Chilla sort son premier album: «Si j’ai envie de parler mal et d’être vulgaire, je le ferai»
INTERVIEW•La rappeuse sort son tout premier album « Mun » ce vendrediPropos recueillis par Clio Weickert
L'essentiel
- Chilla sort son premier album « Mun » ce vendredi.
- La rappeuse a dévoilé ses différentes facettes à « 20 Minutes ».
«J’ai l’impression de ne plus avoir à me justifier d’être une femme. Je suis là, je fais du rap et celui qui kiffe, kiffe ». Début juillet, à quelques heures de sa release party à la Maroquinerie à Paris, Chilla navigue entre deux eaux. Celle qui s’est fait connaître en 2017 grâce à Sale chienne et Si j’étais un homme, baigne dans un subtil cocktail d’appréhension et d’assurance. « Avec Karma [son premier EP], j’étais vraiment dans le challenge, le défi et une recherche de légitimité. J’étais encore trop fixé sur ce que les gens allaient penser de ma musique donc je voulais leur montrer de quoi j’étais capable, explique-t-elle. Le fait de rencontrer mon public m’a permis de prendre confiance, et si j’ai un petit coup de pression maintenant, c’est par rapport au fait de rendre un projet à la hauteur de mes espérances, qui me ressemble et soit le plus sincère possible. »
Chilla revient ce vendredi avec Mun [à prononcer « Moon »), son tout premier album, que la rappeuse a commencé à dévoiler avec cinq clips, de Premier jour d’école à Jungle. Un projet musical « introspectif » et « thérapeutique », qui fait le pont entre son adolescence et sa vie d’adulte, entre le rap et le chant, sa virilité et sa sensibilité.
Que signifie « Mun », le titre de ton album ?
Dans mes textes je fais souvent référence à la Lune, les astres, la galaxie, pas d’un point de vue scientifique mais plutôt spirituel. Quand tu te retrouves face à la Lune, tu prends conscience qu’il y a des choses qui te dépassent, l’univers est gigantesque et tu te sens toute petite. C’est aussi le symbole de la féminité, et le fait d’avoir différentes facettes, ce côté très brut, très rap, très viril, et en opposition ce côté très chanté, sensible et mélodieux.
C’est aussi un album très intime ?
Je me livre beaucoup plus, quelques sujets sont évoqués en « surface » parce que je ne suis pas encore prête à tout dévoiler, mais il y a un vrai travail d’introspection qui m’a permis de me libérer sur plein de choses. Je m’exprime sur des sujets comme l’amour par exemple, et il y a deux ans c’était inenvisageable. J’avais trop peur que ce soit une faiblesse, qu’on me pose des questions sur mon intimité, sur mes relations… Je ne voulais pas me justifier sur pourquoi j’ai le cœur brisé ou pourquoi je suis épanouie. Finalement j’ai arrêté de me poser des questions, c’est plus authentique, j’ai l’impression de faire rentrer les gens dans ma chambre.
Dans « Cœur sombre » justement, tu parles d’un garçon au cœur brisé. Ce titre s’inspire d’une vraie histoire ?
Cœur sombre est plutôt un constat. J’ai toujours traîné avec pas mal de mecs et j’ai quelques potes qui font partie de ceux qui font semblant d’être détachés des relations, qui ne recherchent pas l’amour et sont juste là pour « ken des meufs », de manière vulgaire. Mais quand tu te penches un peu sur le cas de certains, tu te rends compte qu’ils sont dans des mécanismes de défense où ils essayent de se protéger de l’amour comme s’ils avaient peur d’être de nouveau blessés. Je trouvais ça important de donner mon point de vue en tant que femme en disant « écoutez les queutards, certains d’entre vous sont des vrais bâtards, mais d’autres sont juste des écorchés qui veulent faire les mecs forts, alors qu’en vrai vous avez le cœur brisé ». Moi je suis très rattaché à l’amour et à cette flamme qui fait que même si ça te fait souffrir, c’est ça qui te rend vivant.
Dans un autre registre, tu abordes aussi des critiques que tu as pu recevoir, le fait d’être une femme, de « mal rapper mais aussi d’être « trop blanche », comme tu le dis dans « Am Stram Gram ».
Cela fait suite au clip de Dans le movie, où j’ai des tresses. J’ai reçu énormément de commentaires qui me taxaient de m’approprier la culture noire. Je suis Franco-Malgache, j’ai les deux nationalités, et je me suis dit, « est-ce que je dois vraiment me justifier de ça ? » J’ai l’impression que le métissage n’est jamais pris en compte, tu dois être blanc ou être noir, français ou étranger. Il y a un vrai conflit identitaire, on nous renvoie toujours au fait qu’on n’est pas à notre place. Quand je vais à Madagascar je ne suis pas forcément Malgache à leurs yeux, en France, les gens ne savent pas mettre des origines sur moi, donc on me voit comme une Thaïlandaise, une Péruvienne ou une Marocaine… Il y a ce vrai conflit dans mon identité qui est devenu une force parce que mon métissage se retrouve dans ma musique, mon image et ma manière d’être.
Dans ta musique, tu affirmes aussi un côté très « virile » et tu n’hésites pas à reprendre à ta manière des expressions comme « porter ses couilles ». Une façon de renverser le discours ?
Pendant des années j’avais peur que mon talent et mon travail ne soient pas reconnus si j’étais trop féminine, ou trop sensible. J’ai bridé ma féminité parce que j’avais peur qu’on pense que j’étais dans la séduction, que j’arrive là où j’en suis en faisant les yeux doux ou en étant trop sexy. Et j’ai aussi grandi avec des mecs, j’ai toujours voulu être un bonhomme parmi les bonshommes et pas juste la meuf de la clique. Je n’ai jamais voulu ressentir une différence entre les sexes, parce que pour moi l’égalité paraît évidente, donc forcément je n’ai jamais bridé mon vocabulaire ou ma façon de m’exprimer par rapport à ce qu’on attendait d’une femme. Ça a fait de moi une personne très vulgaire pendant plusieurs années. J’ai eu une très bonne éducation et ma mère s’est toujours battue pour que je sois quelqu’un qui puisse s’intégrer pleinement dans la société. Mais j’ai toujours grandi en opposition. Je faisais du violon au conservatoire et finalement je fais du rap. On a toujours attendu de moi que je sois très féminine et très polie, je suis devenue virile et vulgaire.
Mais tu n’as jamais pensé à féminiser les expressions ? A parler de « clito » plutôt que de « couilles » ?
En fait, tout ça c’est forcément en rapport avec cette société patriarcale et tous ses clichés. Encore une fois tu dois être soit un homme, soit une femme, la virilité appartient aux mecs, la douceur aux meufs, la vulgarité n’est pas dans la bouche d’une femme… Mais maintenant, si j’ai envie de parler mal et d’être vulgaire, je le ferai. Mais je me suis aussi rendu compte que je m’interdisais d’être féminine et sensible alors que je le suis, que j’ai cette féminité en moi et que c’est ma force aussi. Même visuellement j’ai travaillé dessus pour m’accepter avec des courbes, des formes… Tout ce processus de créativité m’a permis de m’accepter telle que je suis et de régler quelques névroses.