Voici cinq romans féministes, cinq romans de femmes à lire pour cette rentrée littéraire
LECTURE ACTION•On a lu pour vous les derniers romans de Lola Lafon, Isabelle Carré, Fatima Daas, Chloé Delaume et Bernardine EvaristoAude Lorriaux
L'essentiel
- Au moment où la militante Alice Coffin est accusée de sectarisme parce qu’elle a affirmé privilégier pour ses lectures les œuvres de femmes, et alors qu’il ne reste plus que deux femmes (sur huit) en lice pour le Goncourt, 20 Minutes vous présente une sélection 100 % autrices.
- Lola Lafon s’attaque dans Chavirer aux violences sexuelles à travers Cléo, 13 ans, danseuse piégée par une mystérieuse fondation qui lui fait miroiter une bourse.
- Dans Du côté des Indiens Isabelle Carré raconte ce tournage où Muriel n’a pas su dire non au réalisateur François, coincée entre ses peluches et ses rêves de cinéma.
Des romans féministes ? Pas de manière explicite puisqu’ils ne sont pas labellisés comme tels. Des romans de femmes ça c’est sûr. Des romans qui parlent d’émancipation, ou de la douleur d’être du côté de celles et ceux qui sont exploités, discriminés, malmenés. D’être Du côté des Indiens, comme le souligne en titre de son dernier opus l’actrice et romancière Isabelle Carré. Du côté de celles et ceux qui chavirent, comme s’intitule le roman de Lola Lafon, celui que nous avons préféré. Au moment où la militante Alice Coffin est accusée de sectarisme parce qu’elle a affirmé privilégier pour ses lectures les œuvres de femmes, et alors qu’il ne reste plus que deux femmes (sur huit) en lice pour le Goncourt, 20 Minutes vous présente une sélection 100 % autrices.
Lola Lafon, Chavirer
Après avoir raconté dans La Petite Communiste qui ne souriait jamais l’histoire de Nadia Comăneci, gymnaste roumaine qui avait brillé aux JO de Montréal en 1976, à l’âge de 14 ans seulement, Lola Lafon ausculte un milieu proche, celui de la danse. Elle suit dans Chavirer (Actes Sud) la vie de Cléo, 13 ans, jeune danseuse prometteuse qui trouve dans ses cours une échappatoire à sa vie de famille, sans paillettes ni strass.
A la douleur des exercices s’ajoute bientôt une autre douleur : le piège d’une mystérieuse fondation qui lui fait miroiter une bourse. Pour cela Cléo doit se rendre à des entretiens avec de vieux messieurs lubriques qui s’intéressent bien plus à son corps qu’à son travail. On lui dit de se « détendre », de « gagner en maturité », et subrepticement, on lui vole son enfance. Et Cléo devra ensuite porter le poids d’avoir été non seulement violée, mais aussi transformée en rabatteuse de jeunes filles, dans un glissement qui est ce chavirement.
Pourquoi nous avons aimé : « Face victime, pile coupable » dit Lara à propos de Cléo, la Cléo qu’elle aime, et dont elle ne comprend pas comment elle a pu ainsi berner d’autres jeunes femmes. Chavirer dit avec précision cette complexité, trop souvent absente du débat public. Les victimes peuvent être des bourreaux, les bourreaux des victimes. Il n’y a pas de monstres, mais une gamine à qui « des adultes ont enseigné la solitude des trahisons ». Et l’on apprécie aussi dans Chavirer la profondeur historique, les pans entiers de vies qui se croisent pendant presque 40 ans, dessinant des époques.
Isabelle Carré, Du côté des Indiens
C’est l’histoire de Zyad, 10 ans. Son père rentre très tard tous les soirs, avec un drôle de sourire aux lèvres. Pendant ce temps-là, sa mère boit plus que de raison. Un jour, Zyad surprend son père aller chez la voisine du cinquième, Muriel, scripte pour le cinéma, avec laquelle il entretient une relation extraconjugale. Et il décide finalement d’aller toquer à la porte de cette inconnue… Muriel comprend tout de suite la peine de ce garçonnet, et se lie d’amitié avec lui. Elle est « du côté des Indiens », de celles et ceux qui souffrent, qui subissent.
Muriel est à l’image d’Isabelle Carré, l’actrice qui a reçu en octobre 2017 un texto de la journaliste de L’Obs Doan Bui, qui voulait l’interroger sur l’affaire Weinstein. Du côté des Indiens (Grasset) est sa réponse, deux ans plus tard, où, dans la peau de Muriel, elle raconte ce tournage où elle n’a pas su dire non au réalisateur François, coincée entre ses peluches et ses rêves de cinéma.
Pourquoi nous avons aimé : Isabelle Carré l’a dit: ce livre veut aider les jeunes femmes « à ne pas subir un effet de surprise, qui peut être dévastateur ». C’est une petite pierre apportée à l’édifice #MeToo, mais le livre est bien plus que cela. Il raconte la perte de l’innocence d’un enfant qui va grandir trop vite. La dérive d’un homme ravagé par la peur de la rupture inopinée de son anévrisme. Et la descente aux enfers d’une femme trompée. Tous ces personnages sont beaux dans leur fragilité, forts dans leur faiblesse.
Fatima Daas, La Petite dernière
La Petite dernière (Les Éditions Noir sur Blanc) est un roman autobiographique, une « autofiction » qui parle de la culpabilité de grandir lesbienne dans une famille musulmane, en étant soi-même très croyante. On y suit les dialogues intérieurs de l’autrice avec Dieu. La haine de soi difficilement surmontée, en même temps que le regard des autres. Son histoire d’amour avec Nina.
Fatima, « banlieusarde qui observe les comportements parisiens », raconte aussi le quotidien de son RER bondé, du bus et des « longs trajets qui favorisent les flux de pensée ». On l’accompagne en visite dans cette Algérie joyeuse et bruyante qui l’intimide, et on souffre avec elle du silence vécu à la maison, dans une famille de taiseux qui portent le fardeau, mais ne l’expriment pas.
Pourquoi nous avons aimé : Fatima Daas a une façon de raconter les choses de manière naïve et brute. L’égoïsme et la cruauté enfantines sont enveloppés de joie de vivre, racontés tels quels. Mais ce que nous avons préféré c’est sa façon de dire le silence : « Avant, les vérités me paraissaient dangereuses à dire. J’ai longtemps pensé que les choses se ressentent plus qu’elles ne se montrent. Des restes de mon éducation : montrer par petites touches mais ne jamais dire » dit-elle. Et peu à peu le silence craque. Reflet d’une époque…
Chloé Delaume, Le cœur synthétique
Le personnage d’Adélaïde Berthel, 46 ans, est une sorte d’héroïne ratée, une attachée de presse et une femme « comme tant d’autres. Qui, a quarante-six ans, voit disparaître l’aura qu’elle avait jeune fille ». Après avoir quitté son mari, lassée par la routine, elle affronte, comme certaines de ses amies, l’angoisse de cette seconde partie de la vie, attendant désespérément l’amour qui ne vient pas. Elle se voit soumise au désir des hommes, qui ne la désirent plus. Et se prend cette inégalité en pleine face, se sentant « obsolète ».
Pourquoi nous avons aimé : Le coeur synthétique (Le Seuil) est un des rares romans à décrire la solitude des femmes sans enfants et sans amoureux, passé un certain âge. Une réalité grandissante, à mesure que les couples deviennent plus fragiles et que les femmes ont des enfants tard. Le livre en dévoile l’inégalité de genre criante.
Nous avons aussi aimé le style de l’autrice, ses punchlines aiguisées et ses figures de style poétiques découvertes dans Mes bien chères sœurs. Tel ce zeugma : « Adélaïde s’endort et sa décrépitude s’étale sur l’oreiller ». Des phrases courtes pleines d’échos, maniant souvent le futur, ce qui donne à ses personnages un petit côté éthéré. Les stéréotypes sont brossés en quelques coups de pinceaux, à la manière d’une caricaturiste. Un régal pour qui aime les mots.
Hors catégorie : Bernardine Evaristo, Fille, Femme, Autre
On ajoute à cette sélection celui, un peu hors catégorie puisqu’il s’agit d’un roman étranger, de Bernardine Evaristo, Fille, Femme, Autre (Editions Globe). Ce roman choral dresse douze portraits de femmes, de 19 à 93 ans (ou onze femmes et une personne non-binaire), de l’autrice de théâtre un peu punk à la banquière pressée de La City. Du pur récit, des images, des voix surtout, du caractère, qui donne une impression de joyeux méli-mélo, comme une ode à la singularité de chacun de ces personnages. Bernardine Evaristo est la première femme noire et la première personne britannique noire à avoir remporté le prestigieux Man Booker Prize, en 2019.