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« Il faut torpiller le fantasme de la victime parfaite »

Viol : « Il faut torpiller le fantasme de la victime parfaite » clame Shiori Itō

interviewDans le poignant documentaire « Black Box Diaries », la trentenaire japonaise évoque le viol qu’elle a subi et sa lutte acharnée pour se faire entendre
Caroline Vié

Caroline Vié

L'essentiel

  • Shiori Itō a choisi de raconter son histoire de son point de vue dans Black Box Diaries.
  • Ce documentaire à la première personne est aussi rude que passionnant.
  • La jeune femme, citée aux Oscars, compte poursuivre sa carrière de cinéaste.

Elle s’appelle Shiori Itō et cette femme est admirable. Violée en 2015 par un homme de pouvoir, directeur d’une chaîne de télé, alors qu’elle était étudiante en journalisme, elle s’est battue pour faire entendre sa voix. Elle raconte son calvaire et sa victoire dans Black Box Diaries, un documentaire aussi indispensable que puissant cité aux Oscars cette année.

Cela la fait éclater de rire quand on la félicite pour sa force de caractère. « C’est parce que vous ne voyez pas dans les moments où je craque, dit-elle. Cela m’arrive encore mais de moins en moins souvent. » Aujourd’hui âgée de 35 ans, Shiori Itō, qui a été élue parmi les personnalités les plus influentes de 2020 du Time, semble avoir trouvé une forme de paix. Elle a accepté de répondre aux questions de 20 Minutes.

Dans quel état d’esprit êtes-vous aujourd’hui dix ans après les faits ?

J’ai moins peur. Je me sens à la fois soulagée et plus optimiste. J’aimerais maintenant parvenir à me poser quelqu’un part, trouver une ville accueillante. Il est encore impossible pour moi de revenir au Japon où mon film n’est toujours pas distribué. Une vague du désespoir m’aspire encore parfois mais c’est de plus en plus rare et elle m’emmène de moins en moins profond.

Vous sentiriez-vous encore menacée au Japon ?

Sans aucun doute. J’ai subi tant de pression et reçu tant d’insultes quand j’ai décidé de porter plainte que je ne m’y sentirai pas en sécurité. J’espère que cela changera un jour car je souhaite retrouver mon pays. Je considère mon film comme une lettre d’amour au Japon.

Le montage financier du film a-t-il été difficile ?

J’ai d’abord écrit un livre avant de me décider à faire un documentaire. J’avais peur de me mettre trop avant. Comme j’ai suivi une formation de journaliste, je craignais qu’on me reproche de manquer d’objectivité. J’ai même envisagé de donner aussi la parole à mon agresseur mais ma productrice Hannah Aqvilin m’en a dissuadée et je sais maintenant que c’est elle qui avait raison.

Comment avez-vous procédé pour écrire le film ?

Pendant les deux premières années, j’ai accumulé des documents pour me protéger. Des amis m’ont hébergée à Londres pour que je puisse travailler en paix. J’avais des heures de rushes à organiser et ce processus m’a fait du bien quand j’ai compris que je devais raconter mon histoire du point de ce que je suis, une survivante. J’ai d’ailleurs remarqué que quatre des cinq documentaires nommés aux Oscars cette année étaient racontés par des cinéastes parlant de leur propre histoire. Cela semble démontrer qu’il existe une réelle nécessité de s’exprimer à la première personne.

Que vouliez-vous démontrer avec « Black Box Dairies » ?

Il faut torpiller le fantasme de la victime parfaite. J’ai trop souffert qu’on me dise que je n’étais pas habillée comme il faut ou que je ne pleurais pas assez quand j’ai dû témoigner ! Des gens prenaient ces prétextes pour ne pas croire mon histoire et cela suffit ! Il est temps que les choses évoluent au Japon où on estime trop souvent qu’il faut cacher les choses, d’où le titre Black Box ( « Boîte noire ») mais aussi dans le reste du monde où la situation des femmes ne va pas toujours en s’améliorant. C’est épouvantable quand l’abus sexuel s’accompagne de pouvoir et de corruption qui vous donnent une totale impression d’impuissance.

 Shiori Itō après l'interview de « 20 Minutes »
Shiori Itō après l'interview de « 20 Minutes » - Caroline Vié

Que vous ont appris ces années passées à lutter ?

J’ai découvert la solidarité au contact de femmes et d’hommes empathiques. Aujourd’hui, je suis convaincue qu’il existe des gens bien quel que soit leur genre. Je crois en l’humanité. J’ai appris aussi à croire en la valeur de l’art de raconter les histoires. C’est cette force créatrice qui m’a permis d’aller de l’avant. Je pense que chacune et dois trouver la façon de survivre qui lui convient.

Allez-vous continuer à faire des films ?

C’est mon intention ! Des fictions et des documentaires ! Il est certain que le trauma que j’ai subi m’a marquée à vie, mais je ne veux pas être réduite à cela. J’ai une vie en dehors de cette histoire. J’aime sortir avec mes amis et profiter de mes chats. Il m’arrive de rire aux éclats. Tourner ce film et le voir aussi bien accueilli m’aide à me sentir mieux. Même ma plus jeune sœur me trouve cool depuis que j’ai été distinguée par le Time ! Alors que cette affaire a été aussi très dure à gérer pour ma famille qui me soutient à fond.

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Quel conseil donneriez-vous aux victimes de viols ?

Parlez ! Ne vous cachez pas ! Ne laissez personne vous faire honte ! Communiquez et essayez de trouver des gens pour vous soutenir. Puis, si vous le pouvez, transformez votre trauma en art pour le rendre moins menaçant et surtout moins douloureux. Et surtout, ne perdez pas foi en l’avenir. C’est ce que j’essaye de faire quotidiennement.