« Montre jamais ça à personne », « Validé », « Diana Boss »... Le rap tape l'incruste sur nos écrans
ECRANS•Le rap prend une place de plus en plus centrale dans les fictions ou les documentaires, et intéresse tout autant le cinéma que la télévisionAnne Demoulin et Clio Weickert
L'essentiel
- Genre musical numéro 1 en France, le rap s’invite de plus en plus sur nos écrans.
- Cet automne, une véritable vague de rap français déferle au cinéma et à la télévision, avec des séries comme Validé sur Canal+ ou Montre jamais ça à personne sur Amazon Prime Video.
- Comment expliquer ce fourmillement de projets ? 20 Minutes donne des éléments de réponse.
Le rap a conquis les ondes, les plateformes de streaming, les réseaux sociaux. Il est devenu le genre musical numéro 1 en France (et dans le monde), mais aussi l’un des plus foisonnants et créatifs. Et bientôt l’un des plus regardés ? Car désormais le rap s’écoute autant qu’il se mate, en témoignent les multiples documentaires qui ont vu le jour ces dernières années autour de grandes figures de la scène française, Nekfeu, Gims ou encore Médine. Ce n’était que le début. Cet automne, une véritable vague de rap français déferle sur les grands et petits écrans de l’Hexagone.
Du côté de la fiction, avec la saison 2 de Validé sur Canal+ depuis lundi, et prochainement avec la série Diana Boss sur France TV Slash. Au cinéma avec Suprêmes, le biopic sur NTM en novembre. Le documentaire n’est pas en reste, avec la mise en ligne ce vendredi sur Amazon Prime Video de Montre jamais ça personne, la série autour du rappeur Orelsan. A cela on pourrait ajouter d’autres projets à venir en 2022 : une série d’Arte sur NTM, un autre sur la scène bruxelloise destinée à FranceTvSlash, un documentaire sur Soprano sur Disney+…
Jamais en trente ans d’existence, le rap n’avait autant capté l’attention des écrans français. Mais comment expliquer ce fourmillement de projets ?
Des générations bercées au rap
Contrairement aux Etats-Unis où cette musique a été mise à l’honneur dès les années 2010 avec des séries comme Empire (2015), The Get Down (2016) ou Atlanta (2017), la France a été quelques années à la traîne du côté de la fiction. Franck Gastambide, qui a signé l’un des premiers succès du genre avec Validé, se souvient pour sa part des blocages rencontrés en amont du projet. « Certaines personnes chez Canal étaient un peu réticentes à l’idée de faire une série sur le rap, pas parce qu’elles avaient des problèmes avec cette culture, mais elles se demandaient si le public attendait une série comme celle-là », explique celui que 20 Minutes a rencontré à CannesSéries. « C’était révélateur des doutes de certains décideurs loin de cette culture et de cette musique. Je suis rentré un peu par la fenêtre, un peu de force. J’ai dû faire intervenir Maxime Saada pour que cette série existe », ajoute-t-il. Avec 35 millions de visionnages, la saison 1 de Validé est devenue l’un des plus grands succès de la chaîne. Quant à la saison 2, plus d’un million de personnes ont déjà vu les neuf épisodes depuis sa mise en ligne lundi.
Si de plus en plus de productions audiovisuelles autour du rap voient le jour, c’est aussi parce que des trentenaires ou des jeunes quadras distillent leurs références musicales dans leurs productions. « Ce sont des générations qui ont grandi avec cette musique, qui l’écoutent toujours et qui la transmettent, note Albin Lewi, directeur artistique de CannesSéries où le rap était à l’honneur cette année. C’est plus installé, c’est un phénomène naturel et c’est devenu transgénérationnel. La proximité entre musique et série est forte mais là on sent que ça plaît à plusieurs générations et dans n’importe quelle région. »
Un autre facteur peut expliquer l’attrait pour ce courant musical : son âge. « Il y a une plus grande richesse des propositions parce que ces cultures-là ont un historique plus important. Faire l’histoire de NTM dans Le Monde de demain, c’est possible quand on a peu de recul. On a plus de matière », pointe Gilles Freissinier, directeur du développement numérique et à l’initiative de la programmation « Culture hip-hop » sur Arte.
Un courant musical majeur
Qualifiée de « musique la plus écoutée de France », elle est prédominante dans l’industrie musicale hexagonale, et largement plébiscitée par les auditeurs. Plus globalement, c’est toute la culture hip-hop qui a pris une place importante dans notre paysage culturel. « A la base c’était une niche, une contre-culture dans les années 1990 qui devient un courant musical majeur, analyse Clément Cotentin, réalisateur du documentaire sur Orelsan. A un moment on se rend compte qu’il est temps de raconter son histoire pour lui donner ses lettres de noblesse, entre guillemets. C’est peut-être quand les musiques arrivent à maturité que l’on commence à les raconter. »
« Comparé aux Etats-Unis, en France on a toujours tendance à décrier le hip-hop comme la musique des jeunes de banlieues, mais ce n’est qu’une illusion, ce n’est plus le cas, analyse Audrey Estrougo, la réalisatrice de Suprêmes. On n’est plus dans les années 1990 et aujourd’hui le rap c’est l’équivalent de la variété d’il y a trente ans : c’est la musique la plus écoutée, la plus streamée, qui influence le plus la mode, la manière de parler… Je pense que si les projets se démultiplient aujourd’hui c’est qu’on est un peu décomplexé vis-à-vis de ce genre musical. »
Beaucoup plus populaire et mainstream, le rap touche aussi un plus grand public. « La palette est hyper large dans le rap, et maintenant tout le monde connaît des rappeurs et est capable d’en citer », note pour sa part Clément Cotentin. Pour la série documentaire autour de son frère, il avait envie de raconter l’histoire « la plus universelle possible ». « J’espère que ça pourra toucher les fans de mon frère, mais aussi d’autres personnes qui peuvent ne pas connaître et se dire que cette aventure est cool et inspirante », dit-il.
Des histoires et des époques à raconter
Dépasser les clichés persistants qui collent à la peau de cette musique est aussi la démarche de ces réalisateurs et réalisatrices. « Depuis que je montre mon film, énormément de personnes, âgées parfois, viennent me dire "NTM je ne savais pas ce que c’était. Je n’écoutais pas de rap mais j’ai adoré ce que vous racontez" », relate Audrey Estrougo. Suprêmes lui a aussi permis de parler « d’une époque ». « Quand le rap est arrivé il y a trente ans en France avec des groupes comme NTM, parmi les pionniers, c’étaient quand même des gamins qui en prenant un micro avaient l’espoir de faire changer les choses. Des gamins qui par le biais de l’art se disaient qu’ils allaient raconter leur quotidien. »
Du point de vue narratif, l’univers du rap permet d’un côté de raconter « des ascensions hors du commun » au sein d’un « milieu sulfureux qui fascine », explique Franck Gastambide. En outre, « la place du rap en fait un sujet de société absolument indiscutable, surtout quand on sait que le rap traite en grande partie de gens qui viennent de milieux un peu défavorisés, qui drainent avec eux des problématiques sociales et de rue. C’est aussi de cela dont parle Validé. Voilà, pourquoi c’est très riche. »