VIDEO. Etienne Davodeau: «"Un homme est mort" revient avec un personnage féminin...»
INTERVIEW•Étienne Davodeau, son co-créateur, révèle à « 20 Minutes » comment l’un plus gros succès BD de ce début de siècle est passé des cases à l'écran. Le dessin animé, présenté au Festival d'Annecy, est diffusé ce mercredi soir sur Arte.Olivier Mimran
L'essentiel
- «Un homme est mort » raconte l’histoire vraie d’un mouvement social à l’issue tragique survenu à Brest, en 1950.
- A l'origine, c'était une bande dessinée de Kris et Davodeau. Son adaptation en film d’animation est diffusée ce mercredi soir sur Arte, en même temps qu'elle est projetée au festival d’Annecy.
Énorme succès critique à sa sortie en 2006, puis poublic avec 80.000 exemplaires écoulés, la BD Un homme est mort (Futuropolis) sur l’un des premiers mouvements sociaux d’après-guerre fait son retour sous la forme d’un film d’animation de 66 minutes.
À l’occasion de sa présentation du film hors compétition au Festival du Film d’Animation d’Annecy et de sa diffusion, ce mercredi 13 juin à 22h35 sur Arte (qui est le commanditaire initial du projet), Étienne Davodeau, coscénariste et dessinateur de l’album d’origine, raconte à 20 Minutes la genèse de cette adaptation…
Qui a entrepris l’adaptation animée d’« Un homme est mort » ?
Quand les gens d’Arte m’ont proposé de transposer un de mes albums de BD en dessin animé, je leur ai suggéré Un homme est mort : l’histoire d’un film disparu, un documentaire sur un conflit social qui s’est déroulé à Brest en 1950 et s’est terminé dans le sang, filmé par le cinéaste engagé René Vautier dont Kris et moi relations le parcours en bande dessinée (lire notre encadré). Ils ont vite été séduits par l’idée d’évoquer l’histoire d’un film en dessin animé.
Comment vous êtes-vous replongé dans un travail vieux de douze ans ?
Si Kris et moi avons réalisé cet album en 2006, il ne nous a jamais « quittés » depuis : cet album s’est très bien vendu et continue à se vendre, il est même réimprimé chaque année, occasionne régulièrement des expos, des rencontres formidables. Bref, c’est un livre qui nous occupe parce qu’il « continue de vivre » depuis douze ans.
Extrait de la version animée
Quelles différences note-t-on entre le film d’animation et la BD ?
Reproduire à l’identique une BD sur grand écran n’aurait eu que peu d’intérêt. Comme il n'était pas question de modifier des événements historiques, il fallait trouver une « bonne » solution, ce à quoi se sont attelés Kris, qui a collaboré au scénario, et ses coscénaristes… Leur idée: ne plus suivre René Vautier, comme dans le livre, mais la personne qui l’accueille à Brest comme personnage principal. L’histoire est donc exactement la même que la nôtre, seul le point de vue change. Et ça fonctionne très très bien !
Vous avez vous-même créé de nouveaux personnages pour l’occasion…
Nous avons corrigé une erreur qu’on avait faite en 2006, sans toutefois le réaliser à l’époque : Kris et moi avions sous-estimé le rôle des femmes dans les événements relatés, ce qui nous a été signalé par des gens qui en avaient été acteurs. Du coup, on a imaginé pour le film un personnage féminin qui s’appelle Paulette et qui milite auprès d’associations essentiellement féminines. Kris a commencé seul l’écriture du script avant d’être rejoint par deux autres scénaristes. Moi, je ne suis pratiquement pas intervenu sur la réalisation du film, qui s’inspire graphiquement directement de notre album. J’ai juste créé de nouveaux personnages - dont la fameuse Paulette, des décors qui n’existaient pas à l’origine, etc. Une fois la production lancée, notre rôle, à Kris et à moi, s’est borné à un travail de supervision.
Extrait de la version animée
Bien que lié à une actualité d’après-guerre, le sujet semblait toujours « moderne » à la sortie de la BD. Est-ce toujours le cas dans le film d’animation ?
Oui, parce qu’y est évoquée la question du mouvement social et de sa cohabitation avec le pouvoir. On découvre ce contre quoi les gens étaient prêts à s’élever à une période finalement très proche de la libération, alors que les Françaises et les Français vivaient sur des acquis « tout frais » ; ces mêmes acquis que l’on perd un peu de vue aujourd’hui parce qu’ils sont lointains. Lorsque des agents SNCF se battent aujourd’hui pour défendre ces acquis-là, l’usure du temps nous pousse, en tant qu’usagers, à râler en perdant de vue le fait que le droit de grève est un vrai levier social. Après tout, ce qui relève du combat social ou syndical est un facteur objectif de progrès, quoi qu’on en dise, même si dans la France macronienne, on essaie de nous faire croire l’inverse. Ce film, comme ceux de Ken Loach par exemple, a pour objet de nous rappeler que c’est bien quelque chose de vital.
Le film a été projeté en avant-première à Brest, la ville dans laquelle se situe son action…
Oui et il y avait environ mille spectateurs ! Il faisait très froid dans la salle, mais l’accueil a été extrêmement chaleureux. J’ai réalisé à ce moment-là à quel point les Brestois étaient attachés à cette histoire, qui est leur histoire. Après la projection, nous avons pu constater que des gens avaient préféré le livre au film et inversement. Mais c’est justement cet écho entre le film et le livre qui génère désormais, de mon point de vue, du sens et de l’intérêt !
Au final, Kris et vous êtes-vous satisfaits de cette adaptation animée ?
C’est une étape très particulière que l’on ne peut pas résumer par un « j’aime » ou un « j’aime pas ». On est traversés par des émotions complexes, contradictoires, changeantes, mais voir une de ses BD prendre vie à l’écran est un moment intense, inoubliable. On est très contents de cette expérience, qui a été un long chantier avec tout ce que ça suppose de doutes, de discussions… Et quand « la chose » arrive sur les écrans, des années de travail se voient condensées en une heure et c’est très, très fort.