Houda Benyamina : « Il faut mettre de l’engagement dans son art et de l’art dans son engagement ! »
« 20 MINUTES » AVEC...•La réalisatrice Houda Benyamina, lauréate de la Caméra d’or et de trois César pour « Divines » en 2016, préside le jury des courts-métrages au Festival des Arcs jusqu’à samediPropos recueillis par Caroline Vié
L'essentiel
- Tous les vendredis, 20 Minutes propose à une personnalité de commenter un phénomène de société, dans son rendez-vous « 20 Minutes avec… ».
- Houda Benyamina, cinéaste et militante pour la diversité, vient de réaliser deux épisodes de la série « The Eddy » pour Netflix.
- Elle est aussi fondatrice du collectif « Mille Visages » destiné à former des jeunes au cinéma.
- La cinéaste, qui écrit son deuxième long-métrage, se déclare optimiste pour l’avenir du 7e Art comme pour celui de la planète.
La réalisatrice Houda Benyamina a enflammé la Croisette avec son discours passionné en faveur des femmes en recevant la Caméra d’or pour Divines en 2016. Trois ans après cette consécration, la cinéaste n’a rien perdu de son enthousiasme. « Il faut mettre de l’engagement dans son art et de l’art dans son engagement ! », déclare avec flamme celle qui a également reçu trois César (dont celui du meilleur premier film) pour ce film sur les destins entremêlés de filles de banlieue.
aCette devise, la (presque) quadragénaire la met en pratique au quotidien, qu’elle se dévoue pour l’association Mille visages, pour le collectif 50/50 ou qu’elle préside le jury des courts-métrages du Festival des Arcs. Après avoir réalisé deux épisodes de The Eddy, série conçue par Damien Chazelle pour Netflix, elle planche activement sur l’écriture de son deuxième long-métrage, une histoire d’amour qui se déroule pendant la Guerre d’Algérie. C’est depuis son bureau parisien que la réalisatrice dynamique a partagé ses vues avec 20 Minutes.
Quel souvenir gardez-vous de votre discours pour la Caméra d’or sur la scène du palais des Festivals à Cannes ?
J’étais si heureuse de voir que notre travail était récompensé ! Je sais que mon discours et mon enthousiasme ont agacé certaines personnes parce qu’une femme et censée rester polie et mesurée. Quand c’est Roberto Benigini qui bondit partout et saute sur Martin Scorsese pour le remercier d’avoir récompensé La Vie est belle, ça ne scandalise personne car on estime qu’un homme a tous les droits ! Je n’ai pas d’amertume à ce sujet. Surtout que, un an plus tard, je montais les Marches avec le collectif 50/50, un autre grand moment d’émotion prouvant que les choses ont évolué en quelques mois.
Pensez-vous que la parité dans le cinéma puisse devenir une réalité ?
Il y a encore du travail, mais j’y crois. Bien évidemment, les femmes disposent toujours de budgets moins conséquents que les hommes pour faire leurs films et elles sont toujours moins payées qu’eux. La charte signée par le CNC est un signe positif dans ce sens. Le processus sera lent mais on va y arriver.
Croyez-vous aux bienfaits de la discrimination positive ?
Ce système a fait ses preuves dans des pays nordiques comme le Danemark. On a imposé des quotas de femmes jusqu’à ce que la parité soit atteinte, puis on a supprimé ces obligations. Ces méthodes accélèrent le mouvement et permettent d’éviter de sacrifier des générations avant le changement. Je pense que des pénalités ou des bonus financiers seraient aussi une bonne chose. L’argent est un excellent moyen de pression qui encouragera les producteurs à favoriser la parité.
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Ne craignez-vous pas que cela donne des films médiocres ?
Combien de films médiocres réalisés par des hommes voient le jour chaque année ! Je lutte pour que les femmes aussi aient droit à la médiocrité. Quand on en sera là, c’est qu’on pourra se considérer sur un pied d’égalité avec les hommes. Je me souviens d’un débat, il y a quelques années à Cannes, où des réalisateurs et des réalisatrices, estimaient que s’il n’y avait pas de films de femmes sélectionnés, c’est parce qu’ils n’étaient pas assez bons. Je trouvais cette théorie fumeuse car les talents féminins existent ! On ne peut plus prétendre le contraire aujourd’hui.
Pourquoi n’étaient-ils pas mis en avant ?
Tant qu’on ne trouvait pas davantage de diversité dans les postes décisionnaires, il est certain que la situation stagnait. Quand je parle de diversité, je ne pense pas qu’aux femmes mais aussi à toutes les personnes que leur origine, leur genre, leur religion ou leur orientation sexuelle ont mises au ban de la société. Je crois en l’« intersectionnalité » qui permet à toutes les minorités de s’allier pour défendre des valeurs communes. C’est ce que nous avons fait avec 50/50. Ce n’est pas seulement un collectif de femmes de cinéma car nous défendons toutes les minorités. Et ça, c’est historique…
Pourquoi « historique » ?
Parce que nous sommes alliés pour défendre le « Liberté, Egalité, Fraternité » qui est la devise de la République française. Nous voulons que tout le monde bénéficie des mêmes chances. C’est cela qui fait la grandeur de la France. L’identité du pays est à redéfinir car elle est multiculturelle. Si toutes les minorités se battent ensemble, elles deviennent une majorité qui doit être écoutée Je suis confiante dans le pouvoir du cinéma pour questionner le monde dans lequel on vit.
L’art peut-il vraiment faire évoluer les mentalités ?
C’est peut-être parce que c’est mon métier et donc le seul domaine dans lequel je m’estime pleinement compétente mais je le crois vraiment. Je pense qu’un film peut changer une vie ! Les Misérables de Ladj Ly va être vu par plus de deux millions de spectateurs que ce film va ébranler. Cela va les conduire à réfléchir. Il s’agit d’un vrai film d’auteur populaire comme on se réjouit d’en découvrir. On parle souvent de la dimension politique des Misérables mais le film offre aussi une proposition de cinéma très forte.
Le film de Ladj Ly vous a donc touchée ?
Il m’a emballée par sa justesse. Jamais on n’avait filmé la banlieue ainsi, avec ses incroyables plans au drone qui surplombent les immeubles. C’est une œuvre moderne qui révèle l’évolution dans les cités où la violence a rajeuni. Dans La Haine, Mathieu Kassovitz montrait des adolescents entre 17 et 18 ans, les gamins de Ladj Ly ont entre 11 et 12 ans. Son film est plus radical que La Haine car il pose des questions sans proposer de solution. Il n’est pas manichéen. La carrière internationale qui attend Les Misérables, depuis son prix à Cannes, démontre d’ailleurs que ce que décrit Ladj Ly parle à tout le monde.
La sélection dans les festivals est-elle si importante ?
Elle ouvre des portes à des œuvres qui seraient moins remarquées, voire ignorées, sans eux. Je trouve important de signaler les choses qui ne vont pas mais tout aussi capital de souligner ce qui fonctionne. Un Festival comme Cannes a aidé à bousculer les lignes en sélectionnant des œuvres comme Divines et Mustang de Deniz Gamze Ergüven à la Quinzaine des Réalisateurs ou Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma et Atlantique de Mati Diop en sélection officielle cette année. Que ces deux films aient été récompensés par le jury est aussi un signe positif.
Faut-il y voir l’influence du mouvement #MeToo ?
Quand je suis arrivée avec Divines en 2016, ce mouvement n’existait pas encore. Je suis enchantée qu’il ait émergé depuis. C’est merveilleux que les femmes puissent enfin s’exprimer et libérer une parole qu’elles ont gardée en elles trop longtemps. Comme dans tous les mouvements, il y a des choses positives et négatives. Pour moi, cela ne se pose d’ailleurs pas en ces termes. Cette évolution était une nécessité. Quand Adèle Haenel s’exprime, j’admire et soutiens sa démarche car elle ose parler de ce qu’elle a vécu personnellement. Elle ne fait pas que dénoncer l’homme qui l’a attaquée. Elle s’attaque au système qui a rendu cela possible. Sa démarche est politique : elle sert la cause de toutes les femmes.
Et ça fonctionne dans le monde entier ?
Absolument. La preuve : Rosanna Arquette et Viola Davis ont râlé contre l’Académie des Oscars parce qu’il n’y avait pas assez de diversité. Depuis, on m’a proposé d’entrer à l’Académie. Je voterai pour la première fois dans quelques semaines. J’espère qu’il y aura des réalisatrices en lice.
aVous en avez profité pour faire vos débuts aux Etats-Unis ?
Ce n’est pas directement lié mais ce qui est bien avec les Américains est qu’ils vous ouvrent des portes. J’ai réalisé deux épisodes de la série The Eddy. C’est un drame musical créé par Damien Chazelle qui y rend hommage à la Nouvelle Vague. Je crois que cette série va être révolutionnaire, un peu comme l’a été le clip du Thriller de Michael Jackson en 1983.
Vous vous verriez travailler pour Netflix ?
Et pourquoi pas ? Même si je sais que l’expérience de voir un film en salle est unique, j’ai découvert de nombreux films qui ont compté pour moi sur le petit écran. Je n’avais pas les moyens d’aller au cinéma ! Netflix est un véritable détecteur de talent qui a acheté Divines avant même que le film soit à Cannes. Si on me donne la liberté que j’ai eue sur The Eddy, je serai partante pour bosser avec eux. J’estime que la plateforme participe à une démocratisation de la culture.
La même que celle que vous défendez avec l’association Mille Visages ?
Tout à fait ! Nous essayons d’y former des jeunes qui ont été éloignés de l’offre culturelle pour diverses raisons et qui ont envie de s’exprimer. Nous cherchons des locaux tant nous sommes victimes de notre succès avec 500 inscrits cette année. D’autres initiatives ont suivi comme l’école fondée par Ladj Ly ou la Cinéfabrique à Lyon. Je suis confiante dans l’avenir de la culture.
Comment voyez-vous propre avenir et celui du monde ?
Pour le mien, j’espère continuer à écrire des films qui questionnent. Quant à celui de la planète, je suis une incurable optimiste à son sujet. Je pense que les êtres humains vont finir par activer leur instinct de survie comme ils l’ont fait depuis toujours. Quand je vois que les gens se bougent avec les grèves et les Gilets jaunes, je me dis que rien n’est perdu. Je suis persuadée que les jeunes générations vont nous surprendre, comme l’a fait Greta Thunberg.