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Les Youtubeurs passent par la case «cagnotte» pour produire leurs vidéos

Les Youtubeurs passent par la case «cagnotte» pour leurs vidéos et sortent du diktat des vues

YOUTUBEURDe nombreux vidéastes, adeptes de format long et ayant soif de liberté artistique, ne se retrouvent plus dans le marché économique de YouTube, encore basé sur le nombre de vues, et ont créé une économie parallèle basée sur le financement participatif…
Jean-Loup Delmas

Jean-Loup Delmas

L'essentiel

  • Le modèle de rémunération « classique » sur YouTube se base sur le nombre de vues engendrées par les vidéos.
  • Un modèle jugé inadéquat pour de nombreux Youtubeurs.
  • Ces derniers se sont lancés dans le financement participatif pour réaliser leur projet.

Bien avant les débats enflammés sur les cagnottes de boxeur et les Leetchi de policiers, de nombreux vidéastes sur Youtube se lançaient dans les levées de fonds parmi leurs communautés. Le but ? Sortir du diktat des vues et pouvoir faire des vidéos bien plus libres artistiquement et moins portées sur l’audience.

De base, la rémunération sur la plateforme fonctionne selon le schéma suivant. Une vidéo YouTube fait un certain nombre de vues, qui génèrent elles-mêmes plus ou moins de publicités avant ou pendant la vidéo. Et c’est ce nombre de publicités regardées qui rémunère le Youtubeur.

Oubliez l’idée populaire « un euro les mille vues », légèrement trop simpliste et ne prenant pas assez d’éléments en compte (le cours de l’euro versus le dollar, les rémunérations qui peuvent varier selon la saison ou AdBlock, bloqueur de publicités qui forcément fait mal à YouTube).

Les vues pas assez rentables

Retenons simplement pour ce passage de macro-économie 2.0 qu’il faut générer beaucoup, mais alors beaucoup de vues YouTube pour être viable économiquement. Des chiffres indécents que même des vidéastes avec de grosses communautés de fans ne parviennent pas à atteindre.

Prenons Nexus VI par exemple, une superbe chaîne YouTube traitant de la science-fiction (et bordel, si vous ne connaissez pas déjà, foncez). Le groupe compte quelque 160.000 abonnés (ah c’est sûr que vos 300 followers Twitter font pâle figure à côté). Pourtant quand on interroge le Capitaine, personnage iconique de leurs vidéos, ce n’est pas la folie niveau revenu : « On doit toucher 150-300 euros par mois grâce aux vues, pas plus. » Loin de suffire pour nourrir la nombreuse équipe de tournage, surtout quand le café où on l’interroge est facturé cinq euros.

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Dès lors, comment pouvoir continuer la production de ces monster-épisodes au budget pharaonique à grands coups (et gros coûts) de décors, d’effets spéciaux et de mise en scène ? Cet été, Nexus VI a fait une levée de fonds pour le financement de nouveaux épisodes sur KissKissBankBank plateforme de financement participatif. Les 100.000 euros récoltés, pour une moyenne de cinquante balles par donateur, permettront la mise sur pied de trois nouveaux épisodes.

Le financement et la fin d’un tabou

Pourtant, rémunérer des Youtubeurs n’a pas toujours été une évidence. Vincent Manilève, journaliste et auteur du livre YouTube, derrière les écrans revient sur une époque pas si lointaine : « Il y a encore quelques années, il était très mal vu de demander de l’argent sur YouTube, car la plate-forme était basée sur le contenu gratuit. Mais pour beaucoup d’abonnés, donner un peu d’argent à un vidéaste est devenu de plus en plus normal. C’est d’autant plus vital et répandu avec la nouvelle politique de monétisation de YouTube il y a un an, qui a entraîné une grosse baisse des revenus par les vues. »

Sur Internet plus qu’ailleurs, les choses vont vite, et le procédé s’est fortement démocratisé. Au grand soulagement de pas mal de vidéastes, qui auraient dû mettre la clé de leur chaîne sous la porte sans le soutien financier de leur communauté. C’est notamment le cas de Manon Bril, auteure de la chaîne C'est une autre histoire, qui fait de la vulgarisation… historique, notamment autour de la mythologie, dans ses vidéos qui ont attiré 170.000 abonnés férus de récits antiques et épiques (et bordel, si vous ne connaissez pas déjà, foncez aussi). Insuffisant pour ne compter que sur leurs clics. « La monétisation par vue ne me rapporte presque rien, et sans le financement participatif, je ne pourrais clairement pas faire de contenu aussi développé. Je devrais également avoir un travail en complément, et je n’aurai peut-être pas eu la motivation pour faire les deux très longtemps. »

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Du coup, comme beaucoup de Youtubeurs, elle a lancé un Tipee, une plate-forme permettant à ses abonnés de la rémunérer un peu chaque mois, sur le mode du pourboire. C’est ainsi que 420 fidèles lui versent une sorte de salaire tous les mois. Une aide financière utilisée par beaucoup de Youtubeurs, qui ne disposent pas de communautés gigantesques (bon, on parle quand même dans le cas de Manon Bril de remplir deux fois Stade de France), mais qui présentent des fans capables de financer un peu les vidéos qu’ils regardent.

Tu seras un créateur libre, mon fils

Dès le départ, Nexus VI a fait ce pari. Des épisodes rares mais extrêmement travaillés (leur toute première vidéo est d’ailleurs un modèle de professionnalisme), pour ne pas entrer « dans la course à l’audience », comme la nomme le Capitaine et faire le pari du qualitatif. « L’idée, c’est que les abonnés qui participent économiquement à notre production savent où ils mettent leur argent, et qu’ils investissent pour notre travail et le soin qu’on porte à notre réalisation. Mais avant de demander cet argent, on a d’abord fait nos preuves. » Pas un hasard si leur KissKissBankBank est un modèle de transparence, précisant à quoi servira chaque euro investi.

Mais pour le Capitaine, aux ambitions artistiques assez démentielles, la question va bien au-delà du coût brut de réalisation : « Il s’agit de reprendre le pouvoir et le redonner aux gens. Le financement participatif nous offre une liberté de ton total et une création libre, on peut aller plus loin qu’avec la monétisation YouTube, beaucoup plus restrictive, à qui il peut arriver de bloquer les revenus à la moindre insulte ou sujet tendu. »

S’il est plus viable financièrement, le modèle participatif permet surtout une liberté accrue, loin du carcan qu’impose la monétisation par vue. Laurence Allard, maître de conférences en pratiques expressives digitales, ne dit pas autre chose : « YouTube est passé du total amateurisme à une économie professionnelle, donc industrialisée et standardisée. Les vidéos qui fonctionnent le mieux se ressemblent toutes, créant un cercle vicieux où les autres, en tentant de les imiter en quête de succès, reproduisent les mêmes vidéos encore et encore. Pour sortir du moule, il vaut mieux passer par un autre modèle économique que celui de base sur YouTube. »

S’il te plaît, dépeins-moi un YouTube

Et ça, les vidéastes l’ont bien compris. Notamment François Theurel, connu sur YouTube comme le légendaire Fossoyeur de films, 700.000 abonnés et un Tipee à son actif, qui vient de finir sa longue quête de six ans à la recherche du film de genre ultime (et bordel, si vous ne connaissez pas non plus, foncez). Son analyse du monde de YouTube est aussi pertinente que celles de ses après-séances : « YouTube favorise une production à la chaîne, où on consomme des vidéos comme un fast-food : à peine digérées qu’elles sont oubliées. C’est bien sûr frustrant de voir YouTube faire ressortir des contenus de masse sans personnalité. Pour les vidéastes qui ont plus d’ambition artistique que cela, il faut passer par d’autres alternatives. »

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On revient vers notre temple du savoir Youtubesque, Vincent Manilève, qui dresse le portrait du paysage actuel, où on peut caricaturer les vidéastes qui marchent en trois catégories. Grosso modo, les monstres sacrés Squeezie, Cyprien, Norman qui, forts des foules qu’ils drainent (plus de dix millions d’abonnés chacun), « peuvent faire à peu près ce qu’ils veulent, cela marchera. Ensuite, il y a ceux qui font le jeu de YouTube et acceptent pleinement ses règles pour maximiser leurs vues, suivant les tendances. En ce moment, ce qui marche le mieux, ce sont les vidéos entre potes, et on voit ça poper de partout. Enfin, les indépendants, qui drainent moins de vues mais ont une communauté plus active financièrement », dépeint le journaliste-écrivain.

Se faire plaisir sur ses vidéos

Léo Grasset, alias Dirty Biology, est de ceux-là. Sa chaîne propose des sujets de sciences crades ou rigolos, pour montrer que la biologie ce n’est pas que des jolies cellules bien rangées (et bordel, si vous ne connaissez pas déjà… Bon il serait temps de vous questionner sur vos choix YouTube non ?). Malgré ses plus de 700.000 abonnés, il ne cherche plus la course à l’audience. La monétisation par vue ne présente qu’entre 15 et 25 % de ses revenus. « J’ai très vite cherché à sortir de la contrainte de la monétisation YouTube pour ne plus avoir cette logique des vues. J’ai fait plusieurs vidéos dont je savais très bien qu’elles allaient faire peu d’audience, ou être démonétisées. Liberté, à fond. »

Notamment évoquée, une vidéo d’une demi-heure à Madagascar, et qui n’a fait « que » 350.000 vues, loin des créations les plus populaires de la chaîne qui frôlent ou dépassent le million. Un résultat qui ne le surprend pas plus que cela ne l’attriste : « Bien sûr que ça peut être blasant de se dire “merde cette vidéo j’y ai passé 2 jours et elle fait 3 fois plus de vues/d’argent que ce projet vidéo qui me tient à cœur et qui m’a pris 2 mois”, mais après il faut se rappeler que les gens s’en foutent du temps qu’on a passé sur un truc, tout ce qui compte c’est le résultat et si ça colle avec ce que eux viennent chercher sur la plateforme. Rien d’anormal. »

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Se remémorant cette vidéo, mais aussi d’autres qui lui tiennent particulièrement à cœur, il poursuit : « Je pense que le nombre de vues est de toute façon une mauvaise métrique. Certaines vidéos que j’ai faites, je les ai faites pour moi, et très honnêtement ce que peuvent en penser les 400.000 personnes qui les ont vues… Je m’en tape complètement (rires). Évidemment c’est cool si les gens les regardent, on le partage quand même publiquement, mais ça me paraît important de définir aussi quel est l’objectif de chaque projet. »

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Liberté de ton et affranchissement de YouTube

Ne pas compter sur les vues permet également d’éviter les mauvaises surprises, comme les changements tarifaires dans les publicités et les vidéos démonétisées pour une insulte ou un sujet trop touchy pour les annonceurs. Laurence Allard métaphorise le tout : « Être rémunéré par YouTube, c’est comme être comédien et monter sur une scène où les lumières peuvent s’éteindre à tout moment et les planches s’effondrer. Les vidéastes ne maîtrisent rien de la rémunération par YouTube, qui peut changer à tout moment - et elle ne se prive pas de le faire. »

Du coup, Manon Bril se fait plaisir niveau absence de contrainte : « Je ne me suis jamais souciée des codes à respecter ou non pour la monétisation, vu qu’elle ne me rapporte presque rien. Et rien ne m’empêche de parler comme j’ai envie ou de ce dont j’ai envie. »

Si ce paiement participatif est entré dans les mœurs, certains clichés ont la vie dure. Youtube-Money, payé pour faire des podcasts dans sa chambre, millionnaire en bossant cinq minutes par jour, vous connaissez les refrains. « Notre rôle, c’est aussi de déconstruire l’image du Youtubeur dans sa chambre qui se filme en une prise, appuie le Capitaine de Nexus VI. Peu à peu, les gens comprennent que toute production artistique demande financement. »

On laisse François Theurel, doyen des vidéastes interrogés, conclure : « Certains rares commentaires vont même nous reprocher la qualité de production de nos vidéos, disant que ce n’est pas “l’esprit YouTube”, censé être et rester amateur. Mais YouTube est en constante diversification, il n’est pas monolithique, et il y aura toujours de place pour les vidéos amateur dans sa chambre ou pour les vidéos contenus de masse. Nous nous sommes simplement créé une place aussi sur ce média. »