« Je ne veux pas de votre culpabilité », réagit l’israélien Yuval Abraham, accusé d’antisémitisme à la Berlinale
Polémique à la Berlinale•Le réalisateur israélien a réagi aux critiques suscité par son discours et indiqué faire l’objet de menaces de mort20 Minutes avec agences
Une victoire et une pluie de critiques. Récompensé au festival de cinéma de Berlin, pour son documentaire « No Other Land », coréalisé avec le Palestinien Basel Adra, l’Israélien Yuval Abraham est accusé d’antisémitisme et menacé de mort pour son discours dans lequel il qualifie la politique israélienne à l’égard des Palestiniens « d’apartheid ».
La Berlinale se retrouve au centre d’une polémique, accusée d’avoir servi de plateforme pour des déclarations antisémites de metteurs en scène lors de la remise des prix samedi, en lien avec la guerre d’Israël contre le Hamas. De son côté, Yuval Abraham a réagi à ces accusations, indiquant faire l’objet de menaces de mort, et maintenant « chaque mot » prononcé lors de son discours.
« Je maintiens chaque mot »
Sur scène samedi soir aux côtés de son coréalisateur Basel Adra pour recevoir leur récompense, Yuval Abraham, dont le documentaire porte sur la Cisjordanie occupée, a livré un discours applaudi par l’assemblée, avant de déclencher la polémique au sein de la classe politique allemande et la colère en Israël. Depuis son discours, il a indiqué faire l’objet, avec sa famille, de menaces de mort. « Notre film "No Other Land" sur l’expulsion brutale du territoire occupé de Masafer Yatta a remporté le prix du meilleur documentaire à la Berlinale, a-t-il rappelé sur X. La chaîne israélienne 11 a diffusé ce segment de 30 secondes de mon discours, le qualifiant incroyablement d'« antisémite » – et depuis, je reçois des menaces de mort. Je maintiens chaque mot », a-t-il insisté.
Un tweet qui reprend la séquence de son discours : « Basel et moi avons le même âge. Je suis Israélien, il est Palestinien. Dans deux jours, nous retournerons sur une terre où nous ne sommes pas égaux : je vis sous une loi civile, Basel est soumis à une loi militaire. Nous habitons à trente minutes l’un de l’autre, mais j’ai le droit de vote, Basel ne l’a pas. Je peux me déplacer librement sur cette terre. Basel est, comme des millions de Palestiniens, est bloqué dans la Cisjordanie occupée, a-t-il décrit dans son discours. Cette situation d’apartheid entre nous, cette inégalité, doit cesser ».
Son coréalisateur, le journaliste et activiste palestinien Basel Adra, a aussi accusé Israël de « massacrer » la population palestinienne et a critiqué les ventes d’armes allemandes à Israël. Leurs prises de position ont été applaudies par l’assistance dans la salle.
« L’antisémitisme n’a pas de place à Berlin »
Un discours rapidement critiqué par la classe politique outre-Rhin. « L’antisémitisme n’a pas de place à Berlin, et cela vaut aussi pour les artistes », a dénoncé le maire de la capitale allemande, Kai Wegner, sur son compte X. La controverse a été alimentée notamment par leurs déclarations accusant Israël de génocide en raison des bombardements qui ont fait près de 30.000 morts à Gaza, en majorité des civils. Une prise de parole durant laquelle il leur est reproché notamment de ne pas mentionner l’attaque du 7 octobre dernier menée en Israël par le Hamas, qui a entraîné la mort d’au moins 1.160 personnes, en majorité des civils.
Le chancelier Olaf Scholz estime « qu’une telle position unilatérale ne peut être tolérée, et que dans tout débat sur ce sujet, il est important de garder à l’esprit l’événement qui a déclenché cette nouvelle escalade du conflit au Moyen-Orient », selon une porte-parole du gouvernement.
La Berlinale est principalement financée par le gouvernement allemand, qui du fait du passé nazi du pays a placé la défense d’Israël au rang de raison d’Etat et fait de la lutte contre l’antisémitisme une de ses grandes priorités.
« Je ne veux pas de votre culpabilité »
Des réactions que fustige le principal intéressé. « Se présenter sur le sol allemand en tant que fils de survivants de l’Holocauste et appeler à un cessez-le-feu – et ensuite être qualifié d’antisémite n’est pas seulement scandaleux, c’est aussi littéralement mettre la vie des Juifs en danger », a réagi Yuval Abraham dans un entretien accordé au Guardian.
Une polémique qui empêche le réalisateur israélien de rentrer dans son pays, où il est désormais menacé de mort. « Je reçois toujours des menaces de mort et j’ai dû annuler mon vol de retour, a-t-il déclaré dans un communiqué publié sur son compte X. Cela s’est produit après que les médias israéliens et les politiciens allemands ont absurdement qualifié mon discours (…) d'"antisémite". L’utilisation abusive et effroyable de ce mot par les Allemands, non seulement pour faire taire les critiques de Palestiniens à l’égard d’Israël, mais aussi pour faire taire les Israéliens comme moi qui soutiennent un cessez-le-feu qui mettrait fin aux tueries à Gaza et permettrait la libération des otages israéliens – vide le mot d’antisémitisme de sens et met ainsi en danger les Juifs du monde entier ».
Le réalisateur a ensuite remonté le fil de son arbre généalogique, qui compte des victimes de l’antisémitisme et mis en lumière l’ampleur des menaces pesant sur son coréalisateur. « Etant donné que ma grand-mère est née dans un camp de concentration en Libye et que la plupart des membres de la famille de mon grand-père ont été assassinés par les Allemands lors de l’Holocauste, je trouve particulièrement scandaleux qu’en 2024, des politiciens allemands aient l’audace d’utiliser ce terme comme une arme contre moi d’une manière qui mette en danger ma famille, a-t-il dénoncé. Mais par-dessus tout, ce comportement met en danger la vie du coréalisateur palestinien Basel Adra, qui vit sous occupation militaire et entouré de colonies violentes à Masafer Yatta. Il court un bien plus grand danger que moi, a-t-il alerté. Je suis heureux que notre film primé, No Other Land, suscite un débat international important sur cette question – et j’espère que des millions de personnes le regarderont lors de sa sortie cette année. Susciter une conversation est la raison pour laquelle nous l’avons fait. Vous pouvez critiquer sévèrement ce que Basel et moi avons dit sur scène sans nous diaboliser. Si c’est ce que vous faites avec votre culpabilité pour l’holocauste, je ne veux pas de votre culpabilité ».