ROMANSorj Chalandon ridiculise le cancer avec la sororité et le polar

VIDEO. Rentrée littéraire : Sorj Chalandon ridiculise le cancer avec la sororité et le polar dans « Une joie féroce »

ROMANL'auteur, lui-même atteint d'un cancer, a imaginé une histoire de femmes luttant contre le cancer et s'est mis dans la peau de son épouse, également malade
Benjamin Chapon

Benjamin Chapon

«Rien que le fait d’en parler, on a peur de l’attraper… » Sorj Chalandon s’excuse presque de raconter le sujet de son nouveau roman, Une joie féroce. Et tout de suite, il désamorce. « Les premières pages sont dures, mais ensuite, ce n’est plus un livre sur le cancer mais sur la métamorphose. » Pourtant, la genèse du livre est bel et bien marquée par le spectre du cancer. « Presque tous mes livres sont nés d’une blessure. Avant de commencer celui-ci, je n’avais aucun livre de prévu. Je disais, en plaisantant : « A moins d’un cancer, je ne vois pas ce que je vais écrire »… »

En janvier 2018, la femme de Sorj Chalandon se fait diagnostiquer un cancer. « Dès le début, elle m’a dit "je suis en guerre". Cette phrase m’a renvoyé à ma vie entière, de journaliste de guerre aussi. J’ai décidé de faire un reportage sur cette guerre. J’ai demandé à ma femme l’autorisation de raconter son traitement. » Onze jours plus tard, l’auteur est diagnostiqué à son tour : cancer de la prostate. « C’est horrible mais la première chose que j’ai pensé quand on a diagnostiqué mon cancer a été "c’est bon, je peux écrire". »

« Bonjour le roman de merde »

« J’ai voulu raconter cette histoire du point de vue d’une femme. Parce que raconter mon cancer, la peur de perdre sa virilité, bonjour le roman de merde… J’ai décidé de mettre mon propre cancer à distance, j’ai demandé à mon médecin de repousser l’opération et la chimiothérapie. » Une joie féroce suit donc l’histoire de Jeanne. Sorj Chalandon ne s’arrête pas là et fait naître un groupe de quatre femmes habitées par la rage de vaincre le cancer, et une sororité puissante, politique.

« J’ai tout de suite voulu une héroïne. Ça tient sans doute à ma mère, qui était une femme effacée. Je n’ai jamais eu l’image d’une mère forte, explique Sorj Chalandon. Dans mes livres, les femmes sont absentes, ou grises. Je devais changer ça. Les femmes de Une joie féroce sont des rebelles, des résistantes, des combattantes, des rigolotes. Elles ridiculisent le cancer, ce personnage maléfique. Toutes ne sont pas formidables, ce serait trop simple. Avec le cancer, la vie continue, les trahisons aussi. »

La réalité sociale du cancer

Au fil des pages, Une joie féroce s’aventure du côté du polar et du roman d’aventure, même s’il raconte toujours la réalité sociale des femmes atteintes de cancer. Ainsi, Jeanne se retrouve vite seule, quitté par son mari. « Au début, je voulais que ça soit elle qui le quitte, mais en fréquentant des services médicaux, j’ai constaté, et les médecins me l’ont confirmé par des statistiques, que les maris s’en vont, ils fuient. » Sorj Chalandon, aussi journaliste, documente le traitement de sa femme. « J’ai été invité, par les médecins de la Pitié-Salpêtrière, à venir signer mon livre pour Octobre rose. Ça me touche vraiment parce que ces gens-là savent bien ce que vivent les malades. J’ai dû toucher juste. »

Dans Une joie féroce, l’intrigue de polar autant que ses héroïnes surhumaines, mais humaines tout de même, font du cancer une péripétie qui change tout, mais sur laquelle on peut reprendre le pouvoir. Il faudra laisser aux lectrices le soin de décider si Sorj Chalandon à viser aussi juste avec sa voix féminine. « Une amie m’a envoyé un SMS pour me dire "Sorj Chalandon, t’es une sacrée nana". C’est bon signe… »