« My Broken Mariko » : Un manga plein de rage sur l’amour, la mort, le deuil
BD•Un geste artistique radical de la dessinatrice Waka Hirako et un tourbillon d’émotions pour les lecteurs et lectricesVincent Jule
L'essentiel
- Le manga My Broken Mariko, première œuvre de Waka Hirako, sort jeudi aux éditions Ki-oon
- La jeune Tomoyo vole l’urne funéraire de sa meilleure amie décédée pour lui rendre hommage lors d’un road trip à la mer
- Un récit simple mais puissant, un trait habité de l’énergie du désespoir et une spirale d’émotions contradictoires en font la bande dessinée de ce début d’année
Entre les suites de séries et les lancements de nouvelles licences, il n’est pas toujours facile pour un manga, qui plus est un one-shot, de s’imposer chez les libraires, puis les lecteurs et lectrices. Lorsque Ki-oon, l’éditeur des best-sellers Jujutsu Kaisen et My Hero Academia, pousse un titre comme My Broken Mariko, il y a de quoi s’y arrêter. Bah, on n’était pas prêt. Evénement sur le web puis en librairie au Japon, cette première œuvre de Waka Hirako est difficile à décrire tant elle traite de nombreux sujets (viol, suicide, deuil, culpabilité…) et sollicite différentes émotions (colère, impuissance, rire…), le tout dans un geste artistique radical, un seul et même mouvement de 150 pages.
Une spirale d’émotions contradictoires
La jeune Tomoyo apprend le suicide de Mariko aux informations. Sa meilleure amie, qu’elle avait vue la semaine dernière. Bouleversée, confuse, elle décide sur un coup de tête de voler son urne funéraire des mains d’un père violent et de lui rendre hommage lors d’un road trip à la mer. Somme toute classique, le récit tient alors autant de la fuite en avant que de la plongée dans des souvenirs enfouis, et dans une spirale d’émotions contradictoires. Comment expliquer l’impensable ? A qui la faute ? Tomoyo l’a-t-elle assez aidée, assez aimée ? Et maintenant ?
« Une héroïne toujours en mouvement, à corps perdu »
Waka Hirako explique dans une interview en postface s’être inspirée de sa mère, victime de violences dans son enfance, et d’une amie d’enfance, affectée par un environnement violent jusqu’à l’âge adulte. Et même s’être laissée dépasser par ces souvenirs difficiles : « Cette création m’a servi à digérer tout ce qui ne l’était pas. Il a fallu que je regarde la vérité en face et que je m’y engouffre complètement. (…) J’ai lutté pour ne pas m’effondrer et aller jusqu’au bout de mon oeuvre. C’est aussi pour ça que j’ai dessiné une héroïne toujours en mouvement, courant à corps perdu. Il fallait que Tomoyo aille de l’avant pour ne pas se lasser écraser par le poids du vide de l’existence. »
C’est exactement ça. Plus la lecture avance, plus le lecteur tourne les pages vite, plus il a l’impression de ne pas pouvoir s’arrêter, et cela vaut aussi pour les émotions. « J’étais dans le même état d’esprit que Tomoyo en la dessinant, ajoute la mangaka. Quand elle se mettait en colère, je m’énervais aussi ; quand elle pleurait, j’étais en larmes ; quand elle courait, je sentais ma respiration s’accélérer : je vivais tout ça comme une émission en direct ! » A la fin, le lecteur peut se dire que tout est allé trop vite, et pourtant, reste ce sentiment d’un sublime portrait de femmes, ainsi que, mine de rien, en creux, le rappel du poids d’une société patriarcale, violente, insidieuse.