COMME UN LUNDI« Self-love », « paix intérieure »… Des mots aux pouvoirs magiques ?

Développement personnel : « Self-love », « paix intérieure »… Des mots aux pouvoirs magiques ?

COMME UN LUNDIEn 2022, « 20 Minutes » se lance à la recherche de la paix intérieure et de la sérénité. Place au « self-love » avec l’adaptation d’un best-seller américain
Clio Weickert

Clio Weickert

L'essentiel

  • 20 Minutes s’est lancé à la recherche du bonheur avec la série « Comme un lundi ». Le principe ? Expérimenter chaque mois une méthode différente pour tenter d’approcher la paix intérieure, et observer les bénéfices, ou pas.
  • Au cœur de ce deuxième épisode, Self-love : le cahier pour enfin s’accepter !, l’adaptation d’un best-seller qui a « changé la vie de plus de 200.000 lectrices ».
  • L’autrice américaine Megan Logan y distille ses conseils de bienveillance, gratitude, amour de soi et autre « autocompassion ».

«Le best-seller qui a changé la vie de plus de 200.000 lectrices ». Se pencher sur Self-love : le cahier d’exercices pour enfin s’accepter !, c’est se tourner vers une méthode qui a fait ses preuves. C’est en tout cas ce qu’affirme le bandeau qui orne le livre. Sorti en février dernier, il est l’adaptation d’un succès de ventes aux Etats-Unis, de Megan Logan, une thérapeute américaine « spécialisée en soin des traumatismes, abus, troubles alimentaires et deuils », explique le communiqué.

Fini les protocoles de la méthode testée le mois dernier. Ici l’autrice propose une série d’exercices à effectuer à l’écrit pour se « libérer de nos doutes » et « aimer qui nous sommes ». Une approche ludique ? Ça parle forcément à la fan de sudoku, de quiz et de tests de personnalités que je suis (comme la plupart d’entre nous, non ?).

Or, dès les premières pages du livre, un détail m’interpelle : un sentiment de déjà-vu ou, plutôt, de « déjà lu ». « Amour de soi », « gratitude », « gentillesse », « bienveillance », « compassion »… Autant de termes qui sont légion dans le secteur du développement personnel.

Je me rends rapidement compte au cours de ma lecture que mon esprit est happé par ce tourbillon de gentils mots parfumés à la guimauve, apparaissant et réapparaissant en boucle au fil des chapitres. Des termes magiques qui agissent comme des sortilèges ? J’ai demandé à Laurence Brunet-Hunault, maîtresse de conférences en linguistique et sémiologie à La Rochelle Université, de m’aider à décrypter les images et le lexique du Self-love.

Le cahier d’exercices

Commençons par la forme. Le livre ne laisse pas indifférent. La couverture regorge de couleurs et de formes rigolotes qui attirent l’attention. La promesse d’une lecture fraîche et divertissante. A l’intérieur, les conseils de l’autrice se mêlent aux fameux exercices promis. On y retrouve des tests et des quiz (bingo !), des listes à établir, des exercices de respiration ou encore des textes à trous à compléter. Ça a le mérite de varier les propositions et d’attirer l’attention.

L’avis de Laurence Brunet-Hunault : « Il y a un côté un peu artistique dans la composition de la couverture, mais aussi très enfantin dans les dessins. Le fond est noir et tout le reste en couleurs : ça va vous permettre de sortir de la noirceur de votre âme ! A l’intérieur, toutes les couleurs sont claires, pastels, c’est l’univers de la douceur. La mise en page rappelle le cahier de devoirs de vacances. C’est tout juste s’il n’y avait pas des vignettes à coller… Cet aspect ludique est quelque part infantilisant. Comme c’est un cahier d’exercices, on ne peut pas s’empêcher de penser que, d’une manière ou d’une autre, il va y avoir des scores qui nous diront si on voit juste ou non. Il y a une évaluation, ça nous ramène au moment où on était à l’école. »

« La meilleure version de soi-même »

C’est le titre de la série très drôle de Blanche Gardin mais c’est aussi une expression qui trouve sa place à plusieurs reprises dans le livre. « L’énergie émanant du self-love vous donnera la motivation nécessaire pour devenir la meilleure version de vous-même », est-il écrit, par exemple, page 22. Mais ça veut dire quoi en fait ? Qu’actuellement – et même depuis plusieurs années a priori –, j’avance avec une version moyenne de moi-même ? Qu’il existe quelque part (coincée dans une faille spatio-temporelle peut-être), un moi beaucoup plus intéressant et abouti ?

L’avis de Laurence Brunet-Hunault : « C’est vrai que nous sommes des personnalités multiples. Il y a des jours où on est en phase, d’autres non… Ça arrive à tout le monde. Mais cette façon de le dire, je trouve que ça va surtout avec l’esprit du temps et avec cette société de la performance où nous sommes tout le temps notés. On peut s’améliorer, ce n’est pas négatif, mais ça évoque le management où on est tout le temps en train d’essayer de s’améliorer soi-même. »

« Se libérer » et trouver la « paix intérieure »

Ces deux expressions squattent les méthodes de développement personnel, dont Self-love. A juste titre, non ? Qui n’a jamais rêvé de « se libérer » et de trouver cette fichue « paix intérieure » ? Mais quand on y réfléchit un peu, que recouvrent ces mots ? De quoi veut-on se libérer ? De quels geôliers ou de quelles entraves ? La « guerre » fourmille-t-elle vraiment dans les profondeurs de nos êtres pour justifier cette quête inespérée de paix ?

L’avis de Laurence Brunet-Hunault : « Lors d’une thérapie, ces expressions demeurent de l’ordre de l’intime. Quand ça parait dans des livres comme ça, on les sort un peu sur la place publique et ça vide les mots de leurs sens. C’est une tendance actuelle : plein de mots sont utilisés à tort et à travers, comme "guerre" pour parler du virus et de la pandémie. Ce sont des mots forts mais, à force, on finit par les intégrer à des expressions comme "C’est la guerre avec mes voisins" ou "Je fais la guerre à mes enfants" pour retranscrire le côté agression. Je trouve surtout que ces mots de paix sont assez antinomiques avec ce que les gens vivent. Dans le monde du boulot par exemple, on n’est pas en paix, on est souvent harcelé, stressé… Ce genre de livre c’est comme un talisman pour essayer de contrebalancer la société agressive et individualiste dans laquelle on est ».

« Self-love »

C’est le titre du livre et le concept central autour de laquelle tourne la méthode. Dans le texte ce « self-love » est parfois traduit en français par « amour de soi », ou encore transformé en action avec l’expression « pratiquer le self-love ». Mais pourquoi le laisser en anglais si c’est si simple à traduire ?

L’avis de Laurence Brunet-Hunault : « Peut-être que "l’amour de soi" pour un Français ça peut aussi être le summum de l’égoïsme. Voire, du narcissisme : je m’aime, je me regarde et il n’y a que moi qui suis beau ! Mais s’aimer soi-même ne devrait pas être tabou. Ou alors c’est pour en faire un truc de marketing. C’est comme le terme "autocompassion". "Oui, mais ce n’est pas de ma faute" est quand même un discours très repris avec cette idée d’arrêter de se dire que c’est de notre faute. Est-ce que c’est de l’autocomplaisance ? Je ne sais pas. »

Répéter les mots magiques

Amour, bienveillance, gratitude… Ce qui frappe dans l’utilisation de ces mots, c’est autant la promesse de bonheur et de légèreté qu’ils renferment que la cadence à laquelle ils se répètent. On nous propose même de nous dire à voix haute certains de ces termes, comme à la page 109. « Je suis digne d’être aimée » et « chaque jour, j’apprends à m’aimer », font ainsi partie de la liste de phrases à répéter pour devenir « [sa] première fan ». Mais est-ce que ça marche ? Marteler un mot suffit-il à lui conférer un pouvoir magique ?

L’avis de Laurence Brunet-Hunault : « C’est fait pour créer une sphère de bien-être et une bulle. C’est-à-dire que si vous pratiquez ça, vous aller enfin "vous aimez vous-même". On saura chasser les nuages autour de nous, hiérarchiser les angoisses, être ouvert aux autres… On n’est que dans le positif et ça efface notre côté obscur ! Ce sont comme des mantras qu’on répète. C’est fait pour inscrire des choses dans notre psyché. En me regardant tous les matins, en me disant "Je suis belle, j’ai confiance en moi" et en prenant ce temps pour soi, ça va conférer à ces instants et à ces mots un pouvoir sur vous. On est assigné par les mots. Si petite on vous dit "Toi, tu n’arriveras à rien", vous finirez par y croire. Ça, c’est la pragmatique du langage, les mots peuvent assigner des gens à des fonctions, ils ont un poids agissant. »

En conclusion, ai-je davantage confiance en moi après la lecture et la pratique du Self-love ? Non, car j’ai été beaucoup plus obnubilé par la portée des mots que par la mise en pratique de la méthode. Et d’autres questions font reculer cette recherche effrénée du bonheur : doit-on forcément adhérer à cet état d’esprit doux, un peu mou et bienveillant pour être heureux ? L’ironie et le sarcasme ont-ils droit à la paix intérieure ? Affaire à suivre.