« Une famille », d'Angot, nous fait vivre le traumatisme de l'inceste

« Une famille » de Christine Angot : Un film éprouvant qui nous fait vivre le traumatisme de l’inceste

incesteLa romancière passe pour la première fois derrière et devant la caméra pour interroger ses proches sur le calvaire qu’elle a subi après avoir été violée par son père
Caroline Vié

Caroline Vié

L'essentiel

  • Christine Angot a été violée par son père pendant des années.
  • Dans Une famille, l’autrice et réalisatrice va demander des comptes à ses proches qui ne l’ont pas soutenue.
  • Ce documentaire passionnant et nécessaire évoque frontalement l’inceste et les dégâts irréparables qu’il provoque.

«Le viol ou l’agression sexuelle, quel que soit le mode opératoire de l’agresseur, sont une appropriation du corps de l’autre, ont des conséquences psychotraumatiques extrêmement graves et durables et sont toujours, dans le cas de l’inceste une négation de l’identité. Ce qui est extrêmement destructeur », expliquait à 20 Minutes, le juge Edouard Durand créateur de la Ciivise. Cette destruction, Une famille de Christine Angot, la décrit sans concession.

La romancière passe à la réalisation avec ce documentaire où elle va confronter les membres de sa famille sur le manque de réaction face à l’inceste qu’elle a subi de la part de son son père de ses 13 à 16 ans. Puis quand elle avait une vingtaine d’années.

Une femme en colère

Depuis plus de quarante ans et son premier roman, L’Inceste, Christine Angot présente le miroir de l’inceste à une société qui refuse de s’y regarder. Son œuvre littéraire est marquée par les viols à répétition que lui a fait subir son père qu’elle a rencontré pour la première fois quand elle avait 13 ans. Le silence assourdissant de ses proches a achevé de détruire la romancière qui a puisé ses forces dans l’art pour essayer de se reconstruire sans jamais y parvenir tant la blessure est profonde. Ridiculisée, rendue invisible voire accusée d’avoir menti pour lancer sa carrière, Christine Angot a toujours repris la plume pour obliger à lire puis entendre une vérité qui dérange. Une famille est un pas de plus dans cette démarche.

Une famille brisée

Son père est mort depuis 1999. Christine Angot, 65 ans, part à Strasbourg avec une équipe réduite pour interroger ses proches (sa belle-mère, sa mère, et son ex-mari), avec plusieurs questions en tête : Pourquoi un tel silence ? Pourquoi personne n’a bougé ? Pourquoi certains ne lui adressent-ils pas la parole aujourd’hui même s’ils prétendent ne pas avoir été au courant des faits ? Elle leur reproche leur déni, leur manque de réaction face à un calvaire qui la ronge depuis des décennies. Les réponses sont parfois douloureuses quand le passé de son ex-mari est révélé ou inadmissibles, quand il s’agit de son ex-belle mère qui défend toujours son époux.

Les réponses que reçoit l’autrice montrent que l’inceste ne détruit pas que la personne qui le subit. Toutes et tous, générations confondues, sont éclaboussés par le crime du père qu’on ne verra que brièvement sur une photo. « C’est lui », dit simplement Christine Angot.

Deux types de spectateurs

Qu’ils connaissent ou non l’histoire de Christine Angot, les spectateurs sortiront probablement marqués à vie de la projection. La réalisatrice ne ménage pas le public, ce qui rend son documentaire aussi nécessaire qu’admirable. Elle ne s’angélise à aucun moment, montrant ses faiblesses comme sa fureur avec un courage admirable.

Après avoir été adaptée par des cinéastes comme Catherine Corsini ou Lætitia Masson et avoir coécrit un scénario avec Claire Denis, Christine Angot n’est pas une néophyte en matière de cinéma. Elle prend ici le contrôle de ce qu’elle veut montrer d’elle et des autres en collaboration avec la cheffe opératrice Caroline Champetier, connue pour son travail avec Jean-Luc Godard, Leos Carax et Xavier Beauvois.

Quand la colère change de camp

Dès la première séquence à la brutalité inouïe, le ton est donné. Après quelques hésitations, Christine Angot s’introduit de force chez sa belle-mère avec son équipe de tournage. On peut alors se mettre du côté de la vieille dame propre sur elle tentant de défendre son intérieur luxueux. Comment Christine Angot peut-elle se montrer aussi violente avec une personne âgée ?

Leur tête-à-tête change la donne quand la dame répond aux questions de sa belle-fille laissant benoîtement apparaître l’horreur que cette dernière a autrefois subie en plus de l’inceste : le mépris, le déni, la jalousie même d’une femme qui refuse catégoriquement d’accepter de ressentir la moindre empathie. La violence prend un visage de mamie riche et inflexible. A la fin de la scène, on est solidaire de Christine Angot. On comprend sa fureur.

Un vrai film de cinéma

Christine Angot est une femme brillante. Ce serait l’insulter que de penser que chaque plan d’Une famille n’a pas été soigneusement réfléchi ne serait-ce qu’au moment du montage. Cette perfectionniste de la littérature ne peut qu’en avoir usé de même pour son documentaire. Elle se met en scène dans chaque séquence avec une intelligence aiguë. Cela n’enlève, bien évidemment, rien à la puissance du film, ni à sa sincérité mais cela explique son impact. Les choix d’archives sont très significatifs. Les films d’enfance de sa fille, gamine innocente et solaire, renvoient aux jeunes années brisées de la cinéaste. Les images de plateaux télévisés où Thierry Ardisson et Laurent Baffie se moquent d’elle comme de son agression, écœurent par leur misogynie et leur méchanceté crasses. Elles révèlent le chemin à parcourir pour faire entendre et respecter un cri qui a trop longtemps résonné dans l’indifférence.

Une lueur d’espoir

A la fin de la projection, un peu d’espoir renaît grâce à la fille de Christine Angot devenue une adulte lumineuse qui réchauffe sa mère avec quelques mots. « Je suis désolée que tu aies vécu ça maman », dit-elle. Cela n’a l’air de rien cette phrase mais c’est celle que Christine Angot attendait, celle dont elle avait besoin. Quelques mots tous simples qu’on répète doucement avec la conviction qu’Une Famille contribue à faire qu’un jour, plus personne n’ait à vivre ça.