Coronavirus : « Gestes barrières », « Whatsappero »… Des mots nouveaux pour partager nos maux
LINGUISTIQUE•Avec la pandémie de coronavirus, un nouveau vocabulaire et de nouvelles expressions ont surgi, analyse du phénomèneAnne Demoulin
L'essentiel
- Avec la pandémie de coronavirus, un nouveau vocabulaire et de nouvelles expressions ont surgi.
- Les mots « Coronavirus », « Covid-19 », « gestes barrières », « confinement », « Whatsappero », « clapping », ou encore « distanciation sociale » sont sur toutes les lèvres.
- Analyse du phénomène avec Paola Pietrandrea, professeure de Sciences du Langage à l’Université de Lille.
Un nouveau langage pour décrire une situation inédite ! Avec la pandémie de coronavirus, un nouveau vocabulaire et de nouvelles expressions ont surgi, témoins du bouleversement qu’une grande partie de la population mondiale vit actuellement. Les mots « Coronavirus », « Covid-19 », « gestes barrières », « confinement », ou encore « distanciation sociale » sont sur toutes les lèvres. Dans un registre plus léger, les termes « Cloud Rave », « clapping » ou encore « Whatsappero » font désormais partie de notre quotidien. Réflexions sur le pouvoir de ces mots.
« Tout ce lexique et ces néologismes, qui se créent, ont un intérêt social très important », estime Paola Pietrandrea, professeure de Sciences du Langage à l’Université de Lille, chercheuse qui étudie les mécanismes qui permettent à la langue de parvenir à une construction socialement partagée.
« Trouver des mots pour dire la situation que nous vivons »
Nous avons tous observé ces dernières semaines l’apparition d’un nouveau vocabulaire dans notre langage quotidien. « Il y a une accélération de la création lexicale en ce moment et beaucoup de néologismes qui émergent », constate aussi la chercheuse. Pourquoi notre langage a-t-il si rapidement changé ? « Nous sommes face à une situation inédite et nous avons besoin de la nommer. C’est assez banal, mais c’est important de le dire. On doit trouver des mots pour dire la situation que nous vivons », avance l’experte.
Cette apparition d’un nouveau vocable répond aussi à des besoins plus profonds. « Nous avons besoin aussi, et c’est très lié à la création lexicale et à l’apparition de néologismes, d’une identité de groupe. Nous, nous sommes plus que ce que nous étions hier, nous sommes devenus autre chose et on doit comprendre ce qu’on est en train d’être en ce moment », analyse Paola Pietrandrea.
« Etre avec les autres passe par un langage commun »
C’est aussi pour cela que nous avons construit de nouveaux « rituels » comme les applaudissements à 20 heures ou les chants aux balcons en Italie et « fait émerger une nouvelle façon de parler ». « Cela participe à créer une identité à ce groupe, un peu bizarre, remarque la chercheuse. Tout comme la création lexicale qui sert à souder le nouveau groupe. C’est un phénomène que l’on observe très couramment, avec par exemple, l’apparition des argots. Le fait d’avoir de nouveaux mots, cela permet de nous reconnaître dans une nouvelle dimension. »
Nous devons inventer de nouvelles façons d’être avec les autres comme nous ne pouvons pas être physiquement avec les autres : « être avec les autres passe par un langage commun », rappelle la chercheuse.
Avec l’accélération de la propagation du coronavirus, de nombreux pays, et notamment l’Inde ce mardi, ont placé leurs ressortissants en confinement. Au total, on compte désormais plus de 2,6 milliards de personnes appelées à rester chez elles à travers le monde. « C’est ce qui est très inédit dans cette situation, c’est que le groupe n’est pas petit et local, mais immense et global, et va au-delà des frontières et des frontières linguistiques », note la spécialiste.
Inventer un langage commun est « très typique de tous les groupes se trouvant des situations exceptionnelles », ce qui est inédit « c’est que le groupe soit aussi élargi », insiste Paola Pietrandrea.
« Tous ces nouveaux mots qui émergent sont des emprunts »
« Tous ces nouveaux mots qui émergent sont des emprunts », explique la chercheuse. Et ces emprunts se divisent en deux catégories.
Il y a, d’un côté, les emprunts au langage des spécialistes. « Parler de “gestes barrières”, cela se faisait dans le langage spécialistique de la médecine. Cette expression est désormais devenue courante dans le langage commun. Il n’y a plus de médiation entre le langage de la médecine et le langage commun », constate Paola Pietrandrea
De l’autre, il y a les emprunts aux langues étrangères. « Le groupe dépasse les frontières linguistiques, d’où les emprunts d’une langue à l’autre et les calques d’une langue à l’autre », souligne-t-elle. Nous sommes tous connectés à Internet et on parle désormais souvent plusieurs langues. « Les calques et les emprunts se font donc de façon plus rapide.
On ne doit donc pas être surpris par le nombre d’anglicismes qui apparaissent », détaille la chercheuse.
Des mots comme « cloud rave », qui désigne des sets de DJs à vivre en direct depuis chez soi, ou encore « clapping », qui désigne les applaudissements quotidiens aux balcons et aux fenêtres pour le personnel soignant, sont des anglicismes.
Nous avons aussi tendance à parler un français qui « ne suit pas les règles morphologiques du français », observe la chercheuse. Une expression comme « distanciation sociale » est calquée depuis l’expression anglaise « social distancing ». « On la retrouve aussi calquée en espagnol et en italien », remarque Paola Pietrandrea.
Parmi les nombreux changements que nous avons tous subis en raison du coronavirus, cette « novlangue » ou ce « néoparler » n’est pas comme dans le roman 1984 de George Orwell un langage dont le but est l’anéantissement de la pensée, mais ce nouveau langage sert à nous unir contre l’adversité.