Un an sans Johnny Hallyday: Les Français sont-ils devenus experts en droit de succession?
DEUIL•Trust, testament américain, compétence de tribunal… Le feuilleton autour de l’héritage du chanteur, disputé entre Laeticia Hallyday et ses deux premiers enfants, a permis de se familiariser avec de nombreux concepts…Benjamin Chapon
L'essentiel
- Il y a un an, la France perdait son idole. « 20 Minutes » explore la manière dont le pays fait son deuil de Johnny Hallyday dans une série d’articles.
- Peu de temps après sa mort, c’est le testament et l’héritage de Johnny Hallyday qui ont fait l’actualité.
- La bataille juridique entre Laeticia Hallyday et les deux premiers enfants de Johnny a donné lieu à un feuilleton médiatique qui a permis de comprendre certains rouages de droit international.
«Ben là ils ont gelé. Il y a eu un référé… C’est normal parce que tant que le tribunal n’a pas statué sur sa compétence pour juger de la validité du testament, ils sont bloqués. - Ben ouais, c’est clair. » Cette conversation n’avait pas lieu au bar Les Deux Palais, repère d’avocats, mais dans un anonyme troquet parisien, avec le journal ouvert sur le zinc à la page des sports et le café qui fume.
Depuis plusieurs mois, la famille de Johnny Hallyday se déchire. En jeu, l’héritage du chanteur qui a choisi, dans son testament établi selon la loi californienne, de ne rien léguer à ses deux premiers enfants, Laura Smet et David Hallyday. La bataille judiciaire qui s’est ensuivie, et est toujours en cours, a au moins eu le mérite de familiariser les Français avec quelques notions de droit. « On a entendu parler de droit international, c’est assez rare », note Pierre Hourcade, avocat aux barreaux de Californie, New York et Paris.
« Les magistrats répugnent à dire qu’ils ne sont pas compétents »
Parmi les concepts que les suiveurs de l’affaire Hallyday ont pu appréhender, il y a cette histoire de « compétence » du tribunal. « En droit international, quand il y a un conflit entre la loi française et la loi d’un autre pays, il est fréquent que la première étape soit de déterminer si le tribunal français est compétent, précise Pierre Hourcade. On n’utilise pas le terme de "juridiction" qui est un anglicisme, on parle bien de "compétence". Les magistrats répugnent à dire qu’ils ne sont pas compétents… »
L’audience durant laquelle le tribunal de Nanterre décidera de sa compétence est fixée au 22 mars 2019. « Mais le tribunal de Nanterre peut très bien dire qu’il est compétent sur ce dossier mais décider d’appliquer le droit californien, jugeant que le testament américain a été fait en bonne et due forme », prévient l’avocat. Car ce qui fait le sel de cette affaire, c’est qu’elle est à cheval sur deux continents et deux conceptions très différentes du droit.
« C’est un choc juridique et culturel »
Certains Français ont ainsi découvert qu’il était possible de déshériter ses enfants aux Etats-Unis, mais aussi d’hériter en Amérique quand on est Français… « En droit français, la réserve héréditaire garantie les trois-quarts du patrimoine du défunt aux enfants, à parts égales, rappelle Pierre Hourcade. Mais aux États-Unis, on fait ce qu’on veut dans son testament, c’est la liberté absolue. Cette affaire, c’est un choc juridique et culturel. Ce principe de droit français est presque millénaire. On peut se demander pourquoi il est encore en vigueur mais il a aussi pour fonction de protéger les enfants. »
Là où ça se corse, c’est que le tribunal français, de Nanterre en l’occurrence, pourrait donc choisir d’appliquer le droit californien « tant qu’il n’est pas contraire à l’ordre public international », explique Pierre Hourcade. Si tel est le cas, l’affaire s’arrêtera là. Sinon, le feuilleton continuera. Très longtemps… « Après le jugement, il y aura les recours. Imaginons que Laura et David obtiennent un beau jugement en leur faveur, il faudra ensuite qu’ils aillent le faire valoir aux Etats-Unis. Et pour faire sortir de l’argent d’un trust, bon courage… C’est presque impossible. »
« Un ovni pour le droit français »
Et oui, parce qu’en plus des questions d’héritage et de compétence de tribunal, l’affaire Johnny a aussi l’occasion d’entendre parler de trust et de trustee. « Un trust est un ovni pour le droit français, explique Pierre Hourcade. Il s’agit d’une entité juridique destinée à recevoir des biens. En somme, c’est un coffre-fort. Un trust est géré par un trustee au bénéfice d’un tiers. C’est tout à fait légal, ce n’est pas de l’évasion fiscale, même si le fonctionnement d’un trust est très opaque. » L’avocat constate d’ailleurs que la première procédure de l’affaire a été un référé, (tiens, tiens, encore un concept juridique rendu populaire grâce à Johnny), c’est-à-dire une procédure en urgence, pour que les droits de Johnny ne soient plus versés au trust : « Ce qui a motivé ce référé, c’est précisément que si l’argent intègre le trust, il y a de grandes chances que personne, à part les bénéficiaires du trust, ne le revoit jamais. »
Si Pierre Hourcade ne préfère pas se prononcer sur une possible issue du procès, l’un de ses collègues se mouille un peu plus, quoique anonymement : « Tout est en place pour qu’un accord soit trouvé. Chaque partie a beaucoup à perdre et pas grand-chose à gagner. La démission du trustee, en l’occurrence Bank of America, complique les choses parce qu’il va falloir trouver un nouveau trustee, une personne morale au capital suffisant pour gérer ce trust, en somme une autre grande banque internationale, qui soit d’accord pour s’embarquer dans une succession de procédures très coûteuses en France et en Californie. Il y a de fortes chances que ce trustee accepte à condition qu’un accord préalable soit trouvé. De leur côté, Laura et David ne peuvent remporter qu’une victoire symbolique en justice. Et encore, dans de longs mois, mais ne toucheront pas de grosses parts d’héritage puisque l’essentiel du patrimoine est à l’abri, dans le trust. »
En attendant un tel dénouement, les Français auront à nouveau rendez-vous au tribunal pour suivre le feuilleton, et prendre quelques cours de droit au passage.