VIDEO. Restitution des œuvres d'art africaines : «Les musées ont la responsabilité des œuvres qu’ils conservent»
INTERVIEW•Aurélien Gaborit, commissaire de l’exposition « Madagascar, arts de la grande île » et responsable des collections africaines au musée du Quai Branly, réagit à la question des restitutions d’œuvres aux pays africains…Benjamin Chapon
Alors qu’Emmanuel Macron a demandé à deux experts du sujet, Bénédicte Savoy et Felwine Sarr, un rapport sur la mise en œuvre du retour, dans leurs pays d’origine, d’œuvres d’art africaines conservées dans les musées français, le musée du Quai Branly propose une grande exposition sur l’art de Madagascar.
Dans le même temps, France 3 diffuse, mercredi soir (23h30), une soirée documentaire dans le cadre de son magazine Avenue de l’Europe qui reviendra, au travers d’exemples européens, sur la question des restitutions d’œuvres d’art aux pays colonisés.
Aurélien Gaborit, historien de l’art, responsable des collections africaines du musée et commissaire de l’exposition au musée du Quai Branly, revient, pour 20 Minutes sur le débat autour de la restitution d’œuvres pillées ou spoliées.
Le musée du quai Branly est-il favorable à un retour d’œuvres d’art africaines dans leurs pays d’origine ?
Oui, bien sûr. La mission actuelle de Bénédicte Savoy et Felwine Sarr étudie précisément les conditions qui rendront ces mouvements d’œuvres possibles.
Le musée du quai Branly a déjà été confronté à des demandes de restitution ?
Oui mais chaque demande est un cas à part parce que chaque œuvre a un contexte unique. Certaines restitutions ont été rendues possible par le vote d’une loi, d’autres, comme celle émanant du Bénin et dans le cadre de laquelle le président Emmanuel Macron s’est engagé, est encore à l’état d’étude.
Outre la loi, qui rend inaliénable les œuvres d’art conservées par les musées nationaux, quels sont les obstacles à des restitutions massives ?
Les obstacles sont de différentes natures mais toutes rejoignent une considération principale : la bonne conservation des œuvres. Les musées ont la responsabilité des œuvres qu’ils conservent. Nous sommes, bien évidemment, favorables à ce que les œuvres qui font l’objet d’une demande de restitution puissent être exposées dans leurs pays d’origine. Nous travaillons régulièrement en coopération avec des institutions africaines pour créer des partenariats scientifiques et techniques pour les aider à accueillir des œuvres.
Les musées français sont parfois accusés de s’opposer frontalement à ces demandes.
Il y a beaucoup de fantasmes autour de ces demandes de restitution qui sont, en réalité, très peu nombreuses. Les musées français ont désormais des politiques strictes sur l’acquisition des œuvres dont le parcours et l’origine sont scrupuleusement étudiés. Nous n’achetons pas d’œuvres dont le contexte est litigieux, comme les œuvres issues de pillages, de spoliation ou de butin de guerre, identifiées comme telles. Pour les œuvres dont nous avons "hérité" et dont le statut légitime un potentiel retour dans leur pays d’origine, et que fait l’objet d’une demande du pays, nous favorisons systématiquement une collaboration.
Concernant l’exposition Madagascar, certaines œuvres présentées font-elles l’objet d’une demande de restitution ?
Non. Pour cette exposition, outre des œuvres de nos collections, nous avons des prêts venus du Metropolitan de New York aussi bien que du musée des Confluences à Lyon, et bien sûr du musée d’art et d’archéologie d’Antananarivo. Nous travaillons avec les musées de Madagascar et on espère trouver des accords d’échanges d’œuvres dès que l’élection présidentielle sera achevée là-bas. Les politiques y ont des priorités. Madagascar est l’un des pays les plus pauvres du monde. Le patrimoine passe donc après beaucoup de choses. Mais il y a à Madagascar, dix fois moins de touristes qu’à la Réunion. L’île est connue pour son patrimoine naturel mais il est menacé. Voilà pourquoi le pays songe à mettre en avant son patrimoine culturel pour promouvoir le tourisme.
On imagine très bien pourquoi les pays africains demandent la restitution d’œuvres d’art pillées ou issues de butin de guerres coloniales. Mais pour quelle raison les musées français peuvent-ils légitimement s’y opposer ?
Pour une question de responsabilité vis-à-vis d’œuvres uniques au monde, précieuses et fragiles, d’abord. Mais la question est plus large. Pour l’exposition Madagascar par exemple, il s’agit de la première de cette ampleur depuis 1946. Depuis les années 1960, il y a une idée reçue selon laquelle l’art de Madagascar serait un sous-produit des arts africains ou asiatiques. Or c’est un art singulier que trop peu de gens connaissent. Cette exposition se veut une porte d’entrée, une découverte de l’art plutôt que l’aspect anthropologique. Cette exposition est utile.