Médine: «J’ai été pris pour un poseur de bombe alors que j’étais un démineur»
INTERVIEW•Le rappeur célèbre son dernier album au Zénith de Paris, samediPropos recueillis par Clio Weickert
L'essentiel
- Médine sera en concert au Zénith de Paris, samedi à 20h.
- Liberté d’expression, feat avec Booba et attachement au Havre, le rappeur a répondu aux questions de « 20 Minutes ».
«Coupe la tête du coq et il court toujours, le 9 février au Zénith, ce s’ra full ». Les paroles de Médine dans Kyll, son carton de l’hiver en feat avec Booba, sont on ne peut plus claires, le rappeur est loin d’avoir dit son dernier mot. Samedi, il clôturera sa tournée sur la scène du Zénith de Paris (et quelques dates jusqu’à juin), près d’un an après la sortie de son dernier album, Storyteller. Il y tournera peut-être aussi définitivement la page d’une année 2018 agitée.
En septembre, après des mois de polémique, Médine avait dû renoncer, à contrecœur, à son concert au Bataclan. « Certains groupes d’extrême-droite ont prévu d’organiser des manifestations dont le but est de diviser, n’hésitant pas à manipuler et à raviver la douleur des familles des victimes. Par respect pour ces mêmes familles et pour garantir la sécurité de mon public, les concerts ne seront pas maintenus », annonçait-il dans un communiqué. Que lui reprochait-on ? Le titre d’un de ses albums, Jihad, le plus grand combat est contre soi-même (2005), et les paroles de la chanson Don’t Laïk (2015), jugées par certains problématiques.
Quelques jours avant son Zénith, Médine est revenu, à froid, auprès de 20 Minutes sur cette polémique. Mais aussi sur l’origine de son feat et de son amitié avec Booba, son attachement au Havre et son amour pour Hook et les enfants perdus.
Que ressentez-vous avant ce concert au Zénith ?
C’est particulier, comme toutes les grosses dates parisiennes. Jouer dans la capitale, depuis le début de ma carrière, c’est toujours exceptionnel. Là, ça clôture ma tournée, il y aura des invités et je travaille le cardio différemment parce qu’il va falloir tenir un peu plus longtemps. Il y aura des morceaux de l’ancien répertoire pour essayer d’avoir quelque chose d’assez complet sur cette date. Je l’aborde un peu différemment des autres concerts de la tournée.
Est-ce que pour vous, il s’agit d’une petite revanche sur l’an dernier ?
Non parce que je n’ai pas l’esprit revanchard. Pour moi cette polémique n’avait pas lieu d’être, c’était un faux procès qui m’a été fait. Il aurait suffi que les médias vérifient leurs informations et épaississent un peu le sujet pour comprendre qu’il n’y avait pas lieu de récupérer la rhétorique de l’extrême droite et des groupuscules identitaires. C’est un non-événement. C’est dans la continuité d’un combat que je mène depuis une quinzaine d’années, d’être sceptique vis-à-vis des versions officielles, d’être critique avec les discours de repli sur soi. Pour moi cette polémique est le prolongement naturel, voire une espèce d’accréditation du sérieux de mon travail qui, justement, dénonce cet emballement, cette société du trolling, et qui stigmatise un peu plus le jeune de quartier, le musulman, le rappeur, la personne issue de l’immigration.
Est-ce que cette polémique vous a atteint, personnellement mais aussi professionnellement ?
Personnellement j’ai un très bon cadre familial, professionnellement aussi car j’ai des associés qui sont mes amis d’enfance, je suis très bien entouré. Par contre artistiquement, je me pose des questions : sur la permissivité, la liberté d’expression, la notion de subversivité… A quelles conditions pouvons-nous être subversifs ? Est-ce qu’il faut être d’une classe sociale, d’une couleur ou d’une religion en particulier ? Est-ce que j’ai le droit de me raccorder à une tradition de paroliers de la chanson française, comme Georges Brassens ? Pour moi, oui, j’en fais partie, mais j’aime bien reposer ces questions à ceux qui produisent de la stigmatisation ou de l’exclusion.
Avez-vous tendance à lisser votre discours désormais ?
Je vais mesurer davantage ce que je dis, et surtout éviter de me prendre à mes propres pièges de provocateur, – car oui je reconnais être provocateur sur certains textes. Par exemple, j’ai écrit Don’t Laïk en 2015, qui est a mon sens est un hymne à la laïcité, qui lui redonne ses lettres de noblesse, et qui pointe un dysfonctionnement. Plus personne ne sait ce qu’est la laïcité. Mon rôle d’artiste est de dire que, là, il y a peut-être un problème. J’ai fait un truc que je ne faisais pas d’habitude, du « ton sur ton » avec le clip. J’ai produit un texte provocateur, mais aussi un clip provocateur et ça a créé une incompréhension générale. J’ai joué avec des symboles, des substances explosives et ça m’a pété au visage. Ce morceau n’a pas été compris comme moi je l’avais écrit et pensé. Là j’ai eu l’impression d’être pris pour un poseur de bombe alors que j’étais un démineur.
Dernièrement, vous avez sorti un titre avec Booba, Kyll, comment est née cette chanson ?
On s’est rencontré grâce aux réseaux sociaux. Une histoire de paternité… On échangeait sur le sujet des enfants. On a fini par se rencontrer à Miami, le feeling est très bien passé, je lui ai proposé de faire un morceau et il a accepté. Dans le symbole c’est fort parce que dans l’esprit du rap français, certains nous pensaient opposés, sur le plan des idées, dans notre façon d’aborder cette musique, et au final on a tellement de points communs que ça donne un morceau profond. C’est aussi un signal de fédération, de se dire que même les antagonismes les plus éloignés dans l’esprit des gens, peuvent se réunir le temps d’un morceau.
Pourquoi se retrouver autour de Kylian Mbappé ?
Il est invoqué comme symbole dans ce morceau, de par son métissage, son origine sociale, ses origines africaines, mais aussi le fait qu’il soit un symbole français. Qu’il soit pris en exemple et qu’il ait porté la France au plus haut niveau sportif international. C’est ce qui nous stimule. Booba et moi sommes deux personnalités « sulfureuses », on a un rapport à la France différent de celui qu’on nous impose. Pour ma part, je ne me sens pas français derrière un drapeau ou un hymne national, mais je me sens français à travers la langue française. C’est comme ça que je vibre, avec la francophonie. Je réussis à moi-même m’inscrire dans une tradition à travers la langue française en raccordant Victor Hugo et PNL, Baudelaire et Booba. C’est ce que je me suis bricolé pour pouvoir m’enraciner dans ce pays.
Pourquoi avoir tourné le clip en Algérie ?
Booba était en concert à Alger et j’en ai profité pour qu’on tourne le clip là-bas, une ville forte en symboles, populaire, jeune, qui aime particulièrement le football. Il y a du rap et du foot partout à Alger, et c’était la ville la plus représentative pour illustrer le morceau Kyll.
De plus en plus de rappeurs d’origines algériennes ont du succès en France, comment se porte la scène rap en Algérie ?
Au Maghreb en général, il y a une scène très forte qui nous vient d’une jeunesse en effervescence, qui permet des croisements, des mélanges, qui donnent des styles de musique lunaires. L’un des porteurs de ce style est Soolking, il a vraiment réussi à marier des courants, le rap, le raï, des infrabasses qui nous viennent d’outre-atlantique, c’est à la fois moderne et nostalgique. Le tout donne une alchimie qui prend aux tripes et ça donne une nouvelle musique.
Vous êtes né et vous avez grandi au Havre, vous y vivez toujours, vous êtes très attaché à cette région ?
C’est une ville formidable. Elle est très poétique, sensible, Monet y venait pour peindre les plus beaux couchers de soleil de la galaxie, j’ose le dire ! Moi je m’en inspire comme une espèce de muse parce que j’ai toute mon histoire là-bas, j’y ai rencontré mon épouse, mes parents y ont grandi, dans chaque endroit j’ai une petite histoire à raconter.
Enfin, une question nous taraude, dans votre dernier album, un titre s’intitule Bangerang. Une référence au film Hook, ou rien à voir ?
Oui ! C’est un film qui m’a bercé, qui m’a influencé, et j’aime ce monde imaginaire. Je n’ai pas envie de grandir en fait, j’ai envie d’être avec Rufio, Peter et les enfants perdus, et combattre les adultes. Je trouve qu’ils sont tellement nocifs pour les enfants. Mon cri de guerre aujourd’hui c’est « Bangerang » ! Comme quelque chose qui fédère les enfants perdus.
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