« Le cinéma doit dépasser les polémiques » dit la présidente du Festival de Deauville
interview•Aude Hesbert a pris la tête de la manifestation pour ce 50e anniversaireA Deauville, Caroline Vié
L'essentiel
- Le 50e anniversaire du Festival de Deauville a été un succès.
- Aude Hesbert, nouvelle directrice de la manifestation, a succédé à Bruno Barde.
- Elle se prépare maintenant pour les festivals de Gérardmer et Reims.
Le Festival du Cinéma américain de Deauville a mis les femmes à l’honneur quand les deux jurys, l’un présidé par Benoît Magimel, l’autre par Alice Belaïdi, ont donné leur prix à In The Summers d’Alessandra Lacorazza Samudio. Cette belle histoire autour des relations entre deux filles et leur père, déjà récompensée à Sundance, a marqué un 50e anniversaire festif pour la manifestation.
Le succès indiscutable de cette célébration marque une grande victoire pour Aude Hesbert, directrice nouvellement nommée après la mise à l’écart de Bruno Barde, visé par des accusations de harcèlement et d’agressions sexuelles mises au jour par Mediapart en juin et qu’il conteste.
Comment s’est passée votre première expérience à Deauville ?
Tellement bien ! Que du bonheur avec du monde dans les salles. On a eu jusqu’à 1300 personnes certains matins en milieu de semaine. Il y a eu de très beaux moments aussi comme les anciens présidents du jury sur scène ou la présence de Francis Ford Coppola. Tout s’est bien passé après des débuts un peu tourmentés.
Cela a été compliqué ?
C’est compliqué aussi de reprendre le travail avec une équipe qui a été blessée par ce qui s’est passé. Cela a été aussi humainement difficile car j’ai travaillé avec Bruno Barde dont il ne faut pas effacer le travail. Il a été remarquable en matière de cinéphilie. C’est lui qui a créé la compétition en 1995 à Deauville, ce qui a contribué à l’essor du festival.
Le fait que vous soyez une femme explique-t-il que vous ayez été choisie pour le remplacer ?
Cela a peut-être joué mais j’espère que ce n’est pas la seule raison. J’ai une certaine expérience J’ai été l’adjointe de Bruno Barde pendant cinq ans. Je reviens des Etats-Unis où je dirigeais la Villa Albertine, institution dédiée à la mise en avant de la culture française sur le territoire des Etats-Unis. Je pense avoir quelque chose à apporter au festival car je connais à la fois la France et l’Amérique. La pression est un bon moteur surtout quand on a une équipe formidable. Deauville est un magnifique vaisseau amiral du cinéma américain. Je ne pouvais pas refuser de reprendre le flambeau.
Comment avez-vous géré les différentes polémiques ?
Il a fallu prendre des décisions difficiles qui fassent le moins de mal possible. On a essayé de ne blesser personne tout en préservant la manifestation à venir. Les artistes savent que Deauville est un formidable écrin. La confiance est restée et c’est ce qui comptait. Ce cinquantième anniversaire devait bien se dérouler car cela allait compter pour les années à venir. Le cinéma doit dépasser les polémiques.
La France est-elle en retard pour #MeToo ?
Les Américains ont eu l’affaire Weinstein qui a été un véritable tremblement de terre et on arrive à des répliques de ce qui s’est passé en Amérique. J’ai appris aux Etats-Unis qu’il y avait plein de garde-fous pour protéger tout le monde. Ici, nous avons été conduits à mener des discussions qui nous ont dépassés. Je pense que cela va bientôt concerner tous les festivals et les tournages aussi. Tout cela est douloureux et nécessaire.
Allez-vous continuer à mettre l’accent sur les films de femmes ?
On fait une sélection sur des critères artistiques et ensuite on reflète ce qui se passe dans la société. J’ai commencé à travailler dans le cinéma avec une pionnière, Marie-Pierre Macia qui a été la première femme à diriger la Quinzaine des réalisateurs. C’était bien avant #MeToo, bien avant qu’on parle de représentation et on faisait déjà attention à la programmation des films de femmes et à la diversité. Cela fait partie du travail de programmateur. J’y suis très attachée.
Comment voyez-vous l’avenir du Festival de Deauville ?
On va continuer à construire la cinéphile avec les jeunes et les films du patrimoine. On souhaite mettre en avant la curiosité et l’amour du cinéma ce qui passe par les rencontres et la relation avec le public. J’aimerais aussi travailler avec l’industrie du cinéma américain pour créer des ponts entre les professionnels français et ceux d’outre-Atlantique. On a beaucoup à apprendre les uns des autres.
Et les autres festivals : Gérardmer et Reims ?
J’adore faire le grand écart entre le côté glamour de Deauville et le public plein d’effervescence de Gérardmer. J’adore le cinéma de genre et tous les cinémas. Reims est plus jeune mais cela me passionne car le polar est le meilleur véhicule pour parler de la société. L’aventure ne fait que commencer.
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