« Désenchantée » a 30 ans : Le tube de Mylène Farmer continue de parler à (et de) la génération 2021
MUSIQUE•« Désenchantée », le plus grand tube de Mylène Farmer, fête ce jeudi les 30 ans de sa sortie. Retour sur une chanson qui continue de parler à la jeune génération actuelleFabien Randanne
L'essentiel
- Désenchantée est sorti en single le 18 mars 1991. Il s’écoulera ensuite à plus de 1,3 millions d’exemplaires, s’imposant comme le plus grand succès commercial de Mylène Farmer.
- Si, à l’époque, la chanteuse disait « Je parle plus de moi que d’une réelle génération » au sujet du texte de la chanson qu’elle a écrit, Désenchantée a trouvé un large écho auprès du public qui s’est retrouvé dans ces paroles désabusées.
- En 2020, de jeunes artistes, dont Pomme, ont repris Désenchantée, montrant que le texte trouvait toujours une certaine résonance dans le monde contemporain.
«Tout est chaos, à côté… » Le 18 mars 1991 sortait le single de Désenchantée, qui allait devenir le plus grand succès de Mylène Farmer sur le plan commercial avec plus de 1,3 million d’exemplaires vendus. Le titre est entré à la douzième place du Top 50 français avant d’y trôner en tête pendant neuf semaines consécutives, s’imposant par ailleurs comme le morceau le plus diffusé en radio cette année-là. La chanson s’est même exportée en Allemagne, en Autriche ou aux Pays-Bas.
Un tube, donc, qui, étonnamment, a fait danser et chantonner les foules sur un texte au pessimisme saisissant. « Si la mort est un mystère, la vie n’a rien de tendre. Si le ciel a un enfer, le ciel peut bien m’attendre. Dis-moi, dans ces vents contraires, comment s’y prendre ? Plus rien n’a de sens et plus rien ne va », se désespère la chanteuse. Les paroles lui ont été en partie inspirées par ses lectures, dont Emile Cioran - pas le plus marrant des philosophes - qui écrivait, dans Sur les cimes du désespoir : « Il est des expériences auxquelles on ne peut survivre. Des expériences à l’issue desquelles on sent que plus rien ne saurait avoir de sens. Après avoir atteint les limites de la vie, après avoir vécu avec exaspération tout le potentiel de ces dangereux confins, les actes et les gestes quotidiens perdent tout charme, toute séduction. »
« Des grandes pertes d’illusions »
Le pessimisme, qui se déploie sur l’efficace mélodie composée par Laurent Boutonnat, trouve en cette année 1991 un écho considérable auprès du public. Le monde se recompose en redessinant des frontières sur les cendres de la guerre froide, la guerre en Irak est retransmise quasiment en temps réel sur les écrans de télévision et la jeunesse est désabusée. Certains veulent voir dans la « génération désenchantée » dont parle Mylène Farmer une référence à la « génération Mitterrand », slogan inventé par Jacques Séguéla pour la campagne présidentielle de 1988.
L’artiste, alors âgée de 29 ans, s’en défend et assure qu’elle exprime dans ses paroles un sentiment personnel. « Je ne dis pas que l’époque est désenchantée. Mais que mon regard sur la vie, les choses l’est. […] Je ne peux pas prôner le négativisme en l’affirmant. Ce n’est pas pessimisme que de penser qu’on est en 1991 devenu plus lucide, davantage conscient de ses désillusions qu’auparavant », déclare-t-elle alors à Star Music.
Au micro de NRJ, elle insiste : « Je parle plus de moi que d’une réelle génération ». Cependant, elle concède : « On demande peut-être à notre génération de n’avoir plus qu’une grande lucidité quant à la vie et quant à ses difficultés : avoir ce sentiment qu’on est sans arrêt en quête de liberté et que cette liberté s’ouvre sur un grand désert. Donc, tout ça ce sont des grandes pertes d’illusions. »
« Elle est très appropriée à cette année 2020 »
Force est de constater que, trente ans plus tard, Désenchantée n’a rien perdu de sa force d’évocation. Toni, 23 ans, candidate de The Voice, avait choisi cette chanson pour défendre ses chances en demi-finale en juin dernier. Sa version avait enthousiasmé les coachs tu télécrochet. « Pour moi, […] on n’est plus sur de l’artistique, mais sur comment on a envie de changer les choses, comment on a envie de changer sa vie, de changer le monde. [La chanson] a résonné comme si elle devait sortir maintenant. On le connaît, le contexte actuel », avait réagi Amel Bent lors de l’émission diffusée sur TF1 dans une France déconfinée mais encore chamboulée par les longues semaines de claustration, endeuillée par la pandémie et déboussolée par la rupture avec le pseudo- « monde d’avant ». À la même période, l’actualité était aussi marquée par les manifestations Black Lives Matter, mobilisations fédératrices, notamment des jeunes générations, dénonçant la persistance du racisme.
À l’automne, c’était au tour de Pomme de proposer sa reprise de cette chanson « parce qu’elle est très appropriée à cette année 2020 », annonçait-elle en préambule de son interprétation dans Le Petit Live. La chanteuse de 24 ans, sacrée interprète féminine de l’année aux dernières Victoires de la musique, appartient à cette tranche d’âge particulièrement éprouvée par la crise sanitaire et ses conséquences. Les 12-25 ans sont nombreuses et nombreux à confier leurs craintes pour l’avenir, leurs soucis financiers, leur sentiment de solitude qui gagnent en intensité dans le contexte de ces derniers mois.
Il n’est alors pas étonnant que Désenchantée ait été l’an passé le morceau de Mylène Farmer le plus écouté sur les plateformes de streaming (Deezer, Spotify…), devant Sans contrefaçon et Libertine. En écrivant sur « les eaux troubles des lendemains », c’est-à-dire sur l’avenir incertain et anxiogène, l’artiste n’imaginait sans doute pas, il y a trente ans, qu’elle signait par la même occasion un hymne qui se transmettrait de génération en génération.