MUSIQUE« Loin des yeux », l'album « un peu particulier » de Boulevard des airs

Boulevard des airs fait son inventaire avec « Loin des yeux », un album « un peu particulier »

MUSIQUEBoulevard des airs a profité du confinement du printemps 2020 pour replonger dans ses archives et se lancer dans un projet d’album en forme de « carnet de bord » retraçant l’histoire du groupe
Fabien Randanne

Fabien Randanne

L'essentiel

  • Loin des yeux, le nouvel album studio de Boulevard des airs sort ce vendredi.
  • L’opus, qui comporte vingt-quatre morceaux, dont des reprises et des duos, a vu le jour lors du premier confinement de 2020. Il a été pensé comme un « carnet de bord » racontant l’histoire du groupe formé dans un lycée de Tarbes en 2004.
  • 20 Minutes a rencontré Florent Dasque et Sylvain Duthu, les deux leaders de « BDA ».

La pochette de Loin des yeux, le nouvel album de Boulevard des airs, est truffée de symboles. L’instantané est trop posé, le décor trop pensé, la répartition entre les touches bleues et ocres trop équilibrée pour que l’image n’invite pas à la scruter de près.

Il y a des photos du groupe, des portraits d’artistes avec lesquels ils ont chanté, une guitare et un piano bien sûr, le disque de platine pour Bruxelles adossé au mur. Une pile de vinyles laissant deviner à son sommet Dancing de Paolo Conte. Sylvain Duthu et Florent Dasque, les deux leaders, sont en tenue d’été. Il faisait très beau ce 31 juillet 2020 lorsque la scène a été immortalisée.

Pochette de l'album Loin des yeux.
Pochette de l'album Loin des yeux. - Sony Music

Cette photographie réfléchie dans ses moindres détails n’aurait sans doute pas existé si, quelques mois plus tôt, la France ne s’était pas confinée.

Retour en arrière. Mi-mars 2020, la tournée des Zénith de Boulevard des Airs est mise à l’arrêt. Le changement d’atmosphère est brutal. « T’es avec 10.000 personnes et puis, une semaine après, tu es tout seul à la maison, résume Florent Dasque. On a assez vite pris la parole avec Sylvain sur les réseaux sociaux pour garder le lien avec les gens. On leur donnait rendez-vous tous les jours, on jouait des petits morceaux. On faisait des duos avec d’autres artistes et on voyait que le public appréciait. On s’est rendu compte aussi que les gens ne connaissaient pas bien l’histoire du groupe. »

« Des tonnes d’archives de textes et d’images »

Ainsi germe le projet de nouvel album. « On avait des tonnes d’archives, de textes et d’images. Cela faisait longtemps qu’on pensait en faire quelque chose d’un peu spécial, un objet, un documentaire… », reprend Sylvain Duthu. Cela prend finalement la forme de Loin des yeux, un disque « un peu particulier ».

Une sorte d’inventaire de ce qui constitue Boulevard des airs, comme l’annoncent les dizaines de références de la pochette. Au programme : vingt-quatre pistes, douze titres inédits, des reprises réorchestrées de leurs chansons phares, des duos avec – entre autres – LEJ, Jérémy Frérot, Patrick Bruel ou Yannick Noah, mais aussi des morceaux racontant le groupe sous toutes les coutures, allant jusqu’à donner à entendre d’anciens enregistrements privés, captés en coulisses ou sur les routes.

Le rétrospectif Et nous vraiment déclamé en ouverture de ce « carnet de bord », donne le ton. Il remonte le temps jusqu’en 2004, au lycée Marie-Curie de Tarbes (Hautes-Pyrénées), où le groupe s’est formé. « Le premier souvenir, le tout premier. Je suis dans le local de répétition chez Flo et Jean-No. Derrière mon vieux piano, avec Flo, on improvise. Quatre mains, lui dans les graves, moi dans les aigus. Et le souvenir très clair d’une sensation. Le souvenir d’une complicité musicale parfaite entre nous », relate Sylvain avant d’évoquer, par touches impressionnistes, le trajet accompli vers la renommée : « Une salle des fêtes sans public. Une boîte de nuit à Buenos Aires. Un soir à 2.876 mètres d’altitude. Des gens pieds nus à Tokyo. »

« La liberté de faire ce qu’on voulait »

Boulevard des Airs s’était déjà essayé au slam, mais jamais de manière aussi assumée. On pense à Arnaud Fleurent-Didier. Sensation confirmée dans Abécédaire, exercice de name-dropping des artistes entrés au Panthéon des membres du groupe et dans lequel figure l’auteur et interprète de France Culture. « C’est pour montrer qu’on ne peut pas répondre à la question qu’on nous pose le plus : "Quelles sont vos influences ?", sauf si on a cinq minutes devant nous », nous glisse Sylvain, précisant qu’il a oublié de citer Zebda dans ce texte reflétant « l’éclectisme hallucinant qu’il y a dans le groupe ». Le recensement est des plus variés : Air, Rosalia, Herman Dune, Francis Cabrel, Georges Brassens, Nina Simone et Oliva Ruiz côtoient Stromae, Ray Charles, Goran Bregovic, les Arctic Monkeys, Damso et Keith Jarret, parmi des dizaines d’autres noms.

Bien sûr, figurent Les Ogres de Barback et La Rue Kétanou, dans la lignée desquels Paris – Buenos Aires, leur premier album sorti en 2011, semblait les inscrire. Dix ans plus tard, force est de constater que le « son » Boulevard des airs a évolué davantage vers la pop et la variété. « Cela s’est fait naturellement, assure Florent Dasque. On n’écoute pas la même chose aujourd’hui qu’à l’époque. On a toujours eu la liberté de faire ce qu’on voulait. Cela nous a peut-être porté préjudice, parce que, c’est vrai que si tu écoutes de manière transversale sur Deezer ce qu’on faisait il y a dix ans et ce qu’on fait aujourd’hui, tu peux te demander si c’est le même groupe. »

Les deux compères l’assurent, ils ont toujours eu « carte blanche ». D’ailleurs, ils ont posé une condition pour signer chez Sony : rester producteurs de leurs disques. « On ne veut pas qu’on nous envoie un directeur artistique. Nous sommes ouverts à la discussion mais personne ne nous a imposé de faire ci ou ça. C’est un luxe », reconnaît Sylvain.

Et ça paye. Pour Bruxelles, leur troisième album qui les fait véritablement connaître du grand public, ils travaillent avec une chanteuse de flamenco « rencontrée par hasard ». Elle fait résonner sa voix sur Si je m’endors mon amour, le titre d’ouverture. « Quand on a fait écouter cette introduction au label, cela ne nous a pas été exprimé franchement, mais ils ont dû se dire "Qu’est-ce qu’ils sont allés nous chercher ?", se marre Florent. Ça nous a permis de nous renouveler, de surprendre les gens. »

« Bon courage pour nous ranger dans une case ! »

Bruxelles fait entrer Boulevard des airs dans une autre dimension. Il s’est écoulé à plus de 200.000 exemplaires et a ouvert la voie à une première tournée des Zénith ainsi qu’à des concerts en Europe, en Amérique latine, au Japon… Je me dis que toi aussi, en 2018, auréolé d’un disque de platine, confirme l’engouement. L’année d’après, le morceau donnant son titre à l’album reçoit la Victoire de la musique de la meilleure chanson originale. Allez reste, autre single, est nommé dans la même catégorie en 2020 mais s’incline face à Ça va, ça vient de Vitaa et Slimane, qu’importe, Boulevard des airs s’est imposé dans le paysage musical français.

« Musicalement, on a habitué les gens à aller à droite et à gauche, bon courage pour nous ranger dans une case !, lance Florent. On le voit avec les festivals : un soir on va être avec Vianney, un autre avec un DJ… Ceux qui font les programmations s’en foutent un peu, ils se disent que ça a l’air de coller un peu partout. »

Au moment d’évoquer ce succès bâti progressivement, Sylvain file la métaphore cycliste. « Ayant la tête dans le guidon, je ne vois pas passer les kilomètres. Qu’il y ait un gros col à un moment donné, ou un plus petit, je suis sur le vélo. On est conscient qu’il y a des étapes importantes mais on n’a pas eu l’impression de se réveiller un matin après le carton de Bruxelles ou la Victoire de la musique et que tout avait changé. »

Les deux meneurs du groupe ont cependant dû consentir à sortir de leur discrétion. « On était frileux de se montrer au début, on ne mettait jamais nos visages sur les pochettes ou les affiches. En termes d’identification, on se mettait nous-mêmes des bâtons dans les roues », admet Sylvain confiant être désormais plus à l’aise avec son image.

« Quand on nous reconnaît, il n’y a pas d’euphorie »

« Ça arrive qu’on nous reconnaisse, mais c’est moins fort qu’Eddy de Pretto ou Vianney ou d’autres artistes de notre âge », enchaîne Florent. « On est relativement tranquille, complète son acolyte. Quand on nous reconnaît, c’est bienveillant, il n’y a pas d’euphorie. »

C’est que le groupe est resté enraciné et lové à Tarbes qui, reconnaissante, l’a décoré de la médaille de la ville il y a deux ans. Il y est protégé de la frénésie parisienne et s’y épanouit en tant que bande. Même s’ils font désormais partie de la galerie des Enfoirés – ils ont composé le single des Restos du cœur en 2020 –, Sylvain et Florent ont le carnet d’adresses sélectif.

« Construire sa propre famille »

« Pour cet album, on a appelé que des gens dont on avait le numéro. C’est peut-être rassurant dans une période angoissante de construire sa propre famille comme ça, avec nos proches du milieu. Lola Dubini par exemple, ça ne fait pas longtemps qu’on se connaît mais on s’appelle super souvent », illustre Sylvain.

Et puis, il y a bien sûr ce public, fidèle qui suit Boulevard des airs, BDA pour les intimes, depuis des années et s’élargit au fil des sorties des albums. Les deux garçons s’amusent de voir que lorsque la billetterie pour leurs concerts s’ouvre, « les gradins cinq fois plus vite que la fosse ». Ils en rient : « On a un public âgé, en fait ! » Sur l’album, le groupe rend hommage à ces fans à travers Au début de vos lettres, une compilation d’entames de courriers reçus par La Poste. Cinq minutes émouvantes où les différentes générations leur parlent de leur admiration, de leurs ressentis, du moment où ils les ont découverts. C’est l’instant « près du cœur » de ce Loin des yeux.