CINEMAAu Festival de La Roche-sur-Yon, le dernier Polanski crée le débat

« J’accuse » : La programmation du dernier Roman Polanski crée le débat au Festival de La Roche-sur-Yon

CINEMAUne discussion sur « la question de la distinction entre l’artiste et son œuvre » a été programmée à la dernière minute avant la projection du film « J’accuse », vendredi soir
Fabien Randanne

Fabien Randanne

L'essentiel

  • J’accuse, le dernier film de Roman Polanski, a été projeté vendredi soir au Festival international du film de La Roche-sur-Yon.
  • Mardi, l’actrice Adèle Haenel a suggéré lors d’une rencontre avec le public d’encadrer cette projection d’un débat sur la question « Qu’est-ce que la différence entre l’homme et l’artiste ? »
  • L’organisation du festival a entendu le point de vue de la comédienne et a organisé vendredi une discussion avec la journaliste Iris Brey.

L’avant-première de J’accuse, le dernier Roman Polanski consacré à l’affaire Dreyfus, s’est déroulée dans le calme, vendredi soir, au Festival de La Roche-sur-Yon ( Vendée). Mais sa présence dans la programmation de cette dixième édition n’a pas manqué de faire des vagues.

Mardi, lors d’une rencontre avec le public, l’actrice Adèle Haenel a révélé avoir été « un peu vexée » en découvrant que le film de Roman Polanski – qui fait toujours l’objet de poursuites aux Etats-Unis pour le viol d’une mineure en 1977 – serait projeté dans le cadre de l’événement.

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« Je pense que dans le contexte actuel, ce serait pas mal d’encadrer ce film d’un débat sur « Qu’est-ce que la différence entre l’homme et l’artiste ? », ainsi que sur la violence faites aux femmes, a-t-elle suggéré. On est dans une structure où l’on est tous plus ou moins informés de ce que signifie la culture du viol. On peut en parler de manière structurelle et au moins ouvrir le débat pour que ça change. »

Un débat programmé au dernier moment

La prise de position d’Adèle Haenel a été entendue par Paolo Moretti, le délégué général du Festival de La Roche-sur-Yon à qui elle avait au préalable fait part de ses questionnements. En conséquence, une discussion publique entre Paolo Moretti et la journaliste et critique Iris Brey, spécialiste de la représentation du genre au cinéma et dans les séries, a été ajoutée au programme au dernier moment.

« C’est l’une des solutions – je ne prétends pas que ce soit la solution, a déclaré le délégué général à Allociné. Pour moi, c’est une façon de mettre en perspective, mettre en contexte et ouvrir un espace de parole. Si cette parole n’était pas là, elle pourrait être interprétée comme un manque de sensibilité, faire semblant de rien, alors qu’on reconnaît la problématique de la question. »

« Quels sont les films qu’on a envie d’entendre aujourd’hui ? »

« Qu’est ce qui se passe quand on a quelque un qui est un génie pour certains ou certaines et qui est aussi un homme accusé d’agressions sexuelles par quatre femmes ? A chaque fois Polanski utilise son nom, qui il est, sa fonction de réalisateur, son succès pour accéder à ces jeunes femmes, a ainsi affirmé Iris Brey durant l’échange qui s’est tenu vendredi après-midi, disponible en intégéralité sur SoundCloud. Donc séparer l’homme et l’œuvre est compliqué puisque l’homme utilise son œuvre pour avoir du pouvoir sur certaines femmes. »

« Je suis reconnaissante aujourd’hui de prendre la parole avec vous, c’est important que cette conversation ait lieu de manière individuelle et collective. […] On est à un moment où on n’en peut plus du silence. Et puis, on n’en peut plus lorsque l’on cherche à faire émerger des voix, que ce geste-là ne soit pas entendu. On nous ramène toujours à ce silence, a conclu Iris Brey. C’est très important de savoir écouter. On a tous des priorités personnelles qui vont se mettre en place autour de ces récits-là, qui nous interrogent sur qui sont les hommes et les femmes qui parlent qu’est-ce que leurs histoires racontent et surtout qu’est-ce que leurs films racontent. Quels sont les films qu’on a envie d’entendre aujourd’hui ? Il y a encore beaucoup d’histoires qui ne sont pas racontées. »

« Sortir de l’accusation simpliste de censure »

« La conversation que nous avons eu avec Paolo Moretti a permis pour la première fois en France d’avoir une réflexion publique au sein d’un festival autour de la programmation d’oeuvres réalisées par des agresseurs sexuels présumés. Elle a questionné comment la programmation de certains réalisateurs participe à un système d’impunité s’ils y sont honorés », souligne Iris Brey à 20 Minutes.

Et d’ajouter : « Cet échange nous a permis de sortir de l’accusation simpliste de censure des œuvres qui n’a jamais été au cœur de la question pour élargir à des questions d’esthétiques et de mise en scène. Cette conversation confirme la nécessité de contextualiser les œuvres dans un débat plus large autour des représentations et de réfléchir à comment la mise en scène des corps féminins et des violences faites aux femmes au cinéma participent à la culture du viol et façonnent nos propres désirs. »

Vendredi soir, avant la projection de J’accuse, Paolo Moretti est venu s’adresser au public pour justifier son choix de le programmer. « Le film est accompagné d’une polémique depuis son apparition en compétition officielle au Festival de Venise. Il arrive avec cette reconnaissance d’un grand festival, et même avec un prix prestigieux donné par une présidente du jury, Lucrecia Martel, qui est extrêmement sensible à cette question. » La réalisatrice argentine, lors de la Mostra de Venise, avait effectivement déclaré qu’elle « ne séparait pas l’homme de l’œuvre » et qu’elle était « très gênée » par la présence du film de Roman Polanski. A l'heure du palmarès, J’accuse avait cependant reçu le grand prix, Lucrecia Martel précisant par la suite qu’aucun prix n’avait été décerné à l’unanimité des membres du jury.

Face au public de La Roche-Sur-Yon, Paolo Moretti a conclu : « Nous sommes convaincus que le festival est un moment de parole et d’expression de sensibilités différentes pour que vous, le public, puissiez faire un chemin qui vous appartient, sur la relation avec une œuvre ou un artiste. »