INTERVIEW« La norme française c’est le multilinguisme », selon l'association Dulala

Journée des langues maternelles : « La norme française c’est le multilinguisme », explique l’association Dulala

INTERVIEWColine Rosdahl, responsable du matériel pédagogique de l'association Dulala, explique les vertus de l'usage des langues maternelles des enfants bilingues
Propos recueillis par Nada Didouh

Propos recueillis par Nada Didouh

Depuis sa création en 1999 par l’UNESCO, la journée internationale des langues maternelles permet chaque année de promouvoir la diversité linguistique et l’éducation multilingue. Alors que la mauvaise réputation de la France en matière de maîtrise des langues étrangères n’est plus à faire, des associations et des écoles militent pour que le sacro-saint français laisse un peu de place aux autres langues maternelles des élèves.

L’association Dulala, fondée en 2009, propose des ressources et ateliers aux familles et personnels de l’éducation pour valoriser la diversité des langues et cultures chez les enfants. Coline Rosdahl, responsable du matériel pédagogique de Dulala a répondu aux questions de 20 Minutes.

En quoi consiste l’association Dulala ?

C’est un ensemble de ressources et de formations autour de l’éducation aux langues. Nous créons du matériel pédagogique, testé sur le terrain avec des enfants et des professionnels. Nous avons également un pôle de formation et de recherche, en lien avec des chercheurs qui font des études autour du plurilinguisme, de la didactique des langues, des neurosciences… Notre rôle c’est de créer des formations pour rendre accessibles tous ces concepts aux acteurs de l’éducation. Enfin, nous avons le pôle communication. On essaye de créer un réseau d’acteurs concernés par les questions de plurilinguisme pour qu’ils mettent en place des choses en faveur des langues dans leur structure ou territoire.

Concrètement à quoi ça sert de parler plusieurs langues ? Pourquoi c’est important de ne pas oublier sa langue maternelle ?

La langue maternelle constitue le socle du langage, plus elle est solide, plus facile sera ensuite l’apprentissage du français mais également de l’anglais ou du chinois. Elle est également primordiale du point de vue de l’identité : elle nous lie à nos racines et permet souvent de garder contact avec une partie de la famille habitant dans un autre pays. D’ailleurs on voit souvent que les enfants qui ne maîtrisent pas leur langue maternelle vont s’y intéresser et chercher à la réapprendre plus tard. Il s’agit pour eux d’une quête d’identité.

Enfin, la langue maternelle est en lien avec la sécurité affective. C’est la langue qui rassure. Quand on va dans un pays étranger et qu’on entend quelqu’un parler notre langue, tout de suite on est rassuré. C’est un processus psychologique simple : la langue maternelle est celle qu’on entend quand on est bébé. C’est celle qui nous a endormis, fait jouer, c’est une langue protectrice et dont la trace reste toute la vie.

En France, environ un enfant sur quatre grandit dans un environnement bilingue ou plurilingue. Que pensez-vous de l’exploitation de ces langues familiales à l’école et de la prise en charge des enfants ?

Ce chiffre grimpe très vite en Île de France où un enfant sur trois voire sur deux est concerné. Nous, on intervient beaucoup dans les réseaux d’éducation prioritaire et on remarque que dans ces REP environ 90 % des enfants parlent une autre langue que le français.

Ce qui est intéressant c’est de voir que quand la langue maternelle est l’anglais, l’italien, l’espagnol ou l’allemand elle a beaucoup plus de chance d’être prise en compte par l’école et les enseignants qui souvent la connaissent ou l’ont déjà entendue. Dans ce cas, on va régulièrement demander à un enfant de compter jusqu’à dix devant ses camarades ou de réciter les jours de la semaine. Mais quand il s’agit de langues que le personnel scolaire ne connaît pas, elles ne sont pas prises en compte.

Quand on ne connaît pas, on n’en parle pas ?

Ce n’est pas de la mauvaise volonté mais il y a une espèce de silence qui passe sur les langues d’une grande partie d’enfants. Le personnel éducatif ne sait pas comment prendre en compte certaines langues, ce qui fait que les enfants intègrent inconsciemment l’idée que la leur est dévalorisée, qu’elle n’a pas sa place à l’école, que c’est presque la honte de la parler car elle diffère de la norme alors même que la norme française c’est le multilinguisme.

Il y a un problème d’outils et de formation : le plurilinguisme ne fait pas partie de la formation initiale et continue des enseignants et c’est comme ça que des enfants se retrouvent à laisser leur langue, une partie de leur identité aux grilles de l’école.

Ce malaise de parler une autre langue que le français, d’où vient-il ?

Heureusement, cela ne concerne pas tous les enfants mais il y a effectivement un tabou sur certaines langues. Et puis, certaines familles, qui ont eu un parcours migratoire difficile et veulent s’intégrer rapidement ont tendance à ne pas vouloir transmettre leur langue maternelle.

Mais le malaise que fait naître la maîtrise de certaines langues est regrettable : au niveau du cerveau, que l’on soit bilingue arabe/français, anglais/français ou bambara/français, c’est la même chose. C’est le même processus cognitif qui entre en jeu. L’environnement plurilingue apporte beaucoup d’avantages au-delà des langues. Les enfants concernés développent des facilités en logique et en mathématique. Ils ont aussi une capacité d’adaptation et de créativité plus grandes et de récentes études ont montré que grandir avec deux langues réduirait le risque de développement de la maladie d’Alzheimer à l’âge adulte avancé.

Avantages qui se révèlent vrais si et seulement si l’enfant perçoit une appréciation positive de ses deux langues.

Que conseillez-vous aux parents voulant donner une éducation bilingue à leurs enfants ?

De reconnaître que c’est le parcours du combattant (rires). Et qu’il ne faut pas se blâmer si on n’y parvient pas. On conseille aux parents d’en parler avec l’enfant quel que soit son âge, d’avoir des discussions sur le bilinguisme et de développer un rapport affectif avec la langue qu’on veut transmettre via des chansons, des histoires et des petits moments de tendresse. Enfin, ils peuvent mettre leur enfant en contact avec la famille et d’autres enfants qui parlent la même langue que lui. Dans tous les cas, il faut créer une image positive et donner envie.

Quels outils vous permettent d’encourager le plurilinguisme ?

Les personnels de l’éducation se sentent démunis face aux enfants plurilingues. Souvent ils font des repas du monde, des défilés avec costumes traditionnels… Mais ça ne va pas beaucoup plus loin et le danger c’est qu’on folklorise la diversité et on assigne une identité étrangère aux parents. Nous développons des outils pour rendre accessible la recherche aux professionnels (vidéos, affiches…). Mais également des jeux, fiches pédagogiques et une appli numérique qui permettent aux enfants de jouer sur les langues et de réfléchir dessus. Lors de l’éveil aux langues des plus petits, on développe leurs compétences sociolinguistiques (tolérance, ouverture aux autres...) et métalinguistiques (observation et analyse de la langue). Toujours en comparant avec le français, dont ils découvrent les spécificités. Les activités concernent évidemment tous les enfants et pas uniquement ceux en situation de bilinguisme. Ces ateliers créent un climat de confiance. Le message, c'est : « Les langues de l’immigration, les langues régionales, la langue des signes… Elles sont toutes aussi importantes les unes que les autres. »

Pour que les enfants se sentent fiers de leur langue, il faut aussi que l’école, les structures éducatives ouvrent leur porte aux langues et à la diversité et leur permettent de s’exprimer autour de ça.