INTERVIEWAu théâtre dans « Sélectionné », Amir « devient » « le nageur d’Auschwitz »

« Sélectionné » : « En acceptant de jouer au théâtre, je savais que je prenais un gros risque », confie Amir

INTERVIEWA partir du 23 avril, Amir incarne dans « Sélectionné », sur les planches du Théâtre Edouard-VII, Alfred Nakache, surnommé « le nageur d’Auschwitz »
Fabien Randanne

Propos recueillis par Fabien Randanne

L'essentiel

  • A partir du 23 avril, Amir, joue, seul en scène, la pièce Sélectionné au Théâtre Edouard-VII (Paris 9e).
  • Dans un monologue à la première personne, il retrace le destin d’Alfred Nakache, gloire de la natation française, déporté à Auschwitz parce que juif, avec sa femme et sa fille qui n’en sont pas revenues.
  • "Je pense que si peu de gens connaissent sa vie, c’est parce qu’il n’a pas cherché à devenir quelqu’un. Il a vécu une quarantaine d’années après la guerre, sans forcément chercher la gloire et les honneurs, alors qu’il aurait pu être une légende vivante. Cela semble cohérent qu’un personnage comme lui soit adulé en retard, post-mortem. Je suis chanceux de faire partie de ceux qui vont mettre en lumière ce destin oublié", déclare Amir à 20 Minutes.

Il a cumulé vingt et un titres en championnats de France, battu des records nationaux, européens et mondiaux, participé à deux éditions de J.O… Une gloire de la natation. Et pourtant, Alfred Nakache est inconnu du plus grand nombre. Né en 1915 à Constantine (Algérie), cadet de onze enfants d’une famille juive, il est mort en août 1983, succombant à un malaise lors de son kilomètre de natation quotidien dans la baie de Cerbère (Pyrénées-Orientales). Quatre décennies plus tôt il était déporté à Auschwitz (Pologne), avec sa femme et leur fille qui n’en sont jamais revenues. C’est ce destin hors du commun que retrace Amir dans Sélectionné, à partir du 26 avril au Théâtre Edouard-VII (Paris 9e), mis en scène par Steve Suissa. Un monologue à la première personne, signé Marc Elya, dans lequel le chanteur se révèle être un acteur convaincant.

La première fois que vous avez entendu parler d’Alfred Nakache, c’est sur le tournage du clip de votre chanson « J’ai cherché », en 2016…

Il y a un moment dans le clip où on voit Melvin, le danseur, passer devant la pancarte de la piscine Alfred-Nakache. Je connaissais Géraldine Nakache, Olivier Nakache, les frères Nakache de la musique, mais je ne comprenais pas le rapport avec le sport… C’est donc ce cheminement un peu étrange qui m’a amené à me renseigner sur cet Alfred et sur les raisons pour lesquelles une piscine porte son nom. Je ne m’attendais pas du tout à lire une histoire comme la sienne. J’ai été bluffé, estomaqué, bouleversé parce qu’il a vécu. Pourquoi un homme qui a eu une telle vie n’est-il pas célèbre et célébré. Pourquoi sommes-nous si nombreux à ne pas connaître son histoire ?

Vous avez la réponse à cette question ?

Il est devenu un héros local à Toulouse. C’est dans cette ville, où il vivait, où il a fait partie du club mythique des Dauphins du Toec, qu’il a reçu le plus grand nombre de titres. Il n’est pas complètement tombé dans l’oubli de ce point de vue là, mais c’est une gloire plutôt localisée. Je pense que si peu de gens connaissent sa vie, c’est parce qu’il n’a pas cherché à devenir quelqu’un. Il a vécu une quarantaine d’années après la guerre, sans forcément chercher la gloire et les honneurs, alors qu’il aurait pu être une légende vivante. Il a toujours mené une vie modeste. Il ne voulait déranger personne. Il a rejoint le Swimming Hall of Fame, le plus grand honneur pour un nageur, en 2019, plus de trente-cinq ans après sa mort. Au début de la pièce on l’imagine surpris de cet hommage. Très peu de nageurs y accèdent. Finalement, cela semble cohérent qu’un personnage comme lui soit adulé en retard, post-mortem. Je suis chanceux de faire partie de ceux qui vont mettre en lumière ce destin oublié.

Deux ans après votre découverte de la piscine Alfred-Nakache, Steve Suissa vous a appelé…

J’ai été surpris : pourquoi est-ce qu’il me contactait vu qu’il est metteur en scène ? Quand je l’ai pris en ligne, il m’a dit : « Je monte un projet qui me tient à cœur. Connais-tu Alfred Nakache ? Voudrais-tu l’incarner ? » Imaginez mon choc. Pour moi, c’était un signe…

Vous savez pourquoi il a pensé à vous ?

Il connaissait ma carrière musicale, il m’a vu nager et savait que je faisais du triathlon, et il me trouvait des traits physiques communs avec Alfred Nakache. Pour moi, ce n’étaient pas des arguments très solides… J’ai appris à comprendre avec le temps que Steve a des intuitions animales et pertinentes. Il savait que le projet irait au bout. Il était tellement confiant que ça m’a rassuré d’emblée et m’a donné envie d’embarquer avec lui alors que je savais que je prenais un gros risque.

Jouer la comédie, c’est une prise de risque ou un rêve d’enfant ?

J’ai toujours rêvé de jouer la comédie. Avec la chanson, cela faisait partie de mon projet de vie. Gamin, dans les fêtes de fin d’année, devant ma famille, je n’ai jamais été identifié davantage en tant que « chanteur » qu’en tant que « comédien ». J’étais aussi un peu clown, un peu danseur… La scène était ce qui me passionnait. Les années ont fait que la musique a pris les devants, mais j’ai ressenti que le tableau du rêve ne serait complet que quand je pourrais m’exprimer dans une autre forme d’art et la comédie était prioritaire. J’ai reçu des propositions de rôles, notamment pour des comédies romantiques, mais je les ai toujours déclinées. Je voulais attendre le bon moment, la proposition qui me permettrait de m’exprimer, de me challenger. Personne n’avait eu le courage qu’a eu Steve Suissa de me proposer un projet dans lequel je deviendrais littéralement quelqu’un d’autre. Un seul en scène sur lequel il a mis son nom, ses ambitions, des années de travail… Et cela alors que je n’avais jamais joué professionnellement sur les planches. Il faut être fou pour le faire !

« Sélectionné » permet d’aborder plusieurs thèmes, de la colonisation à la résilience, mais aussi celui de l’antisémitisme. Alfred Nakache, son épouse et leur fille ont été déportés après avoir été dénoncés par un Français. Parler de cet antisémitisme, qui perdure en France, était une motivation supplémentaire ?

Cela fait partie des nombreux messages à caractère humain, des valeurs que transmet cette pièce. Cette histoire a pour but de nous laisser matière à réflexion, de nous faire comprendre certaines choses, de nous éveiller aux troubles dont le monde souffrait en 1939-1945 et dont il n’a pas guéri jusqu’à ce jour. L’antisémitisme en fait malheureusement partie. Le thème de cette pièce, de manière générale, c’est comment ne pas reproduire les erreurs et les horreurs de l’histoire. Elle met en lumière les injustices profondes, au-delà du nazisme et des camps. Elle raconte un homme qui a tout donné pour son pays et qui se fait trahir par son propre pays. En tant que sportif, il portait le drapeau tricolore, défendait les couleurs de sa patrie, chantait la Marseillaise. Du jour au lendemain, il s’est retrouvé recraché, vomi par son pays vers des camps de mort. Le contraste entre qui Alfred Nakache était, ce en quoi il croyait, et la manière dont il a été traité fait très mal. Cette pièce a l’atout principal de nous éveiller. Elle est importante pour la jeune génération, qui n’est peut-être pas consciente de ce qu’il s’est passé il n’y a pas si longtemps.