Ces poupées bébés hyperréalistes jouent les premiers rôles au cinéma
REPORTAGE•L’atelier Cinébébé confectionne des modèles de bébés hyperréalistes pour le cinéma, la télévision, le théâtreMarie Gicquel
Niché sous les arches du RER C à Issy-Les-Moulineaux, il faut monter quelques escaliers et saluer les pigeonneaux avant d’accéder à l’atelier de Cinébébé. Sur les bureaux, des outils, des pinceaux et, beaucoup moins banal : des membres de poupées suspendus à un fil. A côté, des têtes de poupons sont plantées sur des tiges.
Vision macabre pensez-vous, étant donné le réalisme des modèles. Mais vous êtes face à des vedettes : ces poupées ont eu leur heure de gloire, au cinéma dans Qu'est-ce qu'on a encore fait au bon dieu et dans Le prénom ou à la télévision dans Dix pour cent et Capitaine Marleau. Plus de dix ans que Cinébébé donne naissance à ces poupons plus vrais que nature afin de les louer ou les vendre aux productions cinématographiques. Une aubaine pour les cinéastes lorsque l’on sait que les « vrais » bébés ne peuvent tourner qu’à partir de trois mois et seulement une heure par jour. « Nos poupées aident aux répétitions, aux raccords. Cela permet à l’équipe du tournage d’optimiser le temps avec le vrai nourrisson » confie Julie. Issue d’une formation d’effets spéciaux et de maquillage, la jeune femme est devenue la collaboratrice de Viridiana – la fondatrice – en 2017.
aLe silicone, une matière vivante
La jeune femme qui nous accueille dans son atelier insiste : tout l’enjeu de Cinébébé n’est pas seulement de créer des poupées hyperréalistes. « Nous souhaitons recréer du vivant, il faut animer cet objet. Nous avons donc étudié comment bougent les bébés, leurs réflexes – comme celui de défense, dit réflexe de Moro – et nous savons aussi ce que le cinéma attend. On fait le pont entre la réalité et la fiction ». Une vision insufflée par la fondatrice Viridiana, appréhendée lors de ses études d’infirmière.
On comprend le sens de la proposition « recréer le vivant » lorsque Julie nous présente aux poupons, une vingtaine, reposant dans des caisses. D’abord baptisés avec des numéros, les modèles ont hérité finalement de prénoms de chanteurs : Nino, Alanis, Aretha… Julie les porte, les manipule avec précaution, pour éviter les visions choquantes. Et en l’observant les porter, on réalise que le poids et la matière – très souple – en silicone insufflent du mouvement. Les membres bougent par eux-mêmes. « Nous aidons les acteurs à manier ces poupées, on leur montre comment on fait bouger les modèles de manière à ce qu’ils s’animent et que la caméra puisse bien les filmer. Une tâche proche du marionnettiste. » Enfin, si le film souhaite un gros plan montrant un bébé respirer ou bouger dans son coin, deux solutions : un système de pompe à la main (pour recréer le mouvement respiratoire) ou alors un dispositif animatronique (un squelette télécommandé inséré dans la poupée). « Enfin, il y a tout le travail postproduction : les bruits de succion et les cris sont ajoutés. »
Des cheveux de bébés en mohair ou alpaga
Le silicone est préféré pour les bébés loués pour les scènes d’accouchement. Pour les poupons plus statiques, on choisira un bébé en plastique vinyle (des poupées dites « reborn » avec des troncs en tissus). Avant de créer la poupée pour un projet particulier, Cinébébé procède à une phase de « dépouillement » du scénario. « On note à quel moment le vrai bébé est présent et les scènes avec les faux poupons, les scènes dangereuses par exemple » explique Julie. S’appuyant ensuite sur les photos du vrai bébé, l’équipe va sculpter, créer un moulage puis, assembler les membres de la poupée, colorer la peau et ensuite implanter les cheveux (un par un, à l’aiguille).
Pour les cheveux de bébés – plus les bébés sont jeunes, plus les cheveux sont fins – Julie utilise du mohair et de l’alpaga. Et rien de telle qu’une vraie brosse pour un petit coup d’éclat devant la caméra. Enfin, pour lester le nourrisson et lui donner un peu de poids, l’équipe de Cinébébé ajoute des billes de verres ou insère du gel.
Un accouchement difficile
Il faut deux mois minimum pour créer de toutes pièces un nourrisson sorti de son œuf. Mais Cinébébé ne se charge pas simplement de livrer le modèle : pour les scènes d’accouchement, l’atelier est présent sur le plateau. « On vient avec la poupée et le maquillage (mucosités, sang,…). Il faut aussi les cordons ombilicaux, on sait aussi créer des faux placentas. » L’entreprise fabrique même des faux ventres qui expulsent le faux bébé.
« Beaucoup de particuliers souhaitent commander ces bébés reborn mais nous, on se focalise sur l’artistique ». Les productions peuvent louer ces bébés à la journée et pendant plusieurs semaines, ou acheter le bébé (quelques milliers d’euros pour une poupée reborn, 10.000 euros pour un bébé en silicone). Le prix d'un tournage paisible.
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