Esther a 16 ans et le septième tome de ses aventures vient de sortir.

Sa vie à l’école, puis au collège, puis au lycée. Ses amies. L’impact de l’actualité sur sa vie. Les phénomènes de société. Le sexisme. Esther raconte, Riad transcrit. « Je suis un indic dans le milieu des ados, pas un journaliste. Je veux vraiment que ce soit une plongée dans la réalité des jeunes. Ce qui m’intéresse, c’est de comprendre ce qui construit l’adulte à venir dans le parcours d’un jeune. Comment se forgent les valeurs morales, les opinions ? Je ne la juge pas, j’adopte son point de vue. Elle peut par exemple être parfois cruelle ou injuste, mais je n’interviens pas pour lui faire la morale. Ce n’est pas un journal intime, elle ne se livre pas, elle me raconte juste ce qu’elle vit. »

Lectures d’enfants

Les bonnes ventes des Cahiers d’Esther ont conduit Riad Sattouf à les adapter en série animée. Notamment pour répondre à un aspect inattendu de ce succès : l’impact sur les jeunes lecteurs. « Je n’avais pas du tout anticipé que des ados et des enfants allaient lire les Cahiers d’Esther. Au départ, je veux m’adresser aux adultes un peu perdus face au mystérieux continent de l’adolescence… Mais j’ai pu constater que beaucoup d’enfants lisaient ces BD, notamment en dédicaces. »

Lors des rencontres festival MOT pour Mots, à Paris, Riad Sattouf a donné une conférence. Dans l’assistance, les habituelles crinières grises de ce genre de festival organisé par Télérama, Le Monde et France Inter… Mais aussi pas mal de visages juvéniles. Léon, 14 ans, est venu avec sa mère. Il s’est mis à la BD après avoir découvert les Cahiers d’Esther dans Le Nouvel Obs qui traine dans le salon de son père : « Je voulais écouter un peu l’auteur. » Mais il n’écoute finalement pas trop et scrute surtout l’assistance : « J’espère reconnaître la vraie Esther. Je suis sûr qu’elle est là. »

Myrtille, 15 ans, adorerait elle aussi rencontrer le personnage de sa BD préférée. « C’est génial de penser qu’elle existe en vrai. Elle a pas mal de points communs avec mes amies. Et ce qui est chouette, c’est de la voir grandir, comme nous. »

Un phénomène sur TikTok

Le phénomène d’identification des jeunes lectrices et lecteurs à Esther s’est considérablement accentué avec la diffusion de la version animée sur Canal+. Jusqu’à devenir un phénomène viral sur TikTok. « Il y a des milliers de vidéos et des millions de vues ! Je n’arrive pas à le croire. Les gens reprennent des extraits du dessin animé et réagissent. L’épisode sur le harcèlement scolaire les a vachement touchés. C’est vraiment fou ! »

Riad Sattouf est un auteur comblé depuis qu’il reçoit des messages privés sur Instagram de jeunes internautes ayant fait le lien entre lui et les Cahiers d’Esther. « En dédicaces, le plus émouvant c’est quand les gens me disent qu’ils se sont mis à lire grâce à mes BD. Parce que je sais que ma vie aurait été horrible sans les livres… Et là, via Instagram, j’ai des jeunes qui me retrouvent et me disent : "C’est vous qui faites Esther ? Mais c’est un livre à la base ou quoi ?". Il y en a qui me demandent comment se procurer les albums. Ils n’ont jamais acheté ou emprunté de livre et ils vont s’y mettre grâce à Esther. C’est bouleversant. »

« Les comptes qui disent être la vraie Esther sont des faux… »

Puisque ses jeunes lecteurs se sont mis aux livres grâce à TikTok, il est tout naturel que Riad Sattouf se mette à TikTok. « J’adore la facilité d’échanges que ça crée. Je peux répondre à toutes leurs questions, montrer comment je travaille… Ils me demandent si Esther existe vraiment. Oui. Si elle s’appelle Esther. Non. Si elle a un compte Insta. Oui, mais avec un pseudo. Donc les comptes qui disent être la vraie Esther sont des faux… »

Surtout, le témoin privilégié de l’adolescence que l’auteur veut rester y gagne là un formidable terrain d’exploration alors qu’approche la fin des Cahiers d’Esther. « Dès le début je m’étais mis comme limite les 18 ans d’Esther. A l’époque ça me semblait hyper loin mais quand on grandit, le temps passe de plus en plus vite… Je vais m’y tenir, j’ai encore deux tomes avec Esther et ce sera fini. »

S’il ne sait pas encore ce qu’il fera ensuite, puisque son autre série L’Arabe du futur sera aussi achevée, Riad Sattouf pourrait trouver l’inspiration dans la contemplation de TikTok. « Internet et les réseaux sociaux permettent aux enfants d’aujourd’hui d’avoir connaissance en temps réel de toutes les expériences de vies humaines, de toutes les réalités sur tous les continents, de toutes les conditions sociales… Tout semble accessible. C’est à la fois génial et désenchantant. Je ne mesure pas l’impact que ça a sur leur façon d’appréhender l’avenir…. »