REPORTAGE« Ce n’est pas un squat » expliquent les occupantes du théâtre de Caen

« C’est un lieu ouvert où on peut imaginer des choses ensemble » expliquent les occupantes de la Comédie de Caen

REPORTAGEDepuis le lundi 15 mars, un collectif d’intermittents et de militants occupe la Comédie de Caen. « 20 Minutes » y a passé une journée
Pauline Butel

Pauline Butel

L'essentiel

  • La Comédie de Caen est occupée depuis 10 jours par un ensemble de militants et intermittents du spectacle dans un mouvement de convergence des luttes.
  • Le théâtre sert désormais de base pérenne à d’autres actions menées dans l’agglomération caennaise.
  • Le lieu est occupé en toute légalité et conformément aux mesures de sécurité et de lutte contre le Covid19.

Dans le sillage de l’occupation du théâtre de l’Odéon depuis le 4 mars 2020, plus d’une cinquantaine de théâtres et de scènes se sont vus occupés partout en France – d’abord par des intermittents du spectacle, des artistes, puis aussi très vite par des précaires de l’emploi en tout genre, des étudiants ou, tout simplement, des citoyens inquiets de la siuation des artistes.

Le Comédie de Caen fait partie de ces théâtres occupés. 20 Minutes est allé en reportage sur les lieux pour vous en faire le récit.

Qui sont les occupants de la Comédie de Caen ?

Loin du brouhaha et des tensions palpables lors de nombreuses manifestations, il règne à la Comédie de Caen une forme de sérénité, tandis que les lieux se transforment pourtant en une tour de Babel des luttes politiques et sociales. On y croise désormais des intermittents du spectacle bien sûr, mais aussi des membres de la KIC (Koordonation des Intermittents du Calvados), à l’origine de la première assemblée générale du 15 mars et de l’initiative d’occupation), des membres d’Art en Grève (travailleurs du monde de la culture et des arts, constitué contre la réforme des retraites), des Gilets Jaunes, des étudiants des différents campus caennais et de l’ESAM (Ecole Supérieure d’Arts & Médias), des chômeurs ou encore des travailleurs sans statut, comme les plasticiens. Autant de précaires de l’emploi qui subissent de plein fouet la crise sanitaire et redoutent plus que jamais la réforme de l’assurance chômage.

Ici comme partout ailleurs dans les théâtres occupés de France, le mouvement dépasse désormais la seule revendication de la réouverture des lieux culturels et de l’année blanche pour tous les intermittents. On se mobilise pour les droits sociaux, contre la réforme de l’assurance chômage, la réforme des retraites, pour améliorer le statut précaire de tous les travailleurs du monde de l’art et de la culture en général. En parallèle, c’est aussi un espace-temps de déconstruction des schémas traditionnels de pouvoir et de discriminations comme Alix (21 ans, étudiante en Arts du spectacle), Pauline (20 ans, étudiante en philosophie) et Nastasia (22 ans, étudiante en sociologie), arrivées dès les premiers jours de mobilisation, nous l’expliquent : « On fait tout pour que les personnes victimes de discriminations ne le soient pas à cet endroit-là ». Ces trois militantes ne craignent pas la diversité de ces combats et de ces revendications mais les regardent comme un tout cohérent. « On a une ligne commune qui permet de s’accorder sur nos revendications » avec, pour priorité, « des droits sociaux pour tous et toutes » synthétisent-elles.

« Ce n’est ni une ZAD, ni un squat »

Entre la mezzanine-dortoir, la salle commune servant aux réunions et aux repas partagés, les murs du théâtre reprennent vie et se couvrent de drapeaux en couvertures de survie dorées d’Art en Grève, de collages et de messages de revendication. Les militants vont et viennent, se saluent, échangent quelques mots avant de retourner à leurs groupes de travail ou à leurs réunions.

Alix, Pauline et Nastasia racontent cette occupation pas tout à fait comme les autres : elles sont ici légalement, avec l’accord de la direction de la Comédie de Caen et de la préfecture. « C’est presque plus une colocation qu’une réelle occupation. On peut faire des réunions, on peut se retrouver, faire des actions de rues. On a un potentiel assez incroyable et symboliquement c’est intéressant », s’accordent ces militantes. C’est aussi la garantie d’une lutte sereine et d’une occupation pérenne pour les militants. « Un théâtre, ce n’est ni une ZAD, ni un squat. On ne peut pas expulser un squat comme ça, ni une ZAD, c’est tout un protocole. Mais un théâtre, on se ferait expulser en deux minutes par la police [qui a un commissariat juste en face]. D’ailleurs les seuls lieux occupés par la force [au sein de ce mouvement] ont été expulsés » observe avec pragmatisme Nastasia. Pour elle comme pour les autres militants de la Comédie de Caen, cette occupation légale est donc plutôt vue comme une opportunité. « C’est un lieu qui est ouvert où on peut imaginer des choses ensemble, un QG à partir duquel les actions peuvent rayonner à l’extérieur » explique Alix.

Une journée type d’occupation racontée par 3 militantes

Pauline, Alix et Nastasia racontent leur journée type, le sourire aux lèvres mais la tête froide. Tous les matins à 8 heures, lorsque les employés de la Comédie de Caen arrivent pour commencer leur journée de travail, Farid, le très apprécié vigile, vient réveiller les militants restés dormir. Ensuite, c’est le moment du petit-déjeuner dans la salle commune qui est aussi l’occasion d’organiser différents éléments de la journée. En effet, les militants s’attellent jusqu’en fin d’après-midi à leurs missions respectives, allant de la gestion de la communication aux questions logistiques, en passant par la préparation des actions, aux réunions ou encore à l’accueil de nouveaux venus.

En fonction de l’agenda local et national, coordonné avec les autres théâtres occupés dans la France entière, les militants mènent des actions à différents endroits et de différentes manières. Le vendredi 19 mars par exemple, ils ont décidé de venir occuper un Pôle Emploi d’Hérouville-Saint-Clair. Le samedi 20 mars, un vaste rassemblement avec des collages a été organisé au Théâtre de Caen, dans centre de la ville de Caen. Mercredi 24 mars après-midi, une collecte de vêtements était organisée à la Comédie de Caen pour les plus démunis.

Des assemblées générales viennent également ponctuées, plus ou moins fréquemment, les journées d’occupation, ouvertes à tous. Enfin, vers 18h30, les militants organisent un débriefing de la journée se poursuivant par un repas partagé à prix libre et d’une soirée à refaire le monde, à échanger, et, parfois, à redécouvrir les talents d’artistes, de musiciens ou de comédiens muselés par la pandémie. Sur la centaine de militants actifs qui s’investissent, tous ne sont pas présents de manière permanente. Le caractère légal de l’occupation permet à chacun de pouvoir aussi rentrer chez soi, d’aller au travail ou de prendre du temps en dehors.

Une occupation responsable

Pour les occupants la lutte ne rime absolument pas avec anarchie, surtout pas en période de pandémie. Au contraire. L’occupation, en accord avec la direction, respecte les protocoles de sécurité classiques ainsi que sanitaires en vigueur. La jauge de personnes pouvant rester dormir a été évaluée à 20. Les distances de sécurité sont respectées, du gel et des masques sont mis à disposition à l’entrée du théâtre de manière à ce que la centaine de militants actifs, de passage ou occupants permanents, puisse se mobiliser en toute sécurité. Une fiche avec noms et numéros de téléphone a d’ailleurs été aussi mise en place pour pouvoir prévenir tout le monde si jamais un cas de Covid19 était déclaré.

« Tout le monde est respectueux. Il n’y a pas de bêtises faites ou de dégâts matériels contrairement à d’autres lieux de lutte » raconte Nastasia. « Ici, on fait attention, on n’a pas envie que des gens soient laissés de côtés. Les discours sont très bienveillants, nous confie Pauline. C’est une des premières mobilisations où je me sens légitime. »