Pour Hélène Carrère d’Encausse, le pronom iel est « un coup de pub »
LANGUE FRANCAISE•La secrétaire perpétuelle de l’Académie française assume les positions conservatrices de l’institution sur les questions linguistiques20 Minutes avec AFP
Le pronom « iel » relève du « coup de pub », estime la secrétaire perpétuelle de l’Académie française Hélène Carrère d’Encausse, qui à 92 ans assume les positions conservatrices de l’institution sur les questions linguistiques. Ce néologisme à mi-chemin entre « il » et « elle » est entré dans la version en ligne du dictionnaire Le Robert en novembre, même s’il n’est pas encore employé couramment. Tellement peu couramment que la première des Immortels a préféré ne pas engager ses collègues dans la polémique.
« Moi j’ai calmé l’Académie. Nous étions quelques-uns à penser que mieux valait ne pas en faire un drame, précisément pour ne pas consolider l’idée que c’était important. Or c’est absurde. Ça n’a aucun sens », dit-elle, lors d’un entretien dans le salon de réception de ses bureaux. À 92 ans, dont un tiers à l’Académie, cette historienne a vu passer bien des modes qui ne sont pas restées dans le langage : anglicismes éphémères, mots de verlan vite oubliés, noms de technologies périmées, etc. Mais aussi une vague de fond qu’elle a voulu freiner : la féminisation de la langue.
« La langue française se trouve désormais en péril mortel »
Elle-même tient à être appelée « Madame le secrétaire perpétuel ». Parce que c’était ainsi quand elle a été la première femme à prendre cette fonction en 1999, et que cela le restera tant qu’elle sera en poste. Alors « iel », qui permet d’éviter une distinction entre genres masculin et féminin, lui inspire un certain mépris. « Je pense que ça a été un coup de pub du Robert. Le Robert a perdu Alain Rey [linguiste décédé en 2020], ce n’est plus le grand Robert. Il s’est dit que c’était une bonne occasion pour attirer l’attention. »
« Le "iel", je ne dirais pas que ça vient des États-Unis, mais il y a une pression des groupes minoritaires qui est une imitation de ce qui se passe aux États-Unis. Nous ne sommes pas les États-Unis », tranche-t-elle. Toute l’écriture inclusive la rebute. En 2017, l’Académie française avait adopté à l’unanimité une « solennelle mise en garde » contre une « aberration ». À cause d’une « confusion qui confine à l’illisibilité », déplorait le gardien du bon usage, « la langue française se trouve désormais en péril mortel », rien de moins.
Le point médian, « stupide »
L’emblème le plus controversé de l’écriture inclusive, le point médian (comme dans « les auteur·rice·s »), paraît à Hélène Carrère d’Encausse « stupide ». « Je me lis moi-même à voix haute, toujours, un livre que je commence, pour me rendre compte de la musique de la langue. On lit en silence, mais je pense qu’il est bon d’entendre l’auteur. Vous ne pouvez pas lire à voix haute avec le point médian », souligne-t-elle.
Mieux : doubler les masculins de féminins, « celles et ceux » au lieu de « ceux » seulement, d’après cette lettrée « est insupportable ». « La langue française est belle, assez aérienne. Quand vous répétez les mêmes choses avec vos gros sabots, c’est insupportable », estime-t-elle. « Honnêtement qu’est-ce que ça apporte aux femmes, "celles et ceux" ? Ça n’émancipe rien du tout. »