INTERVIEW« Tu cours mais tu ne sais pas où tu vas, pourtant tu continues de courir »

Rilès : « Il ne faut pas que je trouve ma place, il faut que je l’impose »

INTERVIEWRencontre avec le jeune rappeur dont le premier album est sorti le 30 août dernier
Pierre Cloix

Pierre Cloix

L'essentiel

  • A 23 ans, Rilès sort son premier album, presque entièrement produit dans sa chambre.
  • Le Rouennais chante en anglais et a une place à part dans le milieu du rap français.
  • « 20 Minutes » a rencontré Rilès pour évoquer avec lui ses débuts tonitruants.

En entrant dans la loge de Rilès, on pourrait s’attendre à ce que le rappeur, qui vient tout juste de sortir son premier album, Welcome To The Jungle, soit en train de se détendre avant son passage dans l’émission C à Vous du soir même. Ce serait mal connaître le Rouennais de 23 ans, qui a les yeux rivés sur un ordinateur portable. « On sort une lyric video par jour en ce moment » (Une vidéo où l’on peut lire les paroles d’un morceau), dit-il. S’il y a bien quelque chose que l’on doit accorder à Rilès, c’est que son éthique de travail en impose. Entre un post Instagram, la publication d’une vidéo sur Youtube et le maquillage pour l’émission du soir, 20 Minutes s’est entretenu avec lui.

Tu sembles ne jamais t’arrêter de travailler…

Je fais de la musique depuis environ 8 ans et ma particularité, c’est que je fais tout tout seul dans ma chambre, de l’instru jusqu’au mix en passant par les clips et tout le reste. Même le mastering. Les derniers que j’ai faits je me suis entouré d’ingénieurs parce que je trouvais que les miens ne « tapaient » pas assez. Par exemple Marijuana quand j’ai sorti le mastering, je n’étais pas satisfait donc je me suis associé avec des gars. Mais sinon tout sort de ma chambre.

Pourquoi avoir choisi de rapper en anglais ?

Par pudeur à la base. J’écrivais mes textes juste à côté de la chambre de ma mère et je n’avais pas très envie que mes parents comprennent ce que je raconte, je suis assez pudique avec ma famille. Au fur et à mesure j’ai pris ça de plus en plus au sérieux : j’étais le mec qui rappait en anglais dans la team. Au point où je suis arrivé en licence d’anglais pour peaufiner ces textes que j’écrivais.

C’est important pour toi de garder le contrôle de la production jusqu’à la sortie ?

Ça vient d’un traumatisme. La première fois que j’ai voulu enregistrer un son, dans un studio à Rouen, ça coûtait 20 euros de l’heure. C’était déjà cher mais je pensais faire un truc en deux trois heures. Au bout de cinq heures, je n’avais toujours pas le résultat que je voulais, l’ingénieur n’était pas forcément intéressé, il n’aimait pas trop le rap… Alors je me suis dit que j’allais enregistrer dans ma chambre, pour avoir un meilleur résultat. Ça m’a pris du temps, trois ans pour tout apprendre, mais la plus value en vaut la peine. Maintenant je peux enregistrer un son quand je veux.

Quand tu as une idée précise, plus tu passes par des filtres, moins le résultat final sera celui que tu avais en tête à l’origine. Aujourd’hui je travaille toujours tout seul, mais j’essaye de déléguer un peu plus. Par exemple les récaps vidéos de concerts, maintenant j’essaye de les donner à faire à d’autres parce que je ne suis pas censé me concentrer sur ça. Mais le problème de tout faire tout seul c’est que ça peut monter à la tête, tu es tellement « matrixé » par le fait que les autres gens sont nuls…

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De plus en plus de jeunes artistes ont cette approche « totale » dans le rap, souvent depuis leur chambre. Tu penses que ça signifie quoi pour cette génération ?

On a une génération qui est un peu plus libre, dans le sens où on peut apprendre tout ce qu’on veut. Je pense qu’il y a 20 ans, on ne pouvait pas apprendre du mix ou du mastering si on n’était pas en école d’ingénieur du son. Sur Instagram il y a des peintres autodidactes, des mecs qui dessinent au stylo Bic des portraits incroyables, et ils ont tout appris pas eux-mêmes. Je pense qu’Internet va un peu « libérer » des cases que l’on peut se fixer dans la société. Dans deux ans il y en aura 10 des rappeurs qui auront percé depuis leur chambre.

En parlant d’Internet, si le youtubeur Seb La Frite n’avait pas parlé de toi dans une vidéo, tu penses que ça aurait marché quand même ?

J’ai fait les Rilèsundayz, où je balançais un son par semaine, pour que quelqu’un me repère, qu’on se dise « C’est qui ce gars ? ! ». Evidemment que si Seb n'avait pas parlé de moi, ça n’aurait pas été pareil. Ça a mis le feu aux poudres. Après il faut faire perdurer ce truc-là.

Il y a aussi eu le joli coup de Snoop Dogg, présent dans le clip de Marijuana. Comment ça s’est passé ?

On y est allé au culot pour la demande, ça n’a pas été fait via la maison de disques, c’était vraiment des mails qu’on a envoyés nous-même. On a réussi à avoir Snoop après maintes et maintes relances et essais… Beaucoup de portes se sont fermées devant nous et sur un coup de chance, on a eu une réponse positive. Il nous a invités tout simplement chez lui. Il y avait un studio, il est arrivé à l’heure et en 45 minutes c’était bouclé. Je lui ai dit « Ouais il faut que tu fasses la scène, quand la caméra se lève, tu dis : Don’t get distracted. Pleasure is not happiness… » En vrai je n’y croyais pas, tant que ce n’était pas en boîte. J’ai tellement eu de déceptions… J’étais un peu sous pression jusqu’à ce qu’il arrive et puis après ça c’est très bien passé.

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Tu as eu l’occasion d’avoir des contacts avec d’autres artistes aux Etats-Unis ?

J’essaye de prendre contact de moi-même. Je n’ai pas envie qu’on me propose : « Celui-là, il va percer bientôt, tu ne veux pas travailler avec lui ? »… Je préfère avoir un coup de cœur et que ce soit moi qui fasse la démarche. Je n’ai pas beaucoup de contacts, il y a quelques rappeurs que je kiffe et avec qui on échange sur Instagram de temps en temps… Il y en a un de Los Angeles super intéressant qui s’appelle Croosh. Après il y a des plus grosses têtes, mais je ne peux pas te dire maintenant, parce que ça porte la poisse… Mais oui, on essaye de rencontrer quelques personnes.

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Dans ton album tu emploies beaucoup le mot « run », que ce soit parce que tu cours après quelque chose ou pour t’échapper, est-ce que c’est un sentiment d’urgence que tu as encore maintenant ?

Ça peut être interprété comme ça, dans beaucoup de clips je cours aussi. Il y a toujours cette idée de fuite vers l’avant. Tu cours mais tu ne sais pas où tu vas, pourtant tu continues de courir. C’est vraiment ça, ma vie entière : j’improvise, tout le temps. Et puis on fait tout à la dernière minute. Même l’album, on l’a envoyé au dernier moment, un jour avant qu’il ne soit sur les plateformes de streaming

Tu sembles rester un peu en marge du « rap game » français…

Je ne me considère pas comme hors du « rap game » français, mais en dehors de l’intérêt du «rap game » français. Dans le sens où on ne me calcule pas forcément et c’est à moi de prouver, d’imposer ma place. Il ne faut pas que je la trouve, mais il faut que je l’impose.

Par exemple, un truc débile, mais Booska-P [site d’information sur le rap] n’a pas parlé de mon album. Il y a toujours cette marginalisation, on me met un peu de côté et je peux comprendre. Sur tous mes réseaux je parle en anglais, ça casse les c*illes à certains. Et je ne connais personne dans ce business, aucun rappeur connu, aucune star… Le fait de rester dans ma chambre ça a aussi créé cet aspect « ermite ». J’attends le jour où je ferai un putain de gros clip, un putain de gros son et où on sera obligé d’en parler. C’est à moi de faire mes preuves. Malheureusement l’être humain a tendance à se comparer, mais la comparaison c’est le voleur de la joie.

Et tu comptes quand même collaborer avec des rappeurs français ?

Non, je pense que ce ne serait pas cohérent avec le projet. Si je le faisais ce serait plus par peur de moins vendre, ou de moins être reconnu… Si je devais faire une collab, ce serait avec quelqu’un qui serait un peu plus dans mon univers. Je ne sacrifierais mon intégrité artistique pour rien au monde. Je n’ai pas peur de bouffer des pâtes pour le restant de ma vie. Une oeuvre quand elle est sortie tu ne peux pas retourner en arrière.

Si on considère que la Jungle du titre de ton album c’est ce monde de la musique, maintenant que tu y es, c’est quoi le plan ?

Survivre, Survival Mode