«En proie au silence», «Sengo», «Asadora», «Quintuplets»... Des mangas pour continuer le festival d'Angoulême chez soi
BD•Les éditeurs de mangas profitent du festival d’Angoulême pour sortir leurs meilleurs titresVincent Jule
Finie l’époque du manga non grata, le festival d'Angoulême accueille aujourd’hui la bande dessinée japonaise à bras ouverts, avec le Grand Prix 2019 pour la reine du shônen, Rumiko Takahashi, qui se traduit un an plus tard par les rééditions de Urusei Yatsura – Lamu et de Maison Ikkoku – Juliette je t’aime, mais aussi toujours plus d’invités et d’expos ( Inio Asano, Yukito Kishiro, Yoshiharu Tsuge), et bien sûr des récompenses (le prix de la série pour Dans l’abîme du temps et le prix Jeunes adultes pour Le tigre des neiges). Les éditeurs profitent tous de l'événement pour sortir leurs plus gros titres, dont voici une sélection par 20 Minutes.
« En proie au silence »
Si le manga a déjà abordé les violences faites aux femmes, personne ne semble l’avoir fait comme l’autrice et dessinatrice Akane Torikai. Tel une bombe à retardement, En proie en silence suit le quotidien a priori normal de Misuzu, une professeure de lycée. Il est presque difficile de résumer le premier tome, tant il s’y passe peu de choses, alors même qu’un sentiment de mal-être, de chappe de plomb, grandit au fil des pages.
La vérité éclatera elle-même sans éclat, Misuzu a été violée par le copain de sa meilleure amie, et depuis, elle (sur) vit dans la négation de sa féminité, la perte de confiance et la peur des hommes. Sa rencontre avec un élève, lui aussi victime, fait vaciller son quotidien, mais pas forcément comme le lecteur peut s’y attendre. « Le simple fait de vivre en tant que femme m’expose à la possibilité que ce genre de chose m’arrive », « ce n’est pas ce que les femmes ont entre les jambes qui te terrorise, c’est le fait que, malgré toi, tu es un homme »… Entre colère sourde, mots justes, et terrible mais banale réalité, Akane Torikai nous fait regarder la société droit dans les yeux et les inégalités.
En proie au silence, d’Akane Torikai (Akata)
« Sengo »
De son dessin (old school) à son sujet (l’immédiat après-guerre), Sengo semble être un manga des années 1960-1970, l’âge d’or du gekiga. Or, son auteur Sansuke Yamada est né en 1972, et Sengo a été publié de 2013 à 2018, avec le prix Osamu Tezuka en 2019. C’est aussi que son portrait d’un Japon vaincu, détruit, occupé, à travers deux soldats revenus du front, le bon vivant Kadomatsu et le désenchanté Toku, a ce je-ne-sais-quoi d’intemporel. Leur quotidien fait de combines, d’alcool, de désespoir, de survie rappelle autant celui du Vagabond de Tokyo dans les années 1980 que celui des pensionnaires de Maison Ikkoku dans les années 90.
Sengo, de Sansuke Yamada (Casterman)
« Stop Hibari Kun »
Si les sorties mangas sont en majorité les nouveautés du moment, la France fait un vrai travail de découverte et d’Histoire avec l’édition de classiques, et des labels («Vintage » chez Glénat, « Sensei » chez Kana…) ou maisons (Isan Manga, Black Box…) dédiées. Stop Hibari Kun chez Le Lézard Noir en est un bel exemple, titre jusque-là inconnu et inattendu issu du pourtant incontournable magazine Weekly Shônen Jump.
Suite au décès de sa mère, Kôsaku emménage chez l’une des vieilles connaissances de cette dernière, chef yakuza et père de quatre filles. Le jeune garçon tombe immédiatement amoureux de l’une d’elles, Hibari, une fille trans. Stop Hibari Kun date du début des années 1980, et se révèle étonnamment transgressif et inclusif pour l’époque, et pour un magazine plutôt connu pour célébrer le courage, la force et la virilité - mais pas que, avec aussi beaucoup de comédies romantiques.
Si le manga enchaîne quiproquos, gags et « bien sûr » réactions homophobes, transphobes et réacs, ce n’est jamais au détriment d’Hibari. Au contraire. Elle est belle, imperturbable, fait tourner toutes les têtes, et ce sont les autres, les hommes, qui perdent leurs moyens, se ridiculisent. Tsukasa Hojo reprendra la même idée avec Family Compo, actuellement réédité chez Panini.
Stop Hibari Kun, de Hisashi Egushi (Le Lézard Noir)
« Asadora »
Invité d'honneur du festival d'Angoulême de 2018, le mangaka Naoki Urawasa est de retour, en librairie cette fois, avec Asadora, a priori sa nouvelle longue série, après une parenthèse anecdotique au Louvre (Le Signe des rêves). A la veille des JO de Tokyo 2020, la ville est détruite par un monstre cornu. Flash-back : en 1959, Nagoya est sur le chemin d’un typhon, et la jeune tête brûlée Asa court chercher un médecin pour aider sa mère sur le point d’accoucher. Le rapport ? Peut-être cette énorme trace de pas à la Godzilla…
De son titre clin d’oeil à un feuilleton des années 1960 à l’ombre écrasante des kaiju, en passant par son portrait de la jeunesse et sa relecture de l’histoire du Japon, l’auteur de 20th Century Boys est en terrain conquis. Mais avec un premier volume très (trop ?) mystérieux et plus proche d’un premier chapitre, difficile de savoir s’il est parti pour un chef d’oeuvre à la Monster ou une errance à la Billy Bat.
Asadora, de Naoki Urasawa (Kana)
« The Quintessential Quintuplets »
Fûtarô, un lycéen brillant mais fauché, se voit proposer un job en or : devenir le prof particulier d’une famille fortunée. Sauf qu’il doit s’occuper non pas une mais cinq élèves, des quintuplées ! The Quintessential Quintuplets est le dernier né de ce qu’on appelle le « harem manga », des titres où le héros, double du lecteur, se retrouve au milieu de plein de jolies jeunes filles. Voilà voilà.
Popularisé par Love Hina, le « harem manga » perpétue les pires clichés sexistes, sous couvert de comédie romantique – dès le début, on sait que Fûtarô épousera l’une des soeurs Nanako mais laquelle ? Le manga de Negi Haruba n’est pourtant pas le pire du genre (coucou World’s End Harem), grâce à un dessin impeccable et à des personnages et personnalités féminines un peu plus travaillées.
The Quintessential Quintuplets, de Negi Haruba (Pika)