Gala du Met, «Together» sur M6... Qu'est-ce que le «camp», qui ose tous les excès dans l'art et la mode?
PHENOMENE•Le traditionnel gala du Met avait pour thème le « camp ». Encore méconnue en France, cette notion est de plus en plus accessible au grand publicFabien Randanne
L'essentiel
- Le « camp », prononcer « campe », tire son origine de la culture gay.
- Susan Sontag lui a consacré un essai et l’a, entre autres, défini comme « fondamentalement ennemi du naturel, porté vers l’artifice et l’exagération ».
- Le « camp » tend à se démocratiser. Il a été le thème du gala du Met, il influence de nombreux créateurs de mode et on trouvera un peu dans Together la nouvelle émission de talents de M6.
Lundi, le prestigieux gala du Met organisé, sous l’égide d’Anna Wintour, au Metropolitan Museum de New York, avait pour dress code le « camp ». Il y avait peu de chance que les stars invitées débarquent en sandales chaussettes et short kaki car le camp dont il est question ici, n’a rien à voir avec les matelas gonflables et les rassemblements autour du feu. Ce mot du lexique anglophone – il faut le prononcer « campe »- est certes tiré du verbe français « camper », mais au sens de « camper un personnage ».
Si ce concept, tiré de la culture gay, vous est encore complètement inconnu, vous n’allez pas tarder à vous familiariser avec lui. Ces dernières saisons, il irrigue les défilés des Fashion Weeks. Sur Netflix, il se trouve du côté de Dynastie ou de RuPaul’s Drag Race. Au festival Cannes Séries début avril, il était incarné par Now Apocalypse de Gregg Araki. Et mardi soir, il se fera une place sur M6 dans Together, un divertissement musical qui a recruté plusieurs drag-queens, transformistes et autres sosies de Céline Dion.
« Du mauvais goût théâtral assumé avec ironie »
Vous n’êtes guère plus avancé ? Essayons alors de définir ce qu’est le camp. L’auteure américaine Susan Sontag l’a formalisé dans un essai en 1964, Notes on Camp. Elle le décrit comme « fondamentalement ennemi du naturel, porté vers l’artifice et l’exagération », mais aussi comme « enjoué, à l’opposé du sérieux » même si, comme elle l’écrit, « on peut se moquer du sérieux et prendre la frivolité au sérieux ». Susan Sontag parle aussi d’« esprit d’extravagance ». « C’est du mauvais goût théâtral assumé avec ironie », résume Franck Finance-Madureira, créateur de la Queer Palm remise lors du Festival de Cannes à un film abordant les thématiques LGBT.
Attention à ne pas confondre avec le kitsch : le camp relève de la performance, de l’état d’esprit. « Arielle Dombasle ou Pierre et Gilles sont des artistes que certains qualifient de kitsch, alors qu’ils sont davantage camp. Ils assument l’excès, qui, chez eux, n’est pas fortuit mais travaillé », souligne Franck Finance-Madureira.
De Jean Cocteau à « Priscilla, folle du désert »
C’est en se penchant de plus près sur le sujet que l’on se rend compte que l’on est bien plus familier du camp qu’on ne le pense. On le déniche aussi bien dans les films de John Waters que dans le plus grand public Priscilla, folle du désert. Côté musique, il est chez Cher et Lady Gaga, voire chez Nicki Minaj et s’invite régulièrement à l’Eurovision. En France, on trouve sa trace dans Sitcom, Huit femmes ou Potiche de François Ozon mais aussi, comme l’avançait Susan Sontag, dans « la personnalité et la plupart des ouvrages de Jean Cocteau ».
« Le camp à la française, c’est quand même plus convenu et contenu, ça manque toujours un peu de folie. Les crevettes pailletées, une comédie qui sortira le 1er mai, est une tentative de camp plus franche et lâchée que ce qu’on a pu voir auparavant », nuance le créateur de la Queer Palm. Il poursuit : « En France, on a touché du doigt la démocratisation d’un esprit camp lors de la grande vague drag-queen dans les années 1990. Un phénomène dont les Sister Queen ont été le visage. »
« Premier, second ou douzième degré »
Tonya Loren, l’une des interprètes du tube Let Me Be a Drag Queen, est d’ailleurs au casting de Together que lance M6 mardi à 21 heures. Dans cette nouvelle émission, adaptée d’un format britannique, les candidats doivent convaincre cent personnalités de se lever pour chanter avec eux. Le tout dans une ambiance bon enfant qui n’exclut pas les réparties cinglantes et remarques piquantes. Autrement dit, une petite pincée de camp offerte au grand public.
« Il y a de tout dans ce jury, des gens qui sont premier degré, d’autre second ou douzième degré et c’est ça qui fait la richesse du programme », avance l’animateur Eric Antoine. Les téléspectateurs français sont-ils mûrs pour un tel mélange ? « Le public latin est en effet moins sur le deuxième degré et l’absurde, mais j’ai toujours pratiqué l’humour anglais et le non-sens et ça m’a porté bonheur », veut croire le présentateur.
Nouveau punk
Franck Finance-Madureira, lui, voit d’un bon œil que le camp puisse se démocratiser - « quand chacun peut ramener un mouvement culturel à soi, c’est intéressant, ça peut faire évoluer les choses » – mais il redoute « l’effet Pédale douce », c’est-à-dire que « l’on s’inspire de la culture camp pour en faire quelque chose de grand public qui perd toute sa nature » subversive.
Concernant Together, Bilal Hassani, se veut rassurant. « On vient tous d’horizons différents, on n’est pas représentés de manière caricaturale. Les gens vont regarder et se dire : "OK, là on a une drag, là quelqu’un qui fait du transformisme… Des personnes qui viennent d’univers variés et sont mis en lumière" », assure-t-il. « C’est un jeu, c’est une fête, c’est un hymne à la diversité, promet Eric Antoine. C’est être ensemble, du délire, du rire aux larmes. »
Gare à ne pas réduire le camp à une simple fonction divertissante. Pour la styliste Rei Kawakubo, créatrice de Comme des garçons, c’est au contraire « une valeur dont on a besoin ». « De nombreux styles, tels que le punk, ont aujourd’hui perdu leur esprit rebelle. Je pense que le camp peut exprimer quelque chose de plus profond et donner naissance au progrès », expliquait-elle l’an passé, citée par AnOther Magazine. Le camp n’est donc sans doute pas près de lever le camp.