Booba vs Kaaris: Et si leur brouille était la meilleure performance artistique du XXIe siècle?
ART•Bagarre, octogone, insultes, « diss tracks »… Les deux rappeurs sont peut-être en train de déployer une œuvre complexe et protéiforme…Clio Weickert
Depuis des mois, Booba et Kaaris amusent la galerie, agacent ou fascinent. La désormais célèbre « bagarre d’Orly » a connu des suites spectaculaires, se déployant dans des échanges Insta lunaires, des promesses d’octogones ou des « diss tracks » inattendus. En à peine un semestre, les deux rappeurs ont réussi à mettre en scène une banale querelle (qui a tout de même vu le jour dans un duty free à coups de flacons d’Allure Homme), en un spectacle multimédia, créant sans cesse de nouveaux rebondissements, et en tenant en haleine même « ceux qui n’en ont rien à carrer de Booba et Kaaris ». Par ailleurs, notons que l’expression « régler ses comptes dans un octogone sans arbitre sans règles » est en passe d’intégrer le langage courant (essayez à la machine à café pour voir).
Et si à défaut d’un hypothétique combat, Kaaris et Booba avaient réussi le coup artistique du siècle ? Alors que de nombreux parisiens tentent d’éclaircir le mystère DAU et paient une fortune pour visiter le « Loft Story » stalinien de l’artiste russe Ilya Khrzhanovsky, les deux rappeurs cachent peut-être derrière leurs chamailleries une performance inédite. Une œuvre (totale ?) complexe et protéiforme, qui interroge, irrite ou bouleverse.
Une création à part entière ?
Si les rappeurs ont l’habitude de brouiller les pistes entre le personnage de leurs chansons et leur personnalité réelle, Kaaris et Booba vont encore plus loin. Leur querelle alimente ainsi leurs nouvelles chansons. « Tu f’sais du cheval quand je rêvais d’avoir un VTT/Tous à l’hôpital, demandez au 92iTT », balance le rappeur dans le titre Octogone, dévoilé ce mardi. Un « diss track » (un titre règlement de comptes, comme le J’t’emmerde de MC Jean Gab’1 par exemple) révélé par surprise quelques jours après la sortie de son album, et faisant directement référence à son inimitié avec B2O ( selon sa soeur, Booba avait un cheval quand il était petit). Sans oublier les nombreuses allusions à la baston d’Orly dans Or Noir 3, sorti vendredi dernier.
Si les duels n’ont rien de nouveau dans le rap (et dans l’art en général), ce nouveau titre prouve à quel point il est désormais difficile de dissocier K2A de Booba. De même, ce dernier a lui-même fait référence à son meilleur ennemi dans la chanson PGP, mise en ligne la semaine dernière (des paroles à découvrir par ici parce qu’il y a trop de gros mots). La bagarre d’Orly est devenue un motif incontournable dans les compositions des deux artistes. On ne peut comprendre leurs paroles qu’en aillant suivant l’actualité de leur querelle, et vice versa.
Une sublime mascarade ?
Nombre d’entre vous voient dans cette affaire et ses péripéties - convoquant Cyril Hanouna, Instagram, Bruxelles et le free fight - un ramassis d’âneries ultra-médiatisé (oui, on lit vos commentaires sous nos articles, parfois). On peut cependant y déceler un festival de l’absurde qui touche au sublime. D’un strict point de vue scénaristique, la bagarre d’Orly et l’organisation de l’octogone questionnent l’usage de la violence, et la violence qui réside en chacun d’entre nous. Les correcteurs du Bac de philo 2019 pourraient bien voir surgir des analogies entre Hobbes et Booba vs Kaaris dans les copies.
On peut ainsi imaginer que tout ceci n’est qu’une belle mascarade, une allégorie platonicienne (avec l’octogone à la place de la caverne), une splendide mise en abyme sur les affres de la condition humaine des rappeurs.
Imaginons.
A leur sortie de prison, ressassant sans cesse leur dispute, B2O et K2A décident de se donner rendez-vous en secret, afin de terminer le travail. Mais pris d’une nostalgie soudaine, les deux anciens copains crèvent l’abcès, passent la soirée ensemble et sur un coup de folie, projettent de préparer un album commun pour fin 2019. Ayant remarqué que leur guéguerre suscite un intérêt certain, ils décident de se marrer un peu en attendant, pour faire passer le temps (les jours sont parfois longs à Miami). Dépassés par l’ampleur que prend l’affaire (Kaaris n’en revient toujours pas que « l’octogone sans arbitre sans règles » soit passé crème), et l’emballement frénétique des médias, ils décident de monter une comédie musicale, et se lancent dans l’écriture d’un biopic sur leurs destins croisés.
On a hâte.
Et si un autre papier « et si ? », vous intéresse, 20 Minutes s’est aussi demandé (oui on se pose beaucoup de questions), si le dernier album de Kaaris n'était pas en fait une déclaration d'amitié à Booba.