«"Yggdrasil", c’est le dernier magazine avant la fin du monde», ironise Pablo Servigne
INTERVIEW•Pablo Servigne revient sur l’origine du lancement de « Yggdrasil », un mook trimestriel sur la collapsologiePropos recueillis par Laure Beaudonnet
L'essentiel
- Le premier numéro de Yggdrasil sort en kiosque le 26 juin.
- Yggdrasil est le premier magazine-livre qui s’intéresse aux effondrements possibles de notre civilisation, à la résilience et au renouveau.
- Pablo Servigne, co-auteur du best-seller Comment tout peut s’effondrer et à l’origine du concept de « collapsologie » revient avec 20 Minutes sur ce mook un peu spécial.
En plein épisode caniculaire, la sortie du magazine spécialisé collapsologie sonne comme un clin d’œil un peu ironique. Vous ne pourrez plus dire que vous n’avez pas été prévenu des effondrements possibles de notre civilisation. Le premier numéro de Yggdrasil, un trimestriel écolo (il a été imprimé sur du papier recyclé) lancé par Yvan Saint-Jours et Pablo Servigne, l'inventeur du concept de collapsologie, sort en kiosques ce mercredi.
En attendant la fin du monde, nous avons discuté de futur et de résilience avec son rédacteur en chef Pablo Servigne en attendant la fin du monde.
Comment est née l’idée un trimestriel qui aide à traverser l’effondrement ?
C’est venu d’Yvan Saint-Jours qui a fondé les magazines La maison écologique et Kaizen. Il avait arrêté les périodiques et avait lancé YpyPyp, une petite maison d’édition spécialisée dans les questions d’autonomie. Il nous a dit : « le seul thème important aujourd’hui, c’est l’effondrement. » C’est un génie pour faire des magazines. Du coup, il a repris sa casquette. De mon côté, j’étais tout de suite emballé, même si je n’avais pas le temps. On a voulu créer un trimestriel de manière à suivre les saisons.
Pourquoi ce nom « Yggdrasil » ?
«Yggdrasil», c’est l’Arbre Monde qui relie le ciel et la terre, les morts et les vivants dans la mythologie nordique. On voulait un symbole mythologique. On l'a choisi nordique, parce que c’est joli, et parce que c’est en Europe. Cela fait écho aux sociétés pré-modernes européennes.
Il n’y aura que 12 numéros. Pourquoi en publier aussi peu ?
J’ai proposé un magazine à durée déterminée, comme une date de naissance, de vie et de mort. Comme tous les organismes vivants. On a choisi 12 numéros, trois ans et on s’autodétruit. On va créer de l’abondance, comme l’arbre. Si l’arbre trouve de bonnes conditions de milieu, il redistribue les fruits à l’environnement et, en se décomposant, il redistribue à son écosystème. On voulait contribuer pendant trois ans.
Contribuer dans quel sens ?
Dans mon premier livre, Comment tout peut s’effondrer, on a fait des constats et on a ouvert deux chantiers. La voie intérieure avec Une autre fin du monde est possible : spirituelle, artistique, psychologique, philosophique… ll reste le chantier politique, que j’appelle la voie extérieure : l’organisation des buts. On n’a pas encore publié sur cette question. On voulait être sur ces trois tableaux : à la fois sur l’effondrement, sur les récits et sur le politique. Il y a trois pieds au tabouret et s’il en manque un, on tombe par terre. Un, créer un monde nouveau ; deux, les luttes, la défense du vivant ; et trois, le changement de conscience. Si on parle juste des solutions sans changement spirituel, on est foutu. Il faut les trois. Ce n’est pas bisounours, ce n’est pas complètement plombant non plus.
Quelles sont vos attentes avec ce trimestriel ?
Nous espérons survivre jusqu’à notre mort, vivre au moins trois ans. L’idée, c’est de créer de la cohésion dans le mouvement qui est en train d’émerger. On voulait publier le premier magazine qui se consacre entièrement à l’effondrement, la renaissance, le renouveau. Aujourd’hui, les mooks [publication périodique de forme hybride, entre magazine, revue et livre] ont un petit succès. Je voulais quelque chose de qualité, qui ne serve pas à emballer le poisson, un objet qu’on collectionne. On est parti avec une attitude un peu particulière. On se dit que c’est le dernier magazine avant la fin du monde et chaque numéro est le dernier numéro avant la fin du monde. A chaque numéro on doit se réinventer.
N’avez-vous pas peur de déprimer tout le monde avec un magazine comme celui-ci ?
On part du principe que notre monde s’effondre, on est saturés de mauvaises nouvelles. Qu’est ce qu’on peut réinventer ? C’est un clair-obscur. L’idée, c’est toucher le grand public mais je ne pense pas qu’on va toucher tout le monde. On veut faire du bien aux gens qui se sentent vraiment concernés par cette question et il y en a de plus en plus. On vise le beau, un objet avec de belles photos, des dessins magnifiques. Si Yggdrasil marche bien, on mourra quand même mais on fera des petits. Comme les organismes vivants qui se reproduisent. On nourrira un autre écosystème, d’autres journaux, d’autres magazines, des éco-lieux, des associations…