« Annette » : « Leos Carax magnifie le grotesque, qui est une forme d’humour », affirme Marion Cotillard
INTERVIEW•Marion Cotillard explique à « 20 Minutes » ce qui fait la singularité d'« Annette » qui fait l’ouverture du Festival de Cannes ce mardi soir et qui sort en salle dans la fouléePropos recueillis par Stéphane Leblanc
La belle et la bête, riches et célèbres. Marion Cotillard joue une cantatrice de rêve aux côtés d’un as du stand up et de la provocation incarné par Adam Driver dans Annette.
L’actrice a reçu 20 Minutes dans un hôtel parisien quelques heures avant de monter les marches du festival de Cannes, où la comédie musicale de Leos Carax fait l’ouverture ce mardi soir, en fanfare grâce à la bande originale de Sparks.
Leos Carax est un cinéaste mystérieux qui tourne peu. A quoi ressemble le tournage d’un de ses films ?
Cela procure beaucoup d’émotion… Mais j’ai surtout découvert un personnage avec bien plus de fantaisie que ce à quoi je m’attendais. Leos Carax a une très grande part enfantine en lui. C’est quelqu’un qui aime rire. Il a une grande sensibilité mais aussi beaucoup d’humour… Cela se voit dans le film à sa façon de magnifier le grotesque, qui est une forme d’humour.
Même si le personnage principal qu’incarne Adam Driver est un « comique », l’humour passe très vite au second plan…
Oui effectivement, il y a une part très sombre dans ce film, celle qu’occupe cet homme qui ne s’aime pas et qui, du coup, devient très destructeur avec lui-même et ceux qui l’entourent.
Le film aborde un sujet d’actualité : les violences faites aux femmes. Vous en avez discuté avec Leos Carax ? C’est un sujet qui lui tient à cœur ?
Oui et depuis bien avant toute cette vague, ou plutôt cette révolution féminine, qui est née avec le mouvement #MeToo. Cela prend encore plus d’ampleur aujourd’hui qu’à l’époque où le projet d’Annette s’est lancé il y a cinq ans. L’impact est beaucoup plus fort. J’avais déjà trouvé ça puissant à la lecture du scénario, mais je trouve la manière dont il l’a mis en scène très profonde et très émouvante.
Le jeu des acteurs ou les images de films inspirent Leos Carax. Que vous a-t-il montré pour nourrir votre personnage ?
Quand on a commencé à parler d’Ann, il m’a montré une interview de Romy Schneider avec un acteur dont elle est amoureuse. Il faut la voir passer de la force et de l’assurance à une émotion discrète, mais très présente, qui est une émotion d’amour pour cet homme. La manière dont elle le regarde, toute cette douceur et même les moments subtils qui la déstabilisent… C’est là-dessus qu’on a commencé à construire mon personnage.
Vous jouez une cantatrice dans le film, mais ce n’est pas vous qui chantez…
Si, si, c’est moi ! Sauf les morceaux opératiques pour lesquels c’est un mix de ma voix et de celle d’une chanteuse d’opéra qui s’appelle Catherine Trautmann. Et à part ces morceaux, donc l’aria et quelques phrases dans le film, tout est chanté live. Cette particularité rendait le projet difficile, mais excitant. Jouer des actions physiques dans des positions acrobatiques n’optimise pas le chant. Mais ce sont ces « imperfections » que Leos recherchait, ces accidents, ces souffles ou ces moments où l’on va, par exemple, se mettre sur le dos la tête en arrière tout en essayant de chanter sans vraiment pouvoir le faire.
A un moment, votre personnage se métamorphose. Vous le voyez comment dans la deuxième partie du film ?
Ce personnage d’Ann Desfranoux qu’on imagine douce, aimante, maternelle est en fait beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît. Elle prévient que « l’amour va se transformer en vengeance » et on découvre chez elle un côté déviant qu’on ne soupçonnait pas….
A Cannes avec Jacques Audiard, les frères Dardenne, James Gray et maintenant Leos Carax, vous venez toujours avec des personnages attachants à qui il arrive bien des ennuis… Ce sont des films qui pourraient vous valoir un prix d’interprétation, d’autant que c’est le seul qui manque à votre palmarès. Et si cette fois était la bonne ?
Oh non, je ne pense pas. Et puis vous savez, on ne fait pas des films pour avoir des prix. Pour moi, Cannes, ce n’est pas du tout la compétition. En tout cas, je ne m’y suis jamais sentie en compétition.
Monter les marches avec le film qui fait l’ouverture, c’est ça l’important ?
Alors ça oui et notamment cette année. Parce que présenter un film à l’ouverture, et le film lui-même ayant une scène d’ouverture invitant les spectateurs à vivre une expérience singulière, je trouve que cette mise en abyme est intéressante et belle, en fait.
Surtout après un an de vie complètement confinée…
Voire plus que ça, un an et demi ! Donc oui, je trouve que c’est un joli signe.
Un autre signe, ce sont les initiatives du festival en faveur de l’environnement, un thème auquel on vous sait sensible : une sélection de films « green » en séances spéciales ou les mesures pour réduire l’empreinte carbone pendant la manifestation, qu’en pensez-vous ?
J’ai coproduit un de ces films « green », Bigger than us, qui traite de sujets environnementaux mais aussi de société. C’est une très bonne chose de la part du festival de proposer cette sélection, parce que ça va inspirer d’autres cinéastes tout en mettant la lumière sur des sujets importants qui nous concernent tous.