chut !« Les Fantômes » met l’espionnage à hauteur humaine

« Les Fantômes » met l’espionnage à hauteur humaine

chut !Ce thriller sensoriel plonge dans la vie des exilés qui traquent les criminels de guerre syriens
Adam Bessa dans « Les Fantômes » de Jonathan Millet
Adam Bessa dans « Les Fantômes » de Jonathan Millet - Kris Dewitte/Memento Distribution  / 20 Minutes
Caroline Vié

Caroline Vié

L'essentiel

  • Un jeune exilé syrien croit reconnaître la voix de son bourreau et tente de le coincer.
  • Jonathan Millet s’est énormément documenté pour créer cette fiction haletante.
  • La bande-son très étudiée contribue à faire monter le suspense autour de deux acteurs remarquables : Adam Bessa et Tawgeek Barhom.

Les Fantômes de Jonathan Millet, présenté en ouverture de la Semaine de la Critique cannoise, est l’un des films les plus haletants de l’année. Adam Bessa, vu dans Le Prix d’un passage, y incarne un ancien prisonnier syrien qui croit reconnaître son bourreau dans les rues de Strasbourg. Il n’a jamais vu l’homme qui l’a torturé mais reconnaîtrait sa voix entre mille…

Pour son premier long métrage de fiction, Jonathan Millet a choisi la forme d’un thriller d’espionnage. Il souhaitait faire découvrir le travail des cellules secrètes qui traquent les criminels de guerre, ceux qui tentent de disparaître en Europe avoir servi le régime de Bachar Al-Assad. « Je me documente énormément pour laisser place à la fiction », dit-il. Le résultat est plus que probant quand il entraîne son héros sur la piste d’un homme mystérieux joué par Tawfeek Barhom, remarqué dans La Conspiration du Caire.

Le pouvoir des sens

Le réalisateur ne montre à aucun moment la torture. Son héros étant privé de la vue quand il l’a subie, c’est par les parfums mais aussi par le son qu’il identifie son persécuteur dans ce qui se veut un thriller sensoriel. « Je voulais filmer l’écoute, le tactile, l’odeur en reléguant hors-champ toutes les images sur signifiantes comme la guerre ou la torture, qui n’est appréhendée que par des enregistrements », déclare le réalisateur.

Cette approche originale se révèle d’une efficacité redoutable laissant une grande place à l’imagination en faisant entendre ce qui n’est pas montré. La richesse de la bande-son est un atout majeur pour renforcer la sensation d’angoisse.

Un énorme travail préparatoire

Jonathan Millet a tenu à s’appuyer sur la réalité et a notamment fait beaucoup travailler Adam Bessa pour le rendre crédible dans son rôle. Non seulement, l’acteur a dû apprendre à parler l’arabe avec l’accent syrien, mais il a beaucoup travaillé la gestuelle de son personnage. « Il fallait qu’il incarne le dilemme au centre du film, à savoir celui entre la raison et la pulsion, insiste le réalisateur. Est-il encore possible de vivre après avoir enduré tout ce qu’il a vécu ? On a peur pour lui et on a peur de lui ».

De cette dualité naît la force des Fantômes, qui trouve une place unique entre Les Patriotes et la série Le Bureau des légendes pour montrer un espionnage à dimension humaine. Ironiquement, ce sont des jeux vidéo guerriers qui permettent aux membres de la cellule de communiquer entre eux. « C’est le seul endroit en ligne où l’on peut répéter quinze fois les mots « bombes », « attaques », « mort », « tuer » sans être repéré par des algorithmes », précise le cinéaste.

Le cauchemar de l’exil

Ce qui vit le héros du film montre aussi comment il peine à survivre alors qu’il risque constamment l’expulsion. « Les exilés apprennent à avoir un faux nom, un faux pays d’origine. Ils sont obligés de mentir, de faire attention à tout, de tromper sur leur identité, avec tout ce que cela comporte de risques », explique le réalisateur. Cette menace constante ajoute à la tension qui s’empare d’un spectateur pris au piège en même temps qu’un personnage dont les pensées tourbillonnantes sont brillamment captées.

« Leur histoire n’est pas un miroir du monde, c’est notre monde », conclut Jonathan Millet. C’est pour cette raison que Les Fantômes prend si puissamment aux tripes.