« J’ai appris une chose : le cynisme du gouvernement n’a pas de limites », observe Aymeric Caron
INTERVIEW•Le journal du confinement intitulé « La revanche de la nature », signé Aymeric Caron, paraît ce jeudiLaure Beaudonnet
L'essentiel
- Sous la forme d’un journal de confinement, La revanche de la nature tire les leçons de la crise du coronavirus.
- A travers les 27 leçons pour construire le monde d’après, Aymeric Caron propose un livre en forme de témoignage de cette histoire.
- Il revient avec 20 Minutes sur ses inquiétudes pour le futur.
Quelles leçons doit-on tirer de la crise sanitaire qui a mis les économies à l’arrêt et confiné l’ensemble de l’humanité ? Un peu plus d’un mois après le déconfinement (partiel), La revanche de la nature, écrit par Aymeric Caron, paraît ce jeudi aux éditions Albin Michel. L’auteur de No Steak et Antispéciste offre un témoignage de cette histoire, sous la forme d’un journal de bord, et tire les leçons de cette pandémie pour tenter d’esquisser d’autres imaginaires.
Comment avez-vous décidé d’écrire ce journal du confinement ?
J’ai eu l’idée de ce livre au moment des premières rumeurs selon lesquelles nous allions être confinés. Je l’ai proposé à mon éditeur avant l’annonce officielle. J’ai écrit ce livre pour lutter contre notre tendance au zapping. Je voulais qu’on garde une trace pour pouvoir bâtir à propos de cette expérience. Le rythme s’est imposé de lui-même. Au début, il y a un chapitre par jour, beaucoup de choses sont concentrées au début, et puis ça se dilue. C’est à l’image de la manière dont j’ai vécu ce confinement.
A la lecture, on ressent un sentiment étrange dans le fait de revivre cette expérience qu’on a un peu envie d’oublier.
J’ai eu tout de suite le sentiment que ce confinement exprimait quelque chose de grave. J’ai assez vite imaginé que les causes de cette pandémie seraient négligées, oubliées, laissées de côté. Les dirigeants allaient les oublier pour nous entraîner vers une voie contraire à celle que la raison nous indique. Je pensais que tout ce que nous allions vivre pendant un mois ou deux serait balayé par des tas d’autres événements. Je comprends qu’il puisse y avoir une gêne à se replonger dans cette expérience que certains ont mal vécue, mais c’est indispensable : nous devons absolument analyser ce qu’il vient de se passer, et le faire très vite, pour ne pas relancer les mécanismes de la folie destructrice qui ont provoqué, précisément, cette crise.
Marie Darrieussecq et Leïla Slimani ont été critiquées pour leurs journaux du confinement dans la presse, Bernard Henri Lévy sort également « Ce virus qui rend fou » chez Grasset... N’avez-vous pas eu peur de sortir un livre du confinement parmi tant d’autres ?
J’imaginais bien que pas mal de gens auraient cette idée d’écrire un journal du confinement ou un récit du confinement. Il y avait la volonté de ne pas en faire un exercice nombriliste. Même si j’évoque ma vie de famille, ce n’est pas le cœur du livre. Ça fait déjà une différence avec les deux exemples [Leïla Slimani et Marie Darrieussecq] que vous m’avez donnés. D’après ce que j’avais lu, elles étaient assez centrées sur une vie personnelle avec assez peu de réflexion sur le contexte politique, économique et écologique. Je me dis que l’intérêt du livre, si je l’écris moi, réside, je l’espère, dans l’angle écologique que je développe, ainsi que dans les pistes de réflexion que je suggère pour le monde d’après. Cette crise doit justement nous apprendre à beaucoup moins regarder notre nombril.
Pourquoi le sortir aussi précipitamment après le déconfinement ?
A partir du moment où on a choisi la forme du journal, d’un récit qui commence le premier jour du confinement et qui se termine le dernier jour du confinement, pourquoi attendre six mois pour le sortir ? Les mesures du gouvernement sont prises en ce moment. Il y a une urgence absolue à changer d’imaginaire, aller vers d’autres voies politiques. C’est aussi la raison de la rapidité de la publication de ce livre, afin d’alimenter le débat au moment où les décisions pour écrire le « monde d’après » sont en train d’être prises, et qu’elles nous engagent pour plusieurs années.
Quelles leçons avez-vous tirées de cette crise sanitaire ?
Je ne pense pas avoir appris énormément avec cette crise sanitaire. Il s’agit avant tout d’une crise écologique sur laquelle j’écris depuis longtemps. Je fais partie de ceux, à ma très modeste mesure, qui tirent le signal d’alarme depuis longtemps. J’ai vécu, comme tout le monde, avec étonnement l’expérience du confinement, mais les mécanismes qui ont permis à cette pandémie de se développer, je les connaissais déjà. J’ai quand même appris une chose : le cynisme du gouvernement n’a pas de limites. Je pensais que dans de telles circonstances, nous aurions la capacité d’avoir un débat serein sur le monde qu’on continue de détruire, sur celui qu’on va laisser à nos enfants, sur les politiques mises en place. Il n’y a eu aucun débat sur ces sujets. On a préféré gaver les médias de l’histoire de la chloroquine.
Vous consacrez un chapitre à la communication de Sibeth Ndiaye, quel regard portez-vous sur la gestion de la crise aujourd’hui ?
Les déclarations des représentants du gouvernement sont absolument terrifiantes. On voit pourtant que ça n’a aucune conséquence, alors que si notre démocratie fonctionnait normalement, la porte-parole du gouvernement ne serait plus porte-parole aujourd’hui. Ce n’est pas possible dans un pays au fonctionnement démocratique normal. En principe, une personne à ce niveau de responsabilités qui se trompe ou qui ment à ce point ne peut pas rester car elle est complètement décrédibilisée et moralement fautive. Je parle de Sibeth Ndiaye, mais on pourrait parler d’Agnès Buzyn qui démissionne un mois avant la pandémie dans des circonstances rocambolesques, et qui prétend ensuite avoir anticipé la crise, avoir prévu que les municipales ne pourraient pas se dérouler normalement, avoir préparé les stocks de masques, et ainsi de suite. Autant de déclarations là aussi accablantes. C’est une aberration que la vie politique reprenne aujourd’hui son cours comme si de rien n’était, comme s’il ne s’était rien passé.
Quel est votre regard sur le monde demain à travers le prisme de cette crise ?
Je suis assez inquiet. Cette crise écologique intervient dans un contexte de tensions généralisées. On le voit aujourd’hui avec toutes les manifestations antiracistes et les manifestations contre les violences policières. La question des droits de l’homme, la question du racisme et la question de la préservation du vivant dans son ensemble sont absolument liées. Ce ne sont pas les tensions qui sont inquiétantes, c’est la réponse en face. Lorsqu’on parle des violences policières, il y a un déni absolu des autorités. Les violences policières sont documentées depuis plusieurs années et Emmanuel Macron, en mars 2019, avait pourtant refusé d’utiliser le terme de « violences policières ». On est dans le déni et c’est extrêmement inquiétant. On le voit également sur les sujets environnementaux. Emmanuel Macron tient un discours « Make our planet great again » et mène ensuite une politique qui va à l’encontre. La crise du coronavirus a été favorisée par notre folie extractiviste. C’est bien parce qu’on détruit les forêts pour aller chercher du minerai, pour planter du soja pour les animaux, que les habitats des animaux sauvages se réduisent. La destruction de ces forêts a réduit la frontière entre le monde sauvage et le monde humain. C’est la raison pour laquelle les agents pathogènes peuvent se propager si facilement. Notre attitude vis-à-vis du vivant a permis l’émergence et la diffusion du coronavirus. Pourtant, on voit bien que tout ce qui est mis en place est une consolidation de ce modèle d’exploitation absolu et total du vivant. C’est une aberration.