L'accordéon n'est un instrument ringard et franchouillard que du point de vue français
MUSIQUE•Le décès de Marcel Azzola rappelle que cet instrument, loin des bals musette français, s'intègre à de multiples styles musicaux, comme le jazz...Marie-Laëtitia Sibille
«Chauffe Marcel ! » La mort de Marcel Azzola, lundi, grand « monsieur » de l’accordéon, qui a donné en France un souffle nouveau à l’instrument en l’emmenant vers le jazz - avec des arrangements pour des standards comme All the Things You Are -, a rappelé à quel point celui-ci est méconnu.
Depuis un siècle, avec l’élection de Valéry Giscard d'Estaing en point d'orgue, l’accordéon est indissociablement associé à la France, presqu’autant que la tour Eiffel et la baguette. Pour les étrangers, il est synonyme de « fêtes parisiennes ». Dans son ouvrage L’Accordéon, Pierre Monichon évoque ainsi « les guinguettes, les salles de bal où les couples tournent au son d’un petit orchestre. De nos jours, le mot évoque aussi tout un pan de la Belle Epoque, son insouciance, son air de liberté. »
Du romantisme aussi
Dans les années 1950-60, la chanson française, avec Piaf et Aznavour, était accompagnée d'accordéon, avec un son particulier, le « son de Paris », le son musette. L’instrument s'est ainsi trouvé associé à notre pays. Pourtant, à l’origine, l’accordéon n’est pas français. Né à Vienne en 1829, en pleine époque romantique, il était alors le jouet des dames dans les salons bourgeois : son pouvoir expressif y faisait fureur. Loin de l’image légère qu’on lui attribue aujourd’hui, donc. La France n’a par ailleurs pas l’exclusivité sur l’accordéon.
Parmi les pays qui le symbolisent, on trouve aussi l’Argentine, où existe une grande richesse musicale autour de cet instrument : dans le tango, avec le bandonéon, mais aussi dans la cumbia, le chamamé… L’accordéon y est arrivé avec la colonisation, dans les valises des Italiens, des Espagnols, des Français. A l’époque, il n’était pas si gros qu’aujourd’hui et se transportait facilement.
Elvis et les Stones
A ceux qui trouvent l’instrument ringard et franchouillard malgré tout, on peut rétorquer que Elvis Presley, Aerosmith ou les Rolling Stones ont tous taté de l’accordéon au moins une fois dans leur carrière. En effet, un accordéon peut évoluer sur divers registres selon le nombre de lames qui jouent, et la façon d'accorder ces lames entre elles. On peut ainsi obtenir un son « américain », ou le son « swing ». Dans les années 1930 déjà, Gus Viseur et Tony Murena donnaient tous deux une touche swing à leurs interprétations.
« Avec l’import du swing, la France voit apparaître le jazz manouche, mélange de fast-swing, de musique gitane, de musette et chanson française. C’est l’époque où émergent des jazzmen français tels que Stéphane Grapelli, ou Django Reinhardt, que l’on verra parfois accompagné par Gus Viseur, le pionnier de l’accordéon jazz », explique Maxime Perrin, accordéoniste, qui donne des cours de cet instrument mêlé à du jazz et de l’improvisation, pour « aller chercher au plus profond de soi. »
D’autres enfin vont tenter de réconcilier l’accordéon avec les musiciens classiques : André Astier, Joss Baselli, Joe Rossi et Marcel Azzolla. Richard Galliano, l’inventeur du « new musette », a souvent rendu hommage au jazz cosmopolite d’Astor Piazzolla.
Une fois que l'on quitte ce contexte français spécifique, l'accordéon (ou branle-poumons, boîte à chagrin, soufflet à punaises, dépliant, calculette prétentieuse, boîte à soufflets, boîte du diable…), retrouve donc ses lettres de noblesse. Mais comme le piano à bretelles reste dans le cœur des Français, on ne peut s’empêcher de finir sur un air de Claudio Capéo.