VIDEO. «La rave fait-elle toujours rêver?»: J’ai passé 24 heures avec les orgas d’une Free Party (et j’ai raté la teuf)
SERIE D'ETE•J'ai accompagné les organisateurs d'une free party sur la route jusqu'au début du son...Thomas Weill
L'essentiel
- Trente ans après le second « Summer of Love », 20 Minutes part cet été à la rencontre des DJ et teufeurs d’hier et d’aujourd’hui pour savoir si la rave fait toujours rêver.
- Une série d’articles à suivre chaque semaine sur 20minutes.fr.
- Dans ce troisième épisode, on vous emmène au coeur de l'organisation d'une free, avec toutes les galères que cela implique.
On m’avait promis des kilos de son, j’ai eu des centaines de bornes. « Les 13,14,15 juillet, c’est les 20 ans des MZK et Teknocifs et le 15e anniversaire des 100NON. Ça va être un gros truc de dingue vers Toulouse. Y’aura un gros son de 80 kW et 2 autres sons. Ils font de belles décos de ouf. Ça va être dingue. Je joue là-bas », avait lancé Cédric, alias DJ Schmigoz, cofondateur des Insomniacs, à ma collègue Anne. Départ pour ma première Free Party le jeudi 12 juillet, direction la Ville rose, pour assister à la Freaks Show Party. 675 km au compteur de la Twingo de 20 Minutes. « La teuf, ça se mérite », me lance Cédric qui doit jouer à l’ouverture de la Free.
13h - 15h : Le ravitaillement et les atermoiements
Le rendez-vous avec les organisateurs est fixé le lendemain à 13h à quelque 30 kilomètres de Toulouse. A l’arrière de la Twingo, Cédric, notre contact, Fred, un de ses potes DJ. A l’avant, ma collègue Anne, et moi, au volant. Nous arrivons au rendez-vous avec presque une heure de retard. Parce qu’une teuf de 48 heures, ça ne s’improvise pas, et il a fallu faire le plein de courses.
Cédric et Fred sont ensevelis sous près de 200 euros de victuailles, dignes d’un panier d’étudiant avec noodles et packs de bières en bonne place. « Avant, ça coûtait moins cher. Mais j’ai vieilli aussi, maintenant j’ai envie de mon confort », explique Cédric. Le même, cinq minutes plus tôt : « Si t’as pas de filtres pour faire un café, tu prends une bouteille, tu la coupes en deux, et tu la retournes ». Le « confort ». « Avant, on passait trois jours sans manger. Maintenant, si je fais ça, je ressemble à un zombie », poursuit Cédric. Laisse-toi le temps l‘ami, ça peut venir !
Il est 14h quand on arrive au point de rendez-vous. Il n’y a plus personne. Je regarde ma montre et trépigne, anxieux pour mon reportage. Mais, c’est aussi ça l’esprit free. Entre deux gorgées de bière, Cédric appelle des potes pour les convaincre de venir : « T’es pas opé. Monte dans ta voiture et prends un duvet ! T’es pas opé ou t’es juste vieux. » On s’arrête toutes les deux minutes, acheter des clopes, tirer de l’argent, reprendre un pack de bière. En ligne avec les orgas de la teuf pour tenter de les rejoindre, Cédric bout : « Je suis choqué, je croyais qu’à 11h vous étiez déjà sur le terrain en train de bosser. Si c’est pour monter du son à 3h du matin ça sert à rien, s’énerve-t-il. Dis-moi au moins un village, pas la D2 ! C’est comme si je te fixais rendez-vous sur l’A6, ça ne veut rien dire ! ».
15h - 19h : Le jeu du chat et de la souris
Après moult tergiversations, on reprend enfin la route, direction l’Intermarché de Revel en Haute-Garonne. 66 km de plus au compteur. « Tu montes en direction de l’aérodrome de la Montagne noire, et ce sera sur la gauche, un champ privé où le gars est en train de faire son foin. Poypoy est en train de négocier avec lui », indique un des orgas par texto à Cédric.
Le jeu du chat et de la souris entre le convoi des teufeurs et les forces de l’ordre commence. Et à ce jeu-là, les keufs ont une longueur d’avance. « Normalement, on arrive en masse, mais comme l’installation du matériel avait de l’ampleur, on est arrivé sur le premier site en petit comité, on a péché par excès de confiance. On s’est rapidement retrouvé à 80 teufeurs contre 40 gendarmes », nous explique après coup Poypoy, un des orgas, membre du collectif MZK. En moins d’une demi-heure, un arrêté préfectoral a été pris : le matériel des collectifs risque d’être saisi à la fin de la teuf. « On ne voulait pas s’engager dans un bras de fer. L’idée, c’est que tout se passe bien », poursuit Poypoy.
Un compromis est trouvé. « Le commandant m’a dit que si on changeait de département, ils ne nous suivraient pas ». On reprend la voiture en direction du parking de Leclerc de Mazamet, dans le Tarn. Rebelote ! 42 km de plus à 4 dans une Twingo blindée !
19h - 20h : Membre du convoi
Un tas de camions arrive, et déverse les teufeurs et leurs chiens. Je vois des baggys, des kakis, des cheveux mi-rasés, mi-longs, et re mi-rasés derrière, des dreads, des barbus aussi. Les clients du magasin nous dévisagent en passant. La soirée n’a pas encore commencé que je me sens déjà membre de cette étrange communauté. L’ambiance me gagne et je prends même quelques gorgées de bières, regrettant d’être assigné au volant. Je discute avec Nath’, dans le même cas que moi puisqu’elle conduit son camion depuis la Picardie. « T’es partie quand ? », « En juin ». OK, j’ai affaire à une teufeuse hard-core.
Un gaillard aux cheveux rasés arrive à ce moment-là sur le parking. C’est Benj’, un membre des MZK. L’air soucieux, il bat le rappel : « Il faut y aller tout de suite, c’est le coup qu’on ait un comité là-bas, donc il faut arriver en force ! » Ni une ni deux, Cédric s’engouffre dans la voiture du nouveau venu. Imité illico par mes nouveaux congénères, je saute derrière le volant, porté par l’allégresse de pouvoir caler ma Twingo entre deux immenses camions au sein du vaste convoi : 12 semi-remorques et 10 utilitaires pour l’orga et plus encore de vans et camions aménagés et customisés des teufeurs.
20h - 21h30 : Fausses routes et demi-tours en poids lourds
Une heure après, alors que nous sommes en train de faire marche arrière sur une étroite route de montagne, j’ai perdu tout sentiment d’urgence. Imaginez de faire faire demi-tour à un poids lourd dans un espace aussi restreint ! Nous traversons dans les deux sens un village autogéré et passons devant un groupe de quatre ou cinq personnes à l’allure hippie qui nous observe d’un air goguenard. « C’est mieux que le tour de France ! », s’exclame l’un d’entre eux.
Un homme torse nu, le corps partiellement couvert de tatouages, remonte la colonne de véhicules, encore à l’arrêt, en gesticulant. « Je t’ai dit la première à droite, qu’est-ce qu’il y a de compliqué à comprendre ! », s’énerve-t-il. Le convoi reprend sa lente ascension, tourne à droite… et s’arrête, ayant fait une nouvelle fois fausse route. Dans la voiture qui nous précède, une jeune Corse aux tresses africaines s’impatiente. « J’aime bien mon chien, mais son sens de l’humour à ses limites », plaisante-t-elle au terme d’une journée de solitude sur la route.
21h30 - 8h : Des traces, mais pas que d’oreiller
Le soleil se couche quand nous parvenons à destination après avoir défilé devant un véhicule de la gendarmerie, qui nous a regardé passer sans intervenir. Ils nous toléraient. Je gare la voiture au milieu d’une dizaine de camions, au pied d’une gigantesque éolienne. En sortant de la voiture, Fred tombe dans les bras de Cédric. « Le village hippie, c’était génial ! », « Sous une éolienne, j’avais jamais fait ! » Leur enthousiasme de gamins fait plaisir à voir. D’ailleurs Cédric le dit lui-même. « Si on fait des fêtes comme ça, c’est parce qu’on est des enfants. On sera comme ça jusqu’à la fin. Dans la techno, c’est à vie. On a des cheveux blancs mais on garde nos âmes d’enfants ». Des gosses besogneux tout de même, et qui ont une soirée à monter.
« Tous les mecs de la Free, ils travaillent dans l’événementiel. Ils ont pigé qu’on travaille vite et qu’on peut bosser trois jours d’affilée dans n’importe quelle condition », explique Cédric. Les groupes électrogènes sont bientôt mis en place, de même que le fameux mur du son, cet assemblage d’enceintes surpuissantes, haut comme un homme et large comme quatre. Tous s’activent autour de nous, pour monter échafaudages et stands. Mais une fête devant accueillir 3.500 personnes à son plus fort, ça ne s’improvise pas : la soirée n’est pas près de commencer. « Tu veux une trace ? », me propose un teufeur. Pris de court, je refuse poliment, pas tout à fait à l’aise. « Ça veut dire qu’ils te considèrent comme l’un des leurs », me dira ma collègue Anne plus tard, du haut de ses 20 ans d’expérience de la teuf. Mais pour moi, sans vouloir surjouer le côté moineau tombé du nid, c’est une première.
Troublé, je pars faire la sieste dans la voiture. A côté, un camion semble attirer du monde. « T’as pas des tazs ? », lance quelqu’un. « Non, que du speed ou de la goutte », répond un homme depuis le camion, visiblement peu perturbé par la présence de trois collectifs de réduction des risques. « C’est le magasin de drogues », s’amuse Anne, avant de détailler à quel type de drogue correspond la goutte au gamin que je suis. J’oublie aussi sec. Pour moi la goutte, c’est un digestif. Vraiment, je ne me sens pas à ma place.
8h - 11h : Dans les épisodes précédents de « The Walking Dead »
Des coups frappés à la fenêtre me réveillent. « Mec ouvre ! Avec le soleil tu vas crever ! » Il a raison, j’ai chaud. Je baisse la vitre. « T’as vu, je t’ai sauvé la vie gars ! ». J’acquiesce, encore endormi, en grognant des remerciements. Tout un défilé de teufeurs se rend vers le mur du son : ça y est ça a commencé, avec près de huit heures de retard. Je vais ENFIN voir ma première Free, et découvrir cette ambiance qui met des étoiles dans les yeux de Cédric, Fred, Anne et tous ceux que j’ai rencontrés. Je vais entendre le son qui fait que même 30 ans après les premières soirées, des teufeurs traversent encore toute la France au volant de leur camion, bravant les interdits, les flics et les préfets pour se retrouver au milieu de nulle part et kiffer.
Et puis je parviens devant le mur du son. Les danseurs bonne ambi que j’imaginais ont laissé la place à une dizaine de zombies, qui se déhanchent mollement et mécaniquement à 10 cm des enceintes, assoiffés d’un son (médiocre en plus) comme s’ils en dépendaient pour bouger encore. Un intermittent est encore là à installer des décorations. Tout autour des stands ont poussé dans la nuit, pour vendre à prix bradé crêpes, pizzas, alcool et softs. Il y a même une « kid zone » avec une structure gonflable de trois mètres de haut.
Un peu plus loin la « PLS zone », prévue pour chiller, a son propre mur du son, qui diffuse de l’électro un peu crasse, à écouter en dansant ou installé sur des vieux meubles tout droit sortis du garage de chez mamie. Une autre scène est installée plus haut, au pied d’une autre éolienne et sous un chapiteau de cirque. L’ombre fait du bien sous le soleil de plomb, mais je revois les mêmes teufeurs à la gestuelle digne d’un épisode de The Walking Dead, et soudain j’en ai ma claque. C’est ça la Free ? Des mecs et nanas crades et beaucoup trop camés qui se réunissent avec leurs chiens pour kiffer sur du son chelou ?
11h - 14h : De l’ombre à la lumière
J’ai l’impression d’assister à un after sans avoir participé à la soirée. « Tu as vu le côté sombre de la Free, mais t’as pas vu de soirée, me dit Anne. Si tout s’était passé comme prévu, à minuit tu aurais vu des gens sauter sur place en dansant, avec des effets de lumière. Le jour, ça fait un peu bric-à-brac, la déco, mais la nuit, c’est vraiment impressionnant ! » Elle n’a pas tort, et ça me rappelle que j’ai été frappé par la convivialité que j’ai ressentie dès mon arrivée. Tout le monde se tutoie. Tu as oublié un sac-poubelle ? On t’en passe un sans problème. Besoin de PQ ? Tiens, voilà un rouleau. Un mec se présente dans le mal au stand de crêpe sans avoir de quoi se payer la galette à 4 euros ? Pas de problème, le type qui tient le stand lui fait un prix. L’esprit Free, c’est aussi ce gars qui m’a réveillé de peur que j’étouffe dans ma bagnole.
« Les valeurs de la Free, c’est le partage, pas les gens devant le mur », corrige Tine, teufeuse dreadeuse blonde avec un sourire paisible aux lèvres. C’est presque avec une pointe de déception que nous repartons sur les coups de 14h. La Twingo doit être revenue à la rédaction avant la finale de la Coupe du monde de football le 15 juillet. Parce qu’une fois le soleil passé par son zénith, les teufeurs se sont réveillés, et de nouveaux venus sont arrivés, loin du cliché observé le matin. Il était là le son promis, ici l’ambiance attendue. Je suis juste parti avant de pouvoir en profiter.