David B.: «J'avais envie qu'Alix redevienne, quand il lâche prise, un Gaulois barbare et belliqueux»
INTERVIEW•Représentant de la « Nouvelle BD », David B. explique à « 20 Minutes » pourquoi et comment il s’est attaqué au classicisme des aventures d’Alix, le deuxième gaulois le plus célèbre de la bande dessinée franco-belge…Olivier Mimran
L'essentiel
- A l’occasion de ses 70 ans, Alix a été confié au Français David B. (au scénario) et au dessinateur italien Giorgio Albertini.
- « Veni, vidi, vici » est le 37e album de ses aventures.
- La série principale « Alix » totalise désormais autant d’albums que celle de son « cousin » Astérix !
Plus que la sortie d’un nouvel album d’Alix, c’est le fait que cette série old school soit reprise par David B. qui crée l’événement ! Et si vous ne connaissez pas cet auteur français d’une œuvre si audacieuse et novatrice - mais pas très « grand public » - qu’il est régulièrement cité comme l’un des favoris au Grand Prix du festival d’Angoulême, sachez seulement que ses BD sont à mille lieues de l’académisme des aventures d’Alix !
20 Minutes a donc demandé au cofondateur de la maison d’édition L’Association et figure de proue de la « Nouvelle BD » (ou « BD alternative ») pourquoi et comment il s’est retrouvé aux commandes d’une série traduite en quinze langues et dont plus de quinze millions d’exemplaires se sont écoulés…
Est-ce Casterman, l’éditeur historique d’Alix, qui vous a contacté ?
David B. : Non, ils ont soumis le projet à mon ami le dessinateur Giorgio Albertini. Et lui me l’a proposé car il savait qu’Alix est la série BD que j’ai lue enfant et qui m’a le plus marqué. J’en ai d’ailleurs gardé tous les albums et je les ai relus adolescent puis adulte, plusieurs fois ! C’est la raison essentielle pour laquelle j’ai accepté de reprendre le personnage d’Alix, ce que je n’aurais pu envisager avec aucun des autres grands personnages de BD.
Votre œuvre est pourtant très éloignée de l’univers d’Alix !
C’est vrai, mais je ne dessine pas. Je ne me suis occupé que du scénario. Et sur ce point, je trouve quand même quelques analogies entre mon travail et Alix… notamment les arrière-plans historiques, certaines références mythologiques.
Justement, vous reprenez les grands exposés historiques si représentatifs de la série…
Oui, comme j’avais besoin d’expliquer le contexte historique de mon récit, je l’ai fait en rendant hommage à Jacques Martin, qui ponctuait toujours les aventures d’Alix de longs passages historiques - ce que j’adorais en tant que jeune lecteur…
Quel était votre cahier des charges ?
Réaliser un épisode d’Alix sur l’assassinat de Jules César. Et puis l’éditeur s’est aperçu que d’autres auteurs travaillaient sur ce thème et on a soudain eu carte blanche. On s’est alors attachés à Veni, vidi, vici tel que l’album existe aujourd’hui. Bon, on était quand même tenus à soumettre notre scénario aux héritiers de Jacques Martin - ses enfants - qui devaient le valider. Il n’était donc évidemment pas question de révolutionner la série. Aussi a-t-on écrit un épisode qui respecte, je crois, l’esprit de la série et des personnages.
Vous avez quand même pris quelques libertés, non ?
Pas vraiment. De toute façon, il aurait été difficile de « faire bouger » Alix parce que c’est un personnage monolithique, sans aspérités ; c’était plus simple de le faire avec des personnages qui gravitent autour de lui. Notamment Enak, ce faire-valoir qui avait jusqu’alors une personnalité assez effacée et qu’on a essayé de faire « exister » davantage…
De quelle manière ?
En le rendant moins « docile », comme on le voit dans la séquence ci-dessous, qui se passe juste à la fin de la guerre entre César et Pompée, ce dernier venant d’être assassiné.
Qu’Enak taquine Alix, qui est complètement inféodé à César, est pour moi un moyen d’en faire un personnage un peu moqueur, fidèle à ses origines de « gosse des rues ». Pour moi, ça a toujours été une sorte de Gavroche, c’est ce petit « plus » que j’ai voulu révéler chez lui.
« Votre » Alix semble aussi plus violent, non ?
C’est vrai. Malgré le fait qu’il soit d’ascendance gauloise (c’est un ancien esclave), il apparaît très « Romain » dans ses aventures : il a toujours son quant-à-lui, il reste toujours digne et très attaché à la notion de morale… Je le définis comme un démocrate-chrétien avant la lettre ; et avant même le Christianisme (rires). Aussi avais-je envie de le faire renouer avec ses origines, qu’il redevienne, quand il lâche prise, un de ces Gaulois qui avaient la réputation d’être des barbares belliqueux. Dans la séquence ci-dessous, il laisse sa violence s’exprimer - au-delà du nécessaire - et c’est Enak qui le ramène à la raison. C’est ce genre de chose qui m’intéresse.
Vous poursuivrez dans ces intentions si vous conservez la série ?
Heu… On ne reprend pas officiellement la série mère ! Mais bon, l’éditeur, qui est apparemment très satisfait de notre album, nous a quand même demandé d’en réaliser un second. Alors oui, probablement, même si pour l’instant, je suis content de retrouver mon travail personnel et les grandes libertés qui vont avec !
Alix tome 37 « Veni, vidi, vici », par David B. et Giorgio Albertini - éditions Casterman - 11,95 euros
En vente le 19 septembre 2018