«L’âge d’or des mathématiques, c’est aujourd’hui»
•Est-ce bien scientifique d’aborder les mathématiques par des jeux d’esprit ? A toutes les époques, les mathématiciens se sont envoyé des défis. Par exemple, au xvie siècle, un Hollandais avait proposé à ses collègues une équation du 45e degré. Il s’agiss© 20 minutes
Est-ce bien scientifique d’aborder les mathématiques par des jeux d’esprit ?A toutes les époques, les mathématiciens se sont envoyé des défis. Par exemple, au xvie siècle, un Hollandais avait proposé à ses collègues une équation du 45e degré. Il s’agissait d’un jeu gratuit, dont aucune théorie ne dépendait. C’est François Viète, grand mathématicien français de l’époque, qui l’a résolue. Et ce qui est amusant, c’est qu’à la cour d’Henri iv il a probablement été beaucoup plus célèbre pour ce fait d’arme que pour avoir, par exemple, déterminé les dix premières décimales de pi !Utiliser de tels jeux, est-ce une manière de mieux faire apprécier les maths ?L’idée est d’entrer dans l’histoire des maths à travers eux. Le « théorème des quatre couleurs », par exemple, démontre que quatre couleurs suffisent pour colorier n’importe quelle carte de géographie. Ce vieux problème théorique du xixe siècle n’a été résolu qu’en 1976. Pour l’expliquer, on propose un défi : dessiner une carte qui ne peut pas, justement, être coloriée avec quatre couleurs, astuce à l’appui. Au-delà, l’objectif est de raconter ce qui se passe aujourd’hui en mathématiques : on pense trop souvent qu’elles appartiennent au passé, alors que la moitié des mathématiciens qui ont sévi au cours de l’Histoire sont... vivants et en exercice ! Autrement dit, l’âge d’or des mathématiques, c’est aujourd’hui.Est-ce dû à la révolution informatique ?Depuis le xviie siècle, c’est surtout la physique qui était en demande de théories mathématiques. Un des problèmes actuels, par exemple, est de comprendre les différents types de forces qui s’exercent dans l’univers. Cela peut amener à remettre en cause notre vision de l’espace et du temps, ce qui ramène à des questions de géométrie. Mais, effectivement, l’informatique est aujourd’hui fortement demandeuse de théories mathématiques, notamment d’algèbre et de logique.Que peut-on répondre à un élève qui dit ne pas aimer les maths ?Qu’il n’en connaît qu’une toute petite partie. Il y a des continents entiers qu’il n’a pas encore découverts. Par ailleurs, ce qui est souvent désagréable, ce ne sont pas tant les maths que le cadre contraignant dans lequel on les apprend, ce qui est le cas d’autres matières. Cela dit, il faut aussi lui dire que, comme en musique, faire des gammes en maths est indispensable.Est-il légitime de sélectionner sur les maths ?Est-il légitime de sélectionner tout court ? Beaucoup de mathématiciens seraient heureux que l’on sélectionne sur d’autres matières... C’est le système de sélection lui-même qui veut que tout le monde se retrouve, tôt ou tard, en situation d’échec. On peut faire remarquer à ceux qui ont une dent contre les maths qu’ils ont souvent été en situation d’échec assez tard. Ceux qui disent ne pas avoir compris les maths à partir du bac, par exemple, en ont déjà compris une bonne partie. C’est quelque chose que l’on pourrait valoriser.Tout le monde a besoin des maths ?Je pense. Elles apprennent notamment, en se concentrant sur un problème, à se décentrer par rapport à sa propre personne. Elles aident aussi à comprendre qu’il existe dans la vie des problèmes plus difficiles que d’autres. Certains problèmes de maths ont mis vingt-trois siècles à être résolus, comme la fameuse quadrature du cercle, dont on a trouvé la solution qu’au xixe siècle. Cela relativise l’échec. Dans ce monde où il est devenu obligatoire de tout réussir, il est important de savoir qu’il y a des problèmes sur lesquels on peut se casser les dents très longtemps, et que ce n’est pas pour autant une situation infamante. Propos recueillis par Luc Brunet