ESSAIPourquoi Jules Verne est le « père fondateur de la pop culture »

« Le Tour du monde en 80 jours » : Pourquoi Jules Verne est le « père fondateur de la pop culture »

ESSAIAlors que Jules Verne est à l’honneur sur France 2 avec la série « Le Tour du monde en 80 jours », retour sur l’influence majeure de l’écrivain nantais sur la pop culture
Anne Demoulin

Anne Demoulin

L'essentiel

  • La série Le Tour du monde en 80 jours est disponible en replay jusqu'au 9 février sur France.tv
  • Reconnu comme un écrivain majeur à l’étranger, on ne mesure parfois pas encore l’étendue de son influence en France.
  • Dans son essai Les mondes extraordinaires de Jules Verne, Nicolas Allard montre qu’il est le « père fondateur de la pop culture » et de la science-fiction.

Plus d’un siècle après sa mort en 1905, Jules Verne est plus que jamais d’actualité ! L’écrivain nantais était à l’honneur sur les plus grandes chaînes européennes France 2, RTBF, ZDF et la BBC, et aux Etats-Unis sur le réseau PBS dans la prestigieuse case du dimanche soir intitulée « Masterpiece » en ce début d’année 2022 avec la nouvelle adaptation sérielle de son chef-d’œuvre Le Tour du monde en 80 jours, portée par David Tennant. Le final de la saison 1, disponible jusqu’au 9 février sur France.tv, a rassemblé ce lundi quelque 2,1 millions de téléspectateurs sur France, soit 9,9 % et cette coproduction d’envergure internationale a d’ores et déjà été renouvelée pour une saison 2.

Une dimension internationale qui ne surprend pas Nicolas Allard, auteur d’un passionnant essai intitulé Les Mondes extraordinaires de Jules Verne, Aux origines de la pop culture et de la science-fiction (Armand Colin, 19,90 euros). « A l’étranger, Jules Verne est considéré assez tôt comme un écrivain majeur, reconnu et apprécié, alors qu’en France, il a été pendant longtemps dénigré », commente-t-il.

Il faudra attendre 2012 pour que Jules Verne soit édité dans la prestigieuse collection de la Pléiade. « Au XIXe siècle, en France, on a tendance à associer le roman au réalisme, puis au naturalisme », explique Nicolas Allard. Et pourtant, rares sont les auteurs français qui ont autant d’importance, de rayonnement et d’influence que Jules Verne, qui n’est pas moins que le « père fondateur de la pop culture ».

Un succès international et transgénérationnel, comme « Harry Potter »

« La pop culture n’a pas de définition claire et nette, avance l’essayiste. Mais il y a un certain nombre de dénominateurs communs dans les œuvres de pop culture. » Les œuvres phares de la pop culture comme Star Wars, Harry Potter, Dune ou Le Seigneur des anneaux ont en commun d’avoir « un succès international » et « transgénérationnel ». Un succès que l’on retrouve avec Les Histoires extraordinaires de Jules Verne.

« Ce sont également des divertissements populaires, mais intelligents, qui permettent de formuler un certain nombre d’interprétations assez poussées », estime Nicolas Allard. Et d’ajouter : « L’autre dénominateur commun, c’est la question de l’aventure. Toutes les œuvres de pop culture accordent une grande importance à cette thématique. Et Jules Verne est vraiment le grand maître de l’aventure. »

Si le roman d’aventures est apprécié au XIXe siècle, Jules Verne lui donne « un nouveau souffle. Il va permettre au roman d’aventures d’avoir une dimension internationale, parce qu’il fait faire le tour du monde connu et inconnu à ses personnages. »

Un récit associé aux « avancées scientifiques », comme « Jurassic Park »

« Jules Verne va faire évoluer le roman d’aventures en l’associant à la question de la science et des avancées scientifiques. C’est ce qui en fait d’ailleurs avec H.G. Wells, le père de la science-fiction, analyse Nicolas Allard. Il considère que les avancées scientifiques permettent de raconter de nouvelles histoires. Il essayait d’être le plus rigoureux en contactant de grands scientifiques de son temps. »

Une tradition que va perdurer dans les grandes œuvres de pop culture. « Steven Spielberg a fait appel à un paléontologue comme consultant sur Jurassic Park pour que les dinosaures soient le plus crédibles possibles », remarque l’expert.

« Les Histoires extraordinaires », un univers étendu à la Marvel

« Jules Verne fait en sorte que tout ce qui passe dans ses récits d’aventures appartienne à une même réalité spatiale et temporelle, au même univers, ce que j’appelle l'"univerne" », explique Nicolas Allard. Jules Verne est l’un des précurseurs du concept d’univers étendu à la manière des grosses franchises de la pop culture comme Marvel ou DC Comics.

« On peut lire les romans de Jules Verne séparément des uns des autres, à de très rares exceptions près comme Autour de la Lune, la suite de De La Terre à la Lune », lance Nicolas Allard. Lire l’intégralité des Histoires extraordinaires permet de prendre conscience que les romans « ont des liens entre eux », souligne l’expert.

Certains personnages peuvent ainsi être présents dans un roman en tant que personnage principal et réapparaître dans un autre roman en tant que personnage secondaire. « C’est le cas du capitaine Nemo, on le voit comme personnage principal dans 20.000 lieues sous les mers, il apparaît comme personnage secondaire dans L’île Mystérieuse », note Nicolas Allard.

Selon l’auteur de l’essai, l’écrivain nantais est aussi amateur de « crossover », à savoir « le fait que des personnages qui appartiennent à des histoires différentes soient réunis dans une même histoire. La pièce de théâtre Voyage à travers l’impossible réunit en une même histoire plusieurs personnages importants des grands romans de Verne, dont Nemo. » Ce n’est pas un hasard si Stan Lee, le papa des Avengers de Marvel, est un grand fan des romans de Jules Verne.

Pierre-Jules Hetzel, un éditeur façon Kazuhiko Torishima

Derrière Les Histoires extraordinaires, il n’y a pas un mais deux hommes. « C’est une co-création, c’est l’éditeur de Jules Verne, Pierre-Jules Hetzel, qui a l’idée de cette collection littéraire », souligne l’essayiste. Pierre-Jules Hetzel porte un regard très critique sur les textes de Jules Verne et oriente considérablement ses projets artistiques « Par ses pratiques de co-création, Pierre-Jules Hetzel annonce déjà tous ces grands producteurs des œuvres de pop culture, qui ont une importance absolument considérable que ce soit dans le domaine du cinéma ou du manga », estime Nicolas Allard. Un travail en binôme que l’essayiste compare à celui d’Akira Toriyama et son éditeur Kazuhiko Torishima autour de Dragon Ball Z ou d’un Kevin Feige pour les studios Marvel.

Des tonnes de produits dérivés, comme pour « Star Wars »

Les choix artistiques de Pierre-Jules Hetzel sont aussi guidés par des raisons commerciales : « Une problématique que l’on retrouve parmi les producteurs de la pop culture. » Immense succès dès leur sortie, la popularité des récits de Jules Verne ne dépend pas que de la « qualité des œuvres », mais aussi de « la stratégie marketing que Pierre-Jules Hetzel a mise en place. »

L’éditeur de Jules Verne est un visionnaire, « conscient de ne pas s’adresser uniquement à des lecteurs, mais à des fans. » Alors que les romans de Jules Verne sont publiés sous la forme de feuilleton, l’éditeur a l’idée de proposer une belle édition. « Ce qu’on appelle maintenant les éditions Hetzel avec cette belle couverture rouge et or et plusieurs illustrations. » Il a compris que même si les lecteurs connaissent l’histoire, ils auront le plaisir de se procurer un objet de collection. « C’est ce que l’on retrouve aujourd’hui dans la pop culture. Les fans de certains univers ont le film en DVD et vont vouloir se procurer une édition collector. »

En parallèle des livres, « Pierre-Jules Hetzel perçoit assez tôt le potentiel des produits dérivés ». On trouve dès le XIXe siècle des puzzles estampillés Histoires extraordinaires. « George Lucas aura plus tard cette même intuition en demandant à ne pas être payé beaucoup pour réaliser le premier épisode de Star Wars mais à conserver les droits pour les produits dérivés. »

Une œuvre régulièrement réinterprétée, comme « Le Seigneur des anneaux »

Les Histoires extraordinaires de Jules Verne et Le Tour du monde en 80 jours en particulier font partie de la pop culture, parce qu’ils ont une dimension internationale. « Les personnages du Tour du monde en 80 jours ont de vraies interactions avec les populations locales. On a des personnages de différentes nationalités. La pop culture essaye d’avoir cette dimension universaliste. »

Ce roman est aussi une œuvre de pop culture parce qu’il est régulièrement revisité. « Le Tour du monde en 80 jours est l’une des œuvres de Jules Verne qui a le plus donné lieu à des adaptations, parfois très libres » comme celle actuellement disponible sur France.TV. « C’est une œuvre de pop culture, dans le sens où plusieurs années après sa parution, elle continue de donner lieu à de nouvelles interprétations. Elle est réécrite et modernisée », constate l’auteur. Tout comme Le Seigneur des anneaux de Tolkien, adapté au cinéma par Peter Jackson au début des années 2000 et qui va faire l’objet d’une nouvelle adaptation en série sur Amazon Prime Video en 2022.

Au cours de sa carrière, « Jules Verne adopte des pratiques qui vont devenir la norme dans les œuvres de pop culture », conclut l’essayiste. Ses récits sont lus et passionnent les écrivains considérés à l’origine de la pop culture comme H.G Wells, Arthur Conan Doyle, Edgar Rice Burroughs, l’auteur des aventures de John Carter, qui inspireront Dune et Star Wars entre autres. « La figure qui domine et qui va les inspirer, c’est Jules Verne », conclut Nicolas Allard.