INTERVIEW«Avoir peur des sorcières, c’est avoir peur de la féminité»

Reboot de «Charmed»: «Avoir peur des sorcières, c’est avoir peur de la féminité»

INTERVIEWPour ses 20 ans, la série culte «Charmed» aura son reboot, de même que «Sabrina» et «Buffy contre les vampires». Anne Besson, qui a dirigé le «Dictionnaire de la fantasy», raconte à «20 Minutes» l’évolution du personnage de la sorcière…
Benjamin Chapon

Benjamin Chapon

L'essentiel

  • Anne Besson, spécialiste de la littérature fantastique, explique que les personnages de sorcières sont récemment devenus les héroïnes positives d’œuvres romanesques.
  • Les sorcières, figures du féminisme dans les années 1970, ont cependant à nouveau subi un retour à une normalité domestique dans certaines séries télé.
  • Aujourd’hui, plusieurs œuvres s’éloignent du modèle de la sorcière comme allégorie de la transition entre l’adolescence et l’âge adulte.

Pour ses 20 ans, Charmed se paye un reboot. Même chose avec Sabrina. En attendant ceux de Buffy et Ma sorcière bien-aimée, ces retours marquent une nouvelle prise de pouvoir des « gentilles » sorcières sur la pop culture. Par un heureux hasard, un ouvrage de référence sur la question vient de paraître, signé par Mona Chollet Sorcières. La puissance invaincue des femmes (éditions La Découverte). L’autrice y détaille la portée féministe de la figure des sorcières, et la violence patriarcale que révèle la traque des supposées sorcières.

La figure de la sorcière fait aussi l’objet d’une entrée dans le Dictionnaire de la Fantasy, dirigé par Anne Besson (édition Vendémiaire). La professeure de littérature générale et comparée a expliqué à 20 Minutes comment la représentation de la sorcière a évolué ces dernières années, jusqu’à aboutir aux sœurs Halliwell.

A quel moment est-on passé de la méchante sorcière à la gentille sorcière ?

Dans la fin des années 1960, avec la montée des religions néopaïennes, la figure de la sorcière a retrouvé un pouvoir perçu comme positif dans de nombreux ouvrages. Auparavant, les livres pour enfants véhiculaient une négative des sorcières héritée des sources de la fantasy que sont les contes de fées où la sorcière est toujours l’opposante. Plutôt qu’une figure réellement positive, certaines œuvres fantastiques des années 1970 font des sorcières des héroïnes.

D’anciennes séries télé comme Charmed et Sabrina vont faire leur retour. Représentent-elles un nouvel âge de la figure de la sorcière ?

Pas vraiment. La vraie nouveauté date de la série télé Ma sorcière bien-aimée (1964). Samantha y incarne une sorcière qui essaye de renoncer à la magie et ne s’en sert, en dernier recours, pour le bien de l’ordre familial. Elle s’oppose à la « vieille » sorcière, sa mère. Samantha est la sorcière next door, la jeune et jolie voisine inoffensive.

On est loin des « vraies » sorcières ?

Longtemps, dans les ouvrages pour la jeunesse on a eu des sorcières maléfiques, figures d’un pacte diabolique, mais aussi des sorcières blanches séduisantes, mais séduisantes comme peut l’être le mal. Il a fallu attendre la déchristianisation pour que soit remis en cause dans la littérature le schéma de la sorcière maléfique. On a alors vu l’émergence de personnages de sorcières conçus comme des magiciennes naturelles perçues comme diabolique par la religion catholique mais positive par le lecteur contemporain. Dans cette veine, il y a par exemple eu une relecture de la légende arthurienne dans laquelle Viviane et Morgane ne sont plus maléfiques. On a alors commencé à les appeler « fées ».

Pourquoi la sorcière effraie-t-elle la religion catholique ?

La sorcière s’oppose au patriarcat rigide et aliénant. C’est pourquoi elle est devenue une figure de l’empowerment féminin. L’une des grandes figures du renouveau littéraire fantastique des années 1970 est Marion Zimmer Bradley, autrice d’œuvres de fantasy féministes dont Les dames du lac. Elle a apporté une vision engagée néopaïenne du personnage de la sorcière, réinvestie de son pouvoir de subversion.

Les sœurs Halliwell de Charmed ont-elles un pouvoir de subversion ?

Je ne sais pas. Un peu. La deuxième sœur épouse un être de lumière et est une figure du bonheur domestique très… lumineux. Mais une autre est amoureuse d’un démon et fait, par son choix amoureux, un pas vers l’assombrissement.

Buffy, qui va également avoir un remake, est aussi un personnage sombre amoureuse d’un être démoniaque…

Oui mais elle n’est pas une sorcière ! C’est son amie Willow qui en est une. Ce personnage, l’un des premiers à être dans un couple lesbien à la télévision, est symptomatique de cette tendance à une revitalisation du mythe de la sorcière positive mais non-conventionnelle.

Pourquoi les sorcières inspirent-elles autant d’œuvres littéraires et séries à destination des adolescents ?

De Harry Potter à Twilight, la version néopaïenne de la fantasy a été vulgarisée dans la littérature young adult. La jeune femme qui révèle un pouvoir de sorcière est une ligne d’intrigue très explorée. Il s’agit de redire les conflits adolescents, de raconter la manière dont l’adolescente devient une femme, prend connaissance de ses capacités. Le thème du renoncement à son pouvoir pour devenir une femme normale est aussi très fréquent.

La sorcière doit donc rentrer dans le rang pour faire une bonne héroïne ?

Oui, la sorcière positive amène un désordre dans un ordre mauvais et permet ainsi de revenir à un ordre positif. Mais il y a une tendance actuelle à s’écarter de ces conclusions mièvres ou convenues. La sorcière est d’autant plus puissante qu’elle est mauvaise. Les sorcières puissantes n’ont pas de barrières morales et usent de la magie à n’importe quel prix. Parce que la magie a toujours un prix. On voit de plus en plus de ces sorcières-là, plus adultes, très érotisées qui rappellent les personnages de succubes. Avoir peur des sorcières, c’est aussi avoir peur de la féminité.