« J’ai ce sentiment d’avoir été propulsé dans le monde des adultes par obligation », raconte Médine
INTERVIEW•Le rappeur se dévoile dans un nouvel album et dans un documentaire diffusé sur France.tv SlashPropos recueillis par Clio Weickert
L'essentiel
- Médine sort un nouvel album très personnel, « Grand Médine », ce vendredi.
- Le rappeur du Havre se dévoile également dans le documentaire « Médine Normandie », disponible depuis mercredi sur France.tv Slash.
- L’artiste s’est confié auprès de « 20 Minutes » sur la paternité, l’enfance et sur sa peur du temps qui file.
Il y a près de deux ans, nous avions rencontré Médine dans un contexte particulier. Il était alors à la veille de son grand concert au Zénith de Paris, un événement d’autant plus important qu’il avait été contraint d’annuler quelques mois avant des dates au Bataclan, après une vive polémique alimentée notamment par des personnalités d’extrême droite.
Deux ans plus tard, le contexte est très différent, mais non moins particulier. C’est en plein reconfinement que le rappeur fait son retour, avec une double actualité. Ce vendredi, il sort son nouvel album Grand Médine, un projet musical qui se veut plus personnel. Il se livre également dans un documentaire intime sur France.tv Slash disponible depuis mercredi, Médine Normandie.
A cette occasion Médine s’est confié à cœur ouvert (et par téléphone), sur son rapport à la paternité, à l’enfance, et à la peur du temps qui passe.
On vous découvre sous un angle plus personnel à travers cet album et ce documentaire, pourquoi cette volonté de vous ouvrir plus ?
J’ai l’impression que c’est avec l’âge, l’expérience, les meilleurs enseignements de la vie se trouvent dans l’intime. Quand on gagne en maturité, même si ce mot ne me va absolument pas, j’ai l’impression qu’on se dévoile plus et on en sait un peu plus sur les hommes en général. C’est dans les petites anecdotes qu’on fait parler la grande histoire.
Dans le documentaire, on découvre à quel point la polémique du Bataclan a pu vous toucher personnellement.
Dans le documentaire il y a une espèce de tristesse qui transparaît, ou plutôt comment la polémique a eu un impact sur mon entourage. Après, personnellement, je crois qu’il y a une dimension sarcastique qui ne transparaît pas, avec laquelle j’arrive à surmonter les épreuves, où je me rends compte que c’est assez burlesque et loufoque ce qui m’est arrivé. J’ai transformé ça en beaucoup de choses positives, et notamment en de la musique, qui est plus mélodieuse, plus personnelle. C’est une espèce d’obstacle qui s’est dressé devant moi et qui m’a permis de découvrir d’autres facettes de ma personnalité sur le plan humain, mais aussi artistique. Quand on avance avec un boulet aux pieds, ça développe un peu le mollet quoi !
Pour expliquer le côté burlesque, vous faites notamment un parallèle avec la série « South Park »…
Quand je sors de l’émotion et que je regarde ce qu’il m’est arrivé, on se rend compte que les menaces de mort pour un texte de rap, c’est quand même démesuré. Ainsi que les interdictions de jouer au Bataclan et des gens de l’extrême droite qui se sont mobilisés pour empêcher que ce concert ait lieu, j’ai vraiment l’impression d’être dans une saison de South Park !
Votre famille, et notamment vos enfants apparaissent dans ces deux projets. La paternité est quelque chose qui a beaucoup changé votre façon d’appréhender la vie ?
Plus que la paternité, c’est mon rapport à l’enfance, et le fait que j’ai la chance d’avoir des enfants aujourd’hui, ce qui n’est pas le cas de tout le monde. J’ai surtout une grande chance de vivre une seconde enfance à travers celle de mes enfants. Forcément le rapport à la vie change quand tu redeviens un peu enfant. Tu simplifies ce qui te semble être des grandes choses dans ta vie d’adulte. Ça te remet en question sur des choses parfois trop intellectualisées, conceptualisées, je parle de culture, de religion, de philosophie…
En 2019, nous avions parlé du film « Hook » sur Peter Pan, l’une de vos références, et vous m’aviez dit : « Je n’ai pas envie de grandir en fait, j’ai envie d’être avec Rufio, Peter et les enfants perdus, et combattre les adultes ». Peut-on rester un enfant perdu quand on a soi-même des enfants ?
J’ai l’impression d’être La Flûte [l’un des personnages du film] aujourd’hui ! Celui qui retrouve ses billes à la fin. J’ai ce sentiment d’avoir été propulsé dans le monde des adultes par obligation. Je l’ai peut-être été un peu plus tôt que les autres parce que j’ai dû répondre à des questions sur le plan public. Forcément quand tu es une personnalité publique il faut que tu ranges un peu plus vite tes idées, que tu les organises un peu mieux parce que tu as une responsabilité. Cette propulsion dans le monde des adultes ne me va absolument pas, du coup j’attends patiemment de pouvoir retrouver mon sac de billes, ma « pensée agréable » pour pouvoir retourner avec mes copains les enfants perdus.
Vos enfants apparaissent sur le morceau « Barbapapa ». Vous les encourageriez à se lancer dans le rap ?
Totalement. Pour l’instant c’est embryonnaire, ils sont à l’étape de l’amusement : profiter des caterings dans les salles de concerts, des buffets à volonté dans les hôtels quand on accompagne le daron lors de sa promo ! Il n’y a rien de professionnel, on ne se projette pas et peut-être feront-ils l’inverse en réaction au monde des adultes. Ils voudront peut-être être comptables !
Comment a réagi votre père, que l’on découvre dans le documentaire, quand vous vous êtes lancé vous-même dans une carrière musicale ?
Ce n’est toujours pas évident pour mon père ! Il n’accepte pas vraiment le fait que les métiers artistiques ou le rap en particulier, ce soit un métier. Pour lui ça va s’arrêter, c’est une passion, comme une espèce de crise qui se prolonge un peu ! Chaque trimestre il me questionne et me dit « qu’est-ce que tu vas faire après alors ? Tu as pensé à ta reconversion ? » Ça fait 15 ans qu’on a régulièrement la même discussion sur mon avenir professionnel. Il n’a toujours pas intégré qu’on pouvait mourir rappeur en fait ! Pour lui, avoir un emploi c’est avoir de la farine sur les mains ou du cambouis sous les ongles.
Dans ce morceau « Barbapapa », vos enfants reprennent la punchline de « KYLL » (un feat avec Booba) : « Au prochain birthday on veut Marine en piñata ». Vous abordez des sujets qui touchent à la politique avec eux ?
On aborde les sujets politiques ensemble mais ce n’est absolument pas pédagogique. Le but n’est pas de les préparer à une sensibilité politique particulière, quand on en parle c’est en mode Bébête show. Plutôt que de rentrer dans la pédagogie à préparer à un gentil petit citoyen j’ai surtout envie qu’ils aiguisent leur regard satirique sur le monde politique qui semble dépassé sur plein de points. J’ai l’impression que c’est un vieux monde qui ne nous correspond pas en tant qu’enfants, ce monde où rien ne dépasse, où il faut être parfaitement dans des cases. Nous on déborde sur quatre cases en même temps. Le morceau Barbapapa c’est un morceau sombre dans le propos, il parle de ce qu’on est, une famille métissée. C’est un morceau qui est dans l’acceptation de soi et qui fustige les discours politiques, surtout de l’extrême droite, de vouloir imposer un unique mode de la vie à la française.
Sur Twitter, vous avez relayé le message d’un professeur où vous apparaissez dans un manuel scolaire aux Etats-Unis. Mais en France, vous êtes plutôt au cœur de polémiques ?
C’est une position confortable pour moi. C’est le rôle de l’art de servir à la fois de support d’étude, mais aussi de déranger une certaine intelligentsia un peu bien pensante, certains éditorialistes qui ont des idées parfois préconçues, certains politiques… C’est la position de l’artiste et je ne vais pas m'en plaindre. C’est le rôle et le métier que j’ai choisi.
Dans cet album « Grand Médine », vous avez réalisé des feats avec plusieurs rappeurs de la jeune génération, Bigflo et Oli, mais aussi Koba LaD et Larry dans « Grand Paris II ». Avez-vous la volonté de relier les générations ?
J’ai été auditeur de rap donc je n’ai pas participé à la naissance de ce mouvement. Je me sens donc un peu au carrefour de ce qu’est le rap aujourd’hui. A la fois en représentant une certaine tradition de ce qu’a été le rap, de chansons à textes et à la fois dans quelque chose de plus léger sur un registre plus mélodieux. Je suis assez content de pouvoir être fédérateur et réunir des courants, des époques, des styles différents.
Dans le documentaire, il y a la question de laisser une trace dans le monde de la musique.
Ce n’est pas important pour moi du tout. Des personnes pensent que j’ai des classiques aujourd’hui, mais on n’a pas la même définition du mot classique... Pour moi c’est un morceau intemporel, qui fait l’unanimité entre différentes générations et quand on cite le nom de l’artiste on peut tout de suite sortir un ou deux morceaux de son répertoire. Ce n’est pas mon cas. Je le sais et je le vis très bien. Je ne cours pas absolument après un succès commercial. J’essaie simplement d’être lucide sur ma place dans le rap et de ce que je représente : la passion, l’amour d’une musique et surtout la longévité, une qualité importante.
Sur le titre « Tête à cœur » avec Bigflo et Oli, vous abordez la question du temps qui passe. Est-ce que c’est quelque chose qui vous inquiète ?
C’est vraiment ce qui me terrorise dans ma vie d’adulte. J’anticipe beaucoup, je suis tout le temps dans une dystopie dans ma tête, dans un roman d’anticipation sur ce que sera ma vie et nos vies dans quelque temps, et ça me terrorise. La simple idée de savoir que mes enfants à un moment donné vont quitter le foyer familial, construire leur propre famille... Je suis dans un registre très émotionnel concernant le temps qui passe, c’est de la nostalgie mélangée à de l’appréhension, je n’arrive même pas à faire le tri encore sur ça. Je peux pleurer sur Mistral gagnant de Renaud parce que justement il évoque ça. Je suis à fleur de peau. Voir les êtres qui me sont chers partir, le temps qui éloigne les amitiés, ce genre de choses, ça me terrorise.