Fête de la musique: Madame Monsieur arbitre le match entre rap et chanson française
INTERVIEW•A l'occasion de la Fête de la musique, ce vendredi, Emilie Satt et Jean-Karl Lucas, qui forment le duo Madame Monsieur, arbitre le match entre leurs domaines de prédilection : le rap et la chanson françaiseL'essentiel
- Emilie Satt et Jean-Karl Lucas forment le duo Madame Monsieur.
- Leur univers musical navigue de la chanson française à la pop et au rap.
- A l’occasion de la Fête de la musique, « 20 Minutes » leur a demandé d’arbitrer le match amical entre le rap et la variété.
Un pont musical. Madame Monsieur aime mélanger les genres et faire se rencontrer les sonorités. « On n’aime pas les étiquettes. Rap, pop, jazz, c’est la même famille, celle des musiciens », affirme Jean-Karl Lucas. Emilie Satt, l’autre moitié du duo, développe : « Un style musical, pour nous, ça ne définit pas un cadre : tout est perméable. La musique est une matière que l’on travaille, que l’on peut distordre pour voir ce que ça donne ».
C’est la raison d’être de leur nouveau projet, un double-album intitulé Tandem pour lequel Madame Monsieur a convié autant d’artistes issus de la scène rap que venus de la variété française à chanter avec eux (lire encadré). A l’occasion de la Fête de la musique, 20 Minutes a proposé au duo d’arbitrer le match entre rap et chanson française…
Les textes les plus inventifs, on les trouve côté rap ou côté chanson ?
Jean-Karl Lucas : J’ai l’impression qu’il y a une plus grande liberté dans le rap. Dans le vocabulaire, dans le fait d’utiliser les mots de la rue, des jeunes, de les faire vivre et de faire vivre la langue de cette manière-là. Peut-être que dans la chanson on se bride un peu plus, mais ça commence à changer. On voit de plus en plus les artistes pop s’inspirer des rappeurs.
Emilie Satt : Les rappeurs savent très bien qu’ils sont observés, écoutés, mais quelque part ils s’en foutent. Dans la chanson française, on fait davantage attention à ce que les autres vont penser de nous, on se demande si l’on respecte ce que l’on a été dans le passé, quelque chose d’un peu plus control freak, quoi.
Et les artistes les plus engagés ?
J-K. : Je trouve que dans la pop et la variété il y a de moins en moins de textes engagés. Bien sûr, il y a Gauvain Sers qui fait des chansons un peu sociales, mais on a du mal à retrouver des artistes comme Balavoine ou Renaud. Dans le rap, j’ai l’impression qu’il y en a de moins en moins aussi. On est tous un peu désabusés par le monde dans lequel on vit. Il y a un côté un peu fataliste. L’engagement, dans la jeune génération, est plus dans le fait de témoigner de leur quotidien, de ce qu’ils vivent. Je trouve ça intéressant.
E. : Je me souviens de Vianney qui, dans une interview, disait que les gens s’en foutaient de savoir pour qui il allait voter, qu’il était là pour faire des chansons, pas pour donner son point de vue. On nous a beaucoup demandé si on était des chanteurs engagés parce qu’on a chanté l'histoire de Mercy [une enfant née, en mars 2017, sur un bateau venu secourir des migrants en mer]. On n’a pas fait ça dans le but de mettre en lumière une crise ou une situation, mais parce qu’on a été touchés par l’histoire et qu’on en a fait une chanson. On se rend compte aujourd’hui, parce qu’on reçoit chaque semaine des vidéos de chorales d’enfants du monde entier qui chantent Mercy et que tous ont compris l’histoire de cette petite fille, ce qui se passe en Méditerranée, ce que c’est que quitter son pays parce qu’on n’est pas bien. Cela fera peut-être des adultes différents donc, d’une certaine manière, on est un peu des artistes engagés.
Et qui a le plus de chances de s’exporter ?
J-K. : C’est tout le problème avec la chanson en français : la barrière de la langue. On voit bien que le rap français s’exporte de mieux en mieux. On voit le succès d’Aya Nakamura aussi.
E. : Mais Aya, elle n’est pas dans le rap, elle est à cheval entre les deux…
J-K. : Oui mais elle est quand même de la famille urbaine. On a une scène urbaine en France qui est, à mon avis, l’une des meilleures au monde, donc forcément, le rap français intrigue.
Les meilleures techniques vocales ?
J-K. : Il n’y a pas de moins bons techniciens dans le rap que dans la chanson, si c’est ça le sens de la question.
E. : Oui, là-dessus, les deux sont ex aequo. Dans le rap, avoir un bon flow, c’est hyper technique, c’est presque un sport en fait parce qu’il faut le travailler en permanence. Et côté chanson, si tu prends quelqu’un comme Slimane, il une super technique, une voix incroyable… Donc un point partout.
Le meilleur sens du style ?
E. : Ce qui est sûr, c’est qu’avoir son look, ses codes, prend une place essentielle aujourd’hui. Il ne suffit pas de bien chanter, de bien rapper, il faut avoir quelque chose en plus. Tu prends Chris, Jain ou même Slimane avec son petit chapeau… Les gens ont besoin de repères comme ceux-là et la pop l’a compris aussi. Nous on se rend bien compte que le style que l’on a présenté quand on fait Destination Eurovision, cette espèce de tenue en ligne claire, distincte, on sait que ça nous a portés et on continue. Dans le rap, c’est un truc essentiel.
J-K. : Ce qui est sûr, c’est que la mode s’inspire de la rue, de l’urbain, de la scène rap, etc.
Vous préféreriez une collaboration musicale avec Trois cafés gourmands ou Bigflo et Oli ?
E : Bigflo et Oli font partie des artistes avec lesquels on voulait bosser sur notre nouvel album, mais ils sont tellement pris que ça n’a pas pu se faire.
Vous êtes plutôt NTM ou IAM ?
E. : Moi je suis plutôt NTM.
J-K. : J’ai été les deux. Mon premier concert, gamin, c’était IAM. J’avais l’impression que c’étaient des grands frères qui me parlaient. NTM, j’ai apprécié en grandissant, à l’adolescence, quand j’ai commencé à comprendre de quoi ils parlaient. Ça a résonné en moi. Ils me parlaient comme des potes.
E. : Il y avait la sagesse et la débauche, en gros, c’est un peu ça (rires).
Et plutôt Alain Souchon ou Laurent Voulzy ?
Les deux en chœur : Souchon !
E. : On aime beaucoup Voulzy, ce n’est pas la question.
J-K. : Oui c’est un excellent songwriter, mais on est davantage touchés par la poésie de Souchon mais aussi par sa bonhomie, cette espèce de décalage dandy. Il est extrêmement touchant.
E. : Il est comme un enfant perdu, qui grandit mais reste toujours aussi naïf.
Résultat du match
Le rap s’impose avec une tête d’avance, ce qui confimre l’engouement actuel pour ce genre musical. La preuve : la chanson française n’hésite plus à s’en inspirer ouvertement. De toute façon, au final, c’est toujours la musique qui gagne.