VIDEO. Mort d'Aretha Franklin: «Elle était universelle, elle était la voix des femmes et des afro-américains»
INTERVIEW•La reine de la soul est décédée ce jeudi. Elle a marqué la musique et le monde de sa voix unique et engagée, comme l'explique Sebastian Danchin, auteur de la biographie «Aretha Franklin, portrait d'une natural woman»...Propos recueillis par Vincent Jule
Aretha Franklin, décédée ce jeudi, n’était pas seulement The Queen of Soul, la numéro 1 des meilleurs chanteurs et chanteuses selon Rolling Stone ou l’une des plus grosses vendeuses de disques de tous les temps, elle s’est également imposée comme une figure des droits civiques et féministe. Et comme l’une des personnalités noires les plus connues.
« Si vous allez à l’autre bout du monde et que vous demandez aux gens de citer une personnalité afro-américaine, vous aurez quelques sportifs, puis Michael Jackson, Nelson Mandela, Martin Luther King et bien sûr Aretha Franklin. Elle fait partie du panthéon », explique Sebastian Danchin, auteur de la biographie Aretha Franklin, portrait d'une natural woman (éditions Buchet Chastel).
Selon lui, la chanteuse est universelle, car elle était à la fois la voix des noirs et des femmes, la voix de la souffrance de chacune de ces communautés. « La double peine », comme elle disait. Le biographe revient sur son enfance, son engagement, son public pour 20 Minutes.
Quelle a été l’influence de son père, pasteur, militant et proche de Martin Luther King ?
Il faut comprendre que Clarence LaVaughn Franklin était une célébrité, et Aretha, un peu une fille de. Il était connu dans toute l’Amérique, vendait ses sermons enregistrés par milliers, se faisait beaucoup d’argent. Aretha est donc issu d’un milieu aisé, cultivé, en comparaison par exemple à un B.B. King né dans une plantation de coton. Elle a été marquée toute sa jeunesse par une religiosité et un militantisme pro-noir, et non pas anti-blanc. A l’instar de Martin Luther King, son père prônait une justice pour tous, et non au détriment des autres. Un combat ouvert aux questions sociales : la pauvreté, l’ostracisme, etc.
Si on peut avoir aujourd’hui l’image de pasteurs droitiers aux Etats-Unis, ou de prêtres de droite pour faire le parallèle avec l’Eglise catholique, il y avait à l’époque des prêtres ouvriers, populaires. Aretha Franklin est au croisement de ces messages religieux, politique, tolérant, cette fierté d’être noir, afro-américain et femme. Pour l’anecdote, le discours « I have a dream » de Martin Luther King le 28 août 1963 avait été testé quelques mois plus tôt à Detroit, en présence de la famille Franklin.
A quel point ses chansons étaient-elles l’expression de cet engagement ?
Aretha n’écrivait pas ses chansons, mais se les appropriait. Respect en est l’exemple parfait. La version originale d’Otis Redding de 1965 est une ballade, une simple chanson d’amour, sur un homme qui travaille dur et qui demande le respect à sa femme. Deux ans plus tard, la chanteuse en fait un titre plus politique, où elle y demande le respect en tant qu’être humain, et surtout en tant que femme et afro-américaine.
Son public était uniquement noir, ou aussi blanc ?
Dans les années 50, elle enregistre quelques titres chez son père, et dévoile déjà une voix impressionnante, mature pour son âge. Elle a 14 ans. Puis elle signe chez Columbia, qui veut en faire une chanteuse de jazz. Si elle a son petit succès et remplit les clubs chics, on ne peut pas parler de phénomène. Il viendra avec son entrée chez Atlantic, où elle s’adonne à un registre plus pop, avec l’idée de passer des 10 % que représente la communauté noire aux 100 % d’une audience internationale. On lui confie bien sûr des chansons aux sonorités gospel, comme (You Make Me Feel Like) A Natural Woman qui l’a fait connaître de tous et que l’on doit à Carole King, une auteure blanche. Et si certaines voix rigoristes lui ont reproché de passer du gospel à la chanson, du religieux au profane, elle n’a pas non plus subi de contre-feu dans sa communauté.
aQui pourrait être son héritière aujourd’hui ? Beyoncé ?
Je ne remets pas en cause le talent de Beyoncé, mais dès les Destiny’s Child, il est clair que son père Matthew Knowles a voulu créer un phénomène marketing, une icône pop, qui en fait plus l’héritière de Michael Jackson que d’Aretha Franklin. Je citerais plus volontiers Jill Scott, Lauren Hill ou Alicia Keys. Elle rend d’ailleurs hommage à cette dernière, ainsi qu’à Adele, dans son album de reprises Aretha Franklin Sings the Great Diva Classics. Aretha était elle-même une diva, dans le sens où elle voyait ses potentielles héritières comme des menaces. Contrairement à B.B. King qui adoubé tout le monde, elle n’aimait pas trop que l’on s’approche de son trône de Queen of Soul. C’est pourquoi elle n’a pas été sympa avec Whitney Houston, qui était sa filleule.