MALENTENDU« Queens » est bien plus qu’un film de strip tease

La promotion du film « Queens » ne fait pas honneur à cette oeuvre politique

MALENTENDUCe récit féminin sur la crise des subprimes, toujours en salles et passé relativement inaperçu, mérite toute votre attention.
Anaïs Bordages

Anaïs Bordages

C’est un des meilleurs films de l’année, qui parle de lutte des classes, de capitalisme et du crash boursier de 2008… Sauf que ses protagonistes sont des strip-teaseuses, robes moulantes, créoles et talons vertigineux inclus. Et c’est tout ce que le marketing du film semble avoir retenu, si l’on en croit les posters promotionnels, arborant d’énormes lettres roses et pailletées. Sans parler du titre choisi pour la VF, Queens, qui évoque le genre de projets « girl power » opportunistes et dénués de nuance qu’Hollywood avait déjà tenté de nous servir avec Ocean's 8 . Le titre original, Hustlers, joue quant à lui sur la double signification du mot, qui peut vouloir dire prostituée ou arnaqueuse.

Le film, en salles depuis octobre, est tiré d’un article de New York Magazine. On y suit un groupe de strip teaseuses, menées par Jennifer Lopez en cheffe de bande magnétique, qui se voient impactées par la crise des subprimes lorsque leurs riches clients de Wall Street arrêtent de fréquenter le strip club. Pour éviter d’être encore plus précarisées, ces dernières montent alors un système frauduleux consistant à appâter des hommes riches, les droguer et faire plafonner leurs cartes de crédit.

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Promotion ratée

À la fois sombre et hautement divertissant, le film peut être situé dans la même lignée qu’un The Big Short ou Le Loup de Wall Street ; comme eux, il cache derrière sa mise en scène énergique un discours puissant sur le cynisme du capitalisme. Mais ce qui le démarque de ces deux œuvres, c’est la spécificité de son point de vue féminin. Dans Queens, les protagonistes ne sont pas des hommes blancs qui travaillent à Wall Street, mais des femmes racisées qui ont pris l’habitude d’être rabaissées par les courtiers (dans la scène d’ouverture, l’un d’entre eux appelle le personnage de Constance Wu « Lucy Liu »). Surtout, Ramona et Destiny ne se décident pas à voler par cupidité ou par ego. Si elles le font, c’est avant tout une question de survie ; un moyen de subvenir à leurs besoins et d’utiliser leurs atouts physiques pour se libérer de leur dépendance financière aux hommes qui les considèrent comme des bouts de viande.

Malheureusement, la promotion du film semble avoir effacé tous les aspects les plus intéressants et les plus complexes de Queens, lui donnant plutôt des airs de plaisir coupable feel-good, destiné principalement à des audiences féminines. Dans la bande-annonce, on peut par exemple entendre Destiny, incarnée par Constance Wu, déclarer : « je veux juste pouvoir aider ma grand-mère, faire un peu de shopping de temps en temps »… Mais l’extrait coupe avant la partie la plus importante de sa réplique : Destiny affirme surtout qu’elle veut « ne dépendre de personne ». Un désir féroce d’autonomie qui imprègne tout le film.

Ce problème d’image un peu futile a sans doute été renforcé par le casting, car en plus de Jennifer Lopez (qui livre la meilleure performance de sa carrière), la promotion du film mettait aussi en avant la présence de deux pop stars, Lizzo et Cardi B (qui est une ancienne strip-teaseuse). Ces dernières occupent pourtant des rôles très secondaires dans le film, et ne sont même pas impliquées dans l’arnaque au cœur de l’intrigue.

La rappeuse Cardi B sur une affiche promotionnelle de Queens
La rappeuse Cardi B sur une affiche promotionnelle de Queens - Metropolitan Filmexport

Un projet difficile à monter

Cette incapacité à marketer le film correctement, la réalisatrice Lorene Scafaria l’a rencontrée dès la production. Embauchée au départ pour écrire le script, on lui a d’abord refusé le rôle de réalisatrice pour l’offrir à des hommes, notamment Martin Scorsese ou Adam McKay (le premier a refusé, le dernier a fini par produire le film). Une fois qu’il a été décidé qu’elle en serait la réalisatrice, Lorene Scafaria affirme dans une interview sa difficulté à obtenir des financements face à des chefs de studios masculins : « Ce sont les seuls moments où je me sens comme une femme. Je ne ressens pas vraiment ça quand je suis sur le plateau (…). Je le ressens quand il faut parler d’argent. »

Elaine Goldsmith-Thomas, productrice du film, affirme quant à elle que « les (cadres masculins des studios) étaient un peu mal à l’aise. Tout le monde pouvait voir la valeur commerciale de ce film, mais ils nous disaient “est-ce qu’elles ne pourraient pas juste droguer des hommes méchants ? Le faire juste à des hommes qui le méritent ?”. Mais ils pouvaient tous chanter les louanges du Loup de Wall Street – un homme qui fait ça aux femmes. »

C’est la terrible ironie de Queens, thriller intelligent et audacieux sur Wall Street qui n’a malheureusement pas bénéficié du même buzz prestigieux que ses équivalents masculins. C’est pourtant son approche féminine qui fait sa force, que ce soit dans son récit de l’amitié complexe entre Destiny et Ramona, ou dans son female gaze qui dépeint toute la puissance et la sensualité de ses héroïnes sans jamais les objectifier. Sans jamais tomber dans des clichés réducteurs, le film de Lorene Scafaria réussit à dépeindre des femmes compliquées, tour à tour agressives, problématiques, cupides et égoïstes, mais aussi pleines de compassion et de bienveillance. Un exploit encore trop rare à Hollywood, qui mérite d’être salué.