Présidentielle 2022 : Métavers, avatars lapin… A quoi ressembleront les meetings du futur ?
ELECTION•Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron ont mis le paquet sur les nouvelles technologies pendant cette campagneLaure Beaudonnet
L'essentiel
- Jean-Luc Mélenchon a ressorti son avatar cette semaine après avoir organisé un meeting olfactif et immersif tandis qu’Emmanuel Macron s’est invité dans Minecraft.
- S’il est d’abord question d’image pour les candidats, les meetings innovants laissent augurer un basculement dans le virtuel dans les années à venir.
- Va-t-on se retrouver avec un candidat en forme d’avatar lapin dans le futur ? C’est bien possible.
Cette année, la campagne présidentielle s’est conjuguée au futur. Certains candidats -Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron en tête- ont mis le paquet pour créer des grands rassemblements innovants et en mettre plein la vue (et l’odorat) à leurs militants. Lors de son meeting à Lille ce mardi, on a vu le leader de la France insoumise se dédoubler sous forme d’hologramme dans 11 villes de France, quelques semaines après avoir organisé un meeting olfactif et immersif. De son côté, l’actuel président de la République s’est invité dans le jeu Minecraft le 2 avril dernier pour offrir un meeting virtuel (un peu décevant pour son absence de fun mais là n’est pas la question). Et puis quoi encore ? Va-t-on se retrouver en 2027 face à un avatar lapin en guise de candidat à la présidentielle dans un métavers décentralisé où les militants financent la campagne à coups de NFT ? C’est bien possible.
Surfer sur les jeux vidéo ou les innovations est d’abord une question d’image pour les candidats. « On montre qu’on maîtrise des codes, qu’on n’est pas à la traîne, analyse Olivier Mauco, enseignant à Sciences-Po et spécialiste des jeux vidéo et de la politique. Les meetings de Jean-Luc Mélenchon sont assez spectaculaires, ils rendent bien d’un point de vue esthétique. Il montre qu’il vit avec son temps ». Pour le candidat de la France insoumise, c’est aussi une façon de faire oublier son âge. « D’accord je suis âgé, mais je suis jeune dans ma pratique, dans ma façon d’être et je vous fais vivre un moment unique », confirme le spécialiste en communication Philippe Moreau-Chevrolet.
Des innovations visibles et invisibles
Jean-Luc Mélenchon a une culture de l’innovation par nécessité d’image et parce qu’il a su s’entourer de passionnés. « Par exemple, il est le seul candidat à prendre le jeu vidéo comme une problématique culturelle et à l’intégrer dans son programme, note Olivier Mauco. Pour Emmanuel Macron, il y a aussi une forme de cohérence : il a annoncé un métavers européen et il organise un meeting sur Minecraft ». Un (tout petit) premier pas dans le monde virtuel. Les deux candidats prennent clairement le lead sur leurs rivaux en matière d’innovations. Mais tout le monde ne peut pas se le permettre financièrement. Rappelons que le meeting immersif et olfactif du candidat de la France insoumise a coûté 300.000 euros, avait précisé au mois de janvier le directeur de campagne sur BFMTV. Il faut pouvoir les sortir.
Cela dit, d’autres partis ne sont pas en reste. L’équipe du candidat d’extrême droite Eric Zemmour a une longueur d’avance dans l’innovation digitale. « Ce sont de très loin les meilleurs en termes de d’influence digitale, ils arrivent à créer des polémiques, des rumeurs… Si vous regardez l’affaire McKinsey, quand vous observez les chiffres sur Visibrain [la plateforme de veille sur le Web et les réseaux sociaux], les militants d’extrême droite ont permis d’imposer ce sujet pourtant très technique dans la campagne, pointe Philippe Moreau-Chevrolet. L’amplification du camp Zemmour et du Rassemblement national montre la puissance de feu de l’innovation digitale quand elle est maîtrisée ».
Le métavers résoudrait le problème de la sécurité
Mais revenons à nos meetings de campagne. Il y a d’autres innovations spectaculaires qu’on ne voit pas. LREM, par exemple, a une grande maîtrise de l’orchestration. « Le fait de repérer les chansons populaires sur Spotify, comme La Kiffance de Naps, et de la détourner pour en faire un chant de meeting, c’est très intelligent et cela ne se voit pas comme un hologramme », note le spécialiste de communication politique qui rappelle que lors d’un meeting d’Emmanuel Macron en 2017 les applaudissements étaient téléguidés via les smartphones pour donner une impression de ferveur populaire. Toutes ces ficelles de coulisses en font un spectacle prodigieux pour les personnes présentes et sont invisibles à l’œil nu, comme devant un numéro de magie. Mais pourquoi diable en faire des caisses pendant ces rassemblements ?
Il faut créer de la féerie. Et, aujourd’hui c’est d’autant plus important que ces meetings sont rediffusés à la télévision. « C’est surtout pour les caméras. On a besoin qu’il se passe des choses tout le temps, qu’il y ait de la claque, de la lumière bien gérée. Il faut que ce soit un show de qualité soutenu, explique Philippe Moreau-Chevrolet. ». En bref, il y a deux niveaux de communication, celui du meeting et celui de sa rediffusion, qui imposent une véritable gymnastique au candidat.
Certes, on aurait pu s’attendre à plus de virtuel dans cette campagne après deux ans de télétravail sur zoom, mais on peut facilement imaginer des meetings dans les métavers pour la campagne de 2027 (ou la suivante). Ce sera moins télévisuel et il faudra résoudre le problème de la polarisation en ligne, mais le virtuel pourrait aussi apporter un peu de souplesse. « Il faut que la technologie soit suffisamment répandue pour que ça ait du sens, poursuit le spécialiste en communication. Aujourd’hui, la question de la sécurité dans les meetings est croissante, ça coûte cher, il faut se déplacer, c’est épuisant pour les candidats… En politique, le métavers aura l’avantage de réunir des gens sur différents territoires, vous pourrez modérer, bannir, faciliter le dialogue… » Apporter de la légèreté et de l’amusement. Pour peu qu’on retrouve dans le virtuel des espaces de socialisation si chers à l’expérience des meetings de campagne IRL.
Le parti du futur prendra la forme d’une DAO
Et si on se la joue encore plus futuriste, on peut imaginer un parti décentralisé et autonome sans aucun candidat pour le porter. Là on entre dans la science-fiction et pourtant c’est à portée de main avec les DAO [Decentralized Autonomous Organization]. En VF, organisation décentralisée et autonome. C’est un moyen de construire une communauté sur le Web, basé sur la blockchain, qui permet d’inscrire les règles de gouvernance de façon immuable sur la technologie (Ethereum, la deuxième blockchain après le Bitcoin, dont la monnaie est connue sous le nom d’ether). « Ce n’est pas absurde qu’une DAO émerge pour prendre le pouvoir, prophétise Olivier Mauco. La DAO va révolutionner le monde associatif. Ce n’est pas délirant que le prochain parti émerge de cette façon ». A la place du candidat, on aurait le smart contract, c’est-à-dire les programmes informatiques qui permettent d’exécuter les règles définies par les membres.
Retrouvez la rubrique Futur(s) ici
Imaginez un peu un parti qui n’a plus besoin d’une incarnation charismatique pour se lancer en campagne. Là, l’avatar lapin (ou panda, c’est comme vous voulez) prendrait la place d’une Valérie Pécresse ou d’un Jean Lassalle pour porter les idées de ses militants dans le métavers. Ça remobilisera peut-être les abstentionnistes, qui sait ?
Découvrez les résultats de l’élection présidentielle 2022 dès 20h par ville, département et région sur 20 Minutes.