INTERVIEW«Les héros de Stan Lee sont plus proches des lecteurs»

VIDEO. «Stan Lee a rendu les super-héros plus proches des préoccupations de ses lecteurs»

INTERVIEWAuteur d’une biographie de Stan Lee, le Français Jean-Marc Lainé explique à « 20 Minutes » en quoi le co-créateur de Spider-Man et des X-men a révolutionné le milieu des super-héros en les rendant plus humains…
Olivier Mimran

Propos recueillis par Olivier Mimran

L'essentiel

  • Stan Lee, cocréateur de Spider-Man et des X-Men Stan Lee est décédé dans la nuit du 13 novembre.
  • Auteur d'une biographie de Stan Lee, le Français Jean-Marc Lainé explique à « 20 Minutes » en quoi le co-créateur de Spiderman et des X-men était un auteur unique.
  • Stan Lee a été le premier à créer un modèle nouveau de super-héros imparfaits et il a intégré dans ses histoires des ingrédients de comédie romantique et de soap opéra.

On commence à peine, quelques heures après la disparition de l'auteur américain Stanley Martin Lieber - dit Stan Lee -, à réaliser à quel point sa plume inventive et son audace scénaristique ont révolutionné l’industrie du comic-book. Et parce que tout le monde convient qu’il y aura un « après Stan Lee », 20 Minutes a demandé au scénariste français Jean-Marc Lainé, auteur en 2016 de la biographie Stan Lee, Homère du XXe siècle, de nous rappeler ce qui fit le succès et la particularité du maître disparu…

Selon vous, en quoi Stan Lee a-t-il révolutionné l’industrie du comics ?

Jean-Marc Lainé : En imposant, dès ses débuts (dans les années 1950), un nouveau modèle de héros : à l’époque, les super-héros américains étaient des personnages droits dans leurs bottes, avaient une apparence impeccable et étaient sans problèmes physiques, financiers, de morale etc. Stan Lee, lui, a donné un coup de pied dans la fourmilière en créant un modèle de super-héros faillibles, susceptibles d’être virés de leur appartement parce qu’ils ne payent pas régulièrement leur loyer (comme Peter Parker, alias Spider-Man), affligés de handicaps physiques (Matt Murdock/Daredevil est aveugle, Tony Stark/Iron Man a un problème cardiaque)… Bref, des héros imparfaits mais des héros quand même !

Ses super-héros étaient donc plus humains, finalement ?

Absolument. Mais je pense qu’il s’est aussi distingué en mélangeant le récit de super-héros avec d’autres genres, notamment la comédie romantique, le soap opera d’une certaine manière. Ça non plus ne se faisait pas dans l’industrie du comics à l’époque ! Par exemple, Clark Kent/Superman - le grand rival de DC Comics - était amoureux de Lois Lane, qui le lui rendait bien, mais aucun des deux n’aurait jamais déclaré sa flamme. Stan Lee a utilisé les mêmes concepts de passion inavouée, de triangles amoureux, etc. Et il les a « poussés » plus loin : dans les Quatre Fantastiques, par exemple, surviennent des fiancailles, un mariage puis une naissance ; dans Spider-Man, Peter Parker passera du lycée à la fac et n’y vivra pas les mêmes émois amoureux.


Cette humanisation est vraiment une intention de Stan Lee car son patron de l’époque, Martin Goodman, voulait plutôt réexploiter ou s’inspirer des super-héros des années 1940 (Captain America, Namor etc). Alors qu’on sait que dans ses productions des années 1950 - Stan Lee a scénarisé des westerns, des soap operas -, lui aimait que ses personnages vivent des drames, aient des chagrins, soit rejetés ; bref, il tenait à ce que ses personnages soient plus « proches » des préoccupations quotidiennes de ses lecteurs.

Ça aurait pu n’être qu’un effet de mode, mais la recette dure toujours !

Oui. Et je pense que cette longévité du succès des créations de Stan Lee tient d’abord au fait que les adolescents qui les ont découvertes, au début dans années 1960, leur sont restés fidèles. Et ça, c’est d’abord parce qu’ils ont pu, comme je l’ai expliqué précédemment, s’identifier à leurs héros favoris.

Et puis il y a aussi eu un phénomène de fascination par les acteurs de la contre-culture des années 1960/70, qui appréciaient le fait que des super-héros soient aussi aux prises avec les difficultés - matérielles, raciales, etc. - de la société américaine de l’époque. Tout faisait écho au quotidien des lecteurs. D’ailleurs, et ce n’est pas qu’anecdotique, Stan Lee demandait à ses dessinateurs d’habiller leurs héros, dans le civil, avec des vêtements alors à la mode ; donc quelque part, Marvel a occupé, grâce à Stan Lee, une position progressiste auprès de ses lecteurs, là ou DC, le grand rival, apparaissait plus conservateur avec Superman et Batman.

Quels sont, pour vous, les scénaristes actuels les plus « proches » de Stan Lee ?

Son influence est énormissime sur TOUS les acteurs du comics contemporain. Mais je pense que deux ou trois scénaristes sont vraiment très proches, à leur manière et avec leurs propres personnalités, du génie de Stan Lee. Au premier rang desquels Brian Michael Bendis, notamment avec sa reprise de Superman qui « équilibre » les actions super-héroïques et les actions civiles ; Ou Dan Slott, qui scénarise Les Quatre Fantastiques et Iron-Man et qui parvient à jouer sur la continuité sans rien jeter. En ce sens, c’est un vrai héritier de Stan Lee qui conservait tous les concepts existants - ennemis, alliés, personnages secondaires du récit - pour mieux les réinventer.


Et comment imaginez-vous « l’après Stan Lee » ?

Il n’écrivait plus régulièrement depuis plus de trente-cinq ans, donc le monde du comics ne va pas se trouver bouleversé - formellement, en tout cas - par sa disparition. En revanche, les éditeurs et les lecteurs ont incontestablement perdu une figure tutélaire. Plus que l’un des pères de l’univers Marvel, Stan Lee en était plutôt le parrain dans le sens ou il a adoubé, par la plume, les super-héros qu’il a animés (y compris ceux qu’il n’avait pas lui-même créés) ; mais aussi un parrain au sens mafieux du terme (rires), c’est-à-dire celui qui s’asseyait en bout de table et sans l’accord de qui rien n’était possible. Il a tellement été l’auteur fédérateur des années 1960 à 1990 chez Marvel qu’on le pensait immortel et que même si elle était prévisible, sa disparition va durablement influencer le monde du comics. Comment ? On verra bien…

« Stan Lee, Homère du XXe siècle », de Jean-Marc Lainé - éditions Fantask + Huginn & Muninn - 25 euros